La Scène, Musique d'ensemble, Spectacles divers

La Cornucopia moderne d’Augustin Braud

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Paris. Auditorium Marcel Landowski du CRR de Paris. 24-I-2023. Liza Lim (née en 1966) : Inguz (Fertility) pour clarinette et violoncelle ; Bastien David (née en 1990) : Vendre le ciel aux ténèbres, pour ensemble ; Elena Mendoza (née en 1973) : Contra-dicción I et III, pour deux altos ; Lo que nunca dijo nadie, pour guitare et violon ; Augustin Braud (né en 1994) : Cornucopia pour ensemble (CM). Étudiants du CRR et PSPBB ; étudiants d’art dramatique (atelier scènes partagées) du CRR de Paris : Émilie Diaz, Laetitia Nagrodski, Lucas Sekali, Léonor Vanryssel ; textes de Rainer Maria Rilke, Johnny Hallyday, Victor Hugo, Leslie Kaplan, Mariette Navarro, Sophie Lannefranque et Kae Tempest. Paul-Alexandre Dubois, baryton ; Louis Gauvrit, trompette ; Ensemble 2e2m, direction : Léo Margue

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L' et son chef se sont associés à la classe d'Art dramatique du pour ce spectacle liant paroles et musique dont la substance s'élabore autour de la création mondiale Cornucopia d'.

« La Corne d'abondance » chantée par le poète Rainer Maria Rilke est ici envisagée à l'aune de notre société de consommation et du « toujours plus », du « trop-plein » dont résulte le Burn-out à partir duquel s'écrit le scénario de la nouvelle pièce d'. Quant aux textes sélectionnés par les étudiants d'Art dramatique, ils brodent autour de ce questionnement, paroles engagées sur fond d'écologie, de problèmes sociétaux et de comportements humains, balançant entre accusation (Leslie Kaplan), révolte (Mariette Navarro), découragement (Sophie Lannefranque) et hymne à la nature (Victor Hugo) et à la vie (Johnny Hallyday).

Aux strophes poétiques de Rilke (« Ô belle corne / en coupe, déversez-vous ») répond la première des compositions, Inguz (Fertility) de l'Australienne Lisa Lim, un duo pour clarinette et violoncelle aux lignes fluides et aux frottements subtils et microtonals des sonorités. Sarah Givelet est au côté de Megumi Ozawa, une étudiante du venue renforcer l'effectif de 2e2m.

Le titre superbe choisi par (en résidence auprès de 2e2m) pour sa pièce récente Vendre le ciel aux ténèbres (2020), aurait pu s'écrire sous la plume de Victor Hugo dont le poème La Nature précède l'exécution instrumentale. Quand il ne construit pas son propre instrument, comme le « Métallophone » (que l'on entendra résonner lors du concert d'ouverture du festival Présences à Radio-France), l'invente à partir de la lutherie traditionnelle dont il détourne astucieusement les sonorités habituelles : avec des modes de jeu singuliers mais aussi des accessoires multiples (verre, tuyaux harmoniques, ballons de baudruche, etc.) confiés aux instrumentistes tout terrain pour obtenir très exactement le son qu'il a rêvé : tels ces aigus fragiles et poétiques qui flottent dans l'espace et dont la beauté nous saisit dès les premières minutes : l'un des musiciens passe le doigt sur un verre rempli d'eau, un autre siffle tandis que les cordes jouent leurs harmoniques les plus aiguës et que l'archet du percussionniste effleure la lame du vibraphone. On remarque également la clarinette qui irise sa note avec le bisbigliando (différents doigtés pour une même note). Plus spectaculaire encore, dans le cours de l'œuvre, le hautboïste prête main forte au bassoniste en bouchant le pavillon de l'instrument pour optimiser le « jeu d'aspiration ». Il est préconisé par le compositeur afin de favoriser les sonorités aux caractéristiques vocales du basson. Le piano de Véronique Briel est « préparé » pour délimiter un champ percussif délicat sur le clavier et les positions d'archet sont toujours diversifiées sur les instruments à cordes pour produire le type de frottement souhaité. C'est ainsi que « traite » le son en direct, sans avoir recours à l'électricité, et fait naître, de cette ingénierie méticuleuse, son jardin féérique : ça ondule, ça pulse, ça frotte, ça tourne et ça s'exaspère… jusqu'à cette sonorité inouïe qui embrase l'espace (des ballons de baudruche frottés avec une éponge par les musiciens) et qui plonge l'écoute dans le noir des ténèbres. Avec l'énergie du geste et la finesse de son oreille, peaufine les sonorités et donne à entendre cette fantasmagorie sonore.

De la compositrice espagnole , deux duos alternent avec les textes de Mariette Navarro (Incendie) et Sophie Lannefranque (Cessation d'activité). Contra-dicción I et III (2004) est un face à face entre deux altos (Claire Merlet et Natan Gorog, étudiant du PSPBB), un dialogue sans concession qui nous met à l'écoute du timbre et ses métamorphoses. Dans Lo que nunca dijo nadie (« Ce que personne n'a jamais dit ») pour guitare et violon, la compositrice infiltre les mots du poète Angel Gonzalez dans la texture sonore, engageant la parole et l'énergie du corps des deux interprètes, Pierre Bibault à la guitare et Dorothée Nodé-Langlois au violon.

Cornucopia, pour baryton, trompette soliste et ensemble d' qui referme le concert nécessite une courte préparation du plateau (branchement de la guitare et de l'orgue électriques) qui ne gâche en rien la fluidité du spectacle emmené par nos quatre brillants comédiens, Émilie Diaz, Laetitia Nagrodski, Lucas Sekali et Léonor Vanryssel dont on salue le talent déployé pour défendre les textes qu'ils ont choisis. Entendu dès le début de la soirée, celui de Cornucopia est de la main même du compositeur, issu de témoignages de victimes de burn-out qu'il a compilés et réécrits. Le propos percutant s'interrompt quatre fois pour laisser place aux strophes poétiques de Rainer Maria Rilke d'un tout autre registre littéraire.

 

Braud les fait chanter par le baryton quand le récit est dit par le chanteur jusqu'à l'exaspération finale. La pièce invite également en soliste le tout jeune trompettiste (jouant aussi du bugle) Louis Gauvrit placé à la droite du chef. La part belle est faite aux vents (présence de deux tubas Wagner) dans une musique procédant par pulsions rythmiques et charriant une matière dense et foisonnante veinée de multiples couleurs. La résonance des cloches-tube et les interventions tempétueuses de Louis Gauvrit évoquent l'univers ambivalent d'un Cavanna, sa pâte orchestrale et sa veine tragique, celle de Messe un jour ordinaire traversée par le récit de Laurence. Ressort de ce monodrame dûment porté par et magnifiquement conduit par , un impact dramatique qui ne laisse pas indifférent.

Crédit photographique : © Michèle Gagliano

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Paris. Auditorium Marcel Landowski du CRR de Paris. 24-I-2023. Liza Lim (née en 1966) : Inguz (Fertility) pour clarinette et violoncelle ; Bastien David (née en 1990) : Vendre le ciel aux ténèbres, pour ensemble ; Elena Mendoza (née en 1973) : Contra-dicción I et III, pour deux altos ; Lo que nunca dijo nadie, pour guitare et violon ; Augustin Braud (né en 1994) : Cornucopia pour ensemble (CM). Étudiants du CRR et PSPBB ; étudiants d’art dramatique (atelier scènes partagées) du CRR de Paris : Émilie Diaz, Laetitia Nagrodski, Lucas Sekali, Léonor Vanryssel ; textes de Rainer Maria Rilke, Johnny Hallyday, Victor Hugo, Leslie Kaplan, Mariette Navarro, Sophie Lannefranque et Kae Tempest. Paul-Alexandre Dubois, baryton ; Louis Gauvrit, trompette ; Ensemble 2e2m, direction : Léo Margue

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