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De l’électricité dans l’air avec les Solistes de l’EIC

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Paris hilharmonie-Grande salle Pierre Boulez. 22-I-2023. Edgard Varèse (1983-1965) : Déserts pour ensemble et sons fixés ; film de Bill Viola ; Wolfgang Rihm (né en 1952) : Jagden und Formen pour ensemble. Ensemble Intercontemporain, direction : Matthias Pintscher

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La projection du film de sur la musique de Déserts d' et la reprise de Jagden und Formen de dans sa version longue de 1999 font l'événement de ce concert de l'EIC dans la Grande salle Pierre Boulez, sous la direction de .

« Vous ne pouvez pas savoir combien j'aime le désert », confiait à sa biographe Odile Vivier. Pour évoquer ces espaces nus, dépouillés, déserts physiques de la nature, du sable, des montagnes, etc., mais aussi espace intérieur, solitude et mystère de l'être, le compositeur avait souhaité la jonction de l'image et du son, chose qu'il n'a pu réaliser de son vivant. Déserts n'en reste pas moins une œuvre historique, la première à associer – sinon imbriquer véritablement – la source instrumentale et le support électroacoustique diffusé sur haut-parleur. C'est avec Pierre Henry que Varèse, revenu à Paris, finalise la bande-son (nettoyée et numérisée fort heureusement aujourd'hui), un montage issu d'enregistrements dans plusieurs usines (fonderies et scieries) de Philadelphie. Ces captations in situ, retravaillées en studio, constituent le matériau des trois « interpolations » entendues en alternance avec les quarte parties instrumentales, musique d'objets bruiteuse qui déclenchera, dès les premières minutes de l'œuvre, la réaction hostile d'un public dérangé dans ses habitudes d'écoute lors de la très houleuse création du 2 décembre 1954 au Théâtre des Champs-Élysées.

En 1994, reçoit de l'Ensemble Modern de Francfort la commande d'un film pour accompagner la musique de Déserts, superbe flux d'images d'un vidéaste mis à l'honneur sur la scène parisienne en cette fin de mois de janvier, puisque l'on peut revoir à Bastille la production de 2005 du Tristan et Isolde de Peter Sellars portée par les images de l'artiste américain.

Si la trame visuelle est en adéquation avec la vision originelle du compositeur, les thèmes/obsessions du vidéaste rejaillissent au fil du parcours : le feu, dévastateur autant que libérateur, les remous aquatiques et scintillements divers, les sources de lumière, vacillante ou fulgurante (tels ces éclairs qui strient le ciel en synchronie avec la musique). Naturel ou virtuel, l'espace extérieur contraste avec ce qui se joue à l'intérieur, dans une pièce sans fenêtre et dans la lenteur des gestes et des déplacements d'un personnage. La scène revient à chacune des « interpolations », où l'homme est seul à sa table, vu de dos, « dans un monde de mystère et de solitude essentielle ». La temporalité autre que celle de la musique permet à l'œil et à l'oreille de fonctionner en autonomie, sans que l'un des sens ne prenne l'ascendant sur l'autre.

 

Jamais encore la musique de Varèse n'avait été aussi dépouillée, étirée dans le temps en de longues tenues, trouée de silence et traversée de sonneries et d'appels mystérieux. Aux côtés des 14 instruments à vent, cinq sets de percussions sont convoqués, métaux mais aussi percussions sèches (fouet qui claque, maracas, caisse claire, blocs chinois et autres claves) entendus parfois seuls, qui mesurent le vide vertigineux. Le piano sans couvercle agit comme une table d'harmonie résonnante, produisant une réverbération naturelle à la faveur de certaines cordes mises en vibration. Avec un mouvement constant des masses sonores, les empilements par strates des timbres (accords gratte-ciel), une exploration des registres extrêmes, des remous du tuba contrebasse aux stridences du piccolo, Varèse parvient dans Déserts à une maîtrise absolue de son langage. Dans la Grande salle de la Philharmonie, le confort est optimal, alliant la plénitude de l'image et la qualité des couleurs instrumentales aussi chaleureuses que raffinées sous le geste expert des Solistes de l'EIC.

La filiation avec Varèse est une évidence pour l'Allemand qui avoue, lors de sa découverte d'Arcanes (une pièce d'orchestre du compositeur bourguignon) avoir eu le sentiment que c'était lui qui l'avait écrite ! Comme Tutuguri (1982) joué par l'EIC et l'Orchestre du Conservatoire de Paris en janvier 2021 dans cette même salle Pierre Boulez, Jagden und Formen (Chasse et formes) de , entendue en seconde partie de concert, est une partition titanesque (60′) mais sans la folie d'Artaud qu'entretenaient les interventions du chœur enregistré et du récitant-vocaliste.

Le compositeur fait ici l'expérience de l'énergie pure à travers le geste frénétique des cordes (celui des deux violonistes au départ) qui lance la machine après le claquement des mains (sorte de mise à feu) de tous les musiciens. L'écriture d'une virtuosité insensée contamine peu à peu les autres pupitres, ménageant des entrées en imitation, par strates sonores successives, comme dans la caccia (la chasse) du XIVᵉ siècle italien. Cet emprunt à l'héritage n'est pas le seul, Rihm faisant appel à nombre de modèles et procédés d'écriture (canzone, choral, fanfare, etc.) pour nourrir, complexifier, innerver une polyphonie généreuse et des polyrythmies savantes où se superposent différents tempi. Les violons s'allient aux flûtes et les cordes graves (alto et violoncelle), très sollicitées également, sont rejointes par les deux clarinettes tandis que la contrebasse lacère la toile sonore de sauvages « pizz Bartók ». La guitare au centre du plateau peine à se faire entendre ! En soliste, le hautbois « da caccia » (cor anglais de Philippe Grosvogel), nimbe l'espace de son timbre champêtre et ses arabesques volubiles. Des solos fusent à tous les registres, ceux de la clarinette (Martin Adámek époustouflant) mais aussi du tuba contrebasse, du trombone, du contrebasson auquel s'allie in fine la clarinette contrebasse d'Alain Billard. Si le discours se détend, jusqu'au silence parfois, laissant s'éployer de sombres résonances au piano, c'est pour mieux réamorcer l'énergie avec le motif acéré des cordes qui resurgit, relayé par les bois puis par la percussion. Les claviers survoltés font entendre une sorte de galop fantastique (chasse mystique) où semblent claquer les sabots des chevaux dans une exaltation fiévreuse, une urgence et une puissance qui hypnotisent. Les toms sombres sont alors frappés à main nue, qui nous font tendre l'oreille sous le geste impérieux d'Aurélien Gignoux : « La musique doit nous atteindre à l'état brut, en tant que telle, nue. Elle doit devenir un appel », prévient Wolfgang Rihm, évoquant l'ordre du rituel qu'il appelle de ses vœux et dont relève également Jagden und Formen.

garde le contrôle tout en galvanisant ses musiciens et communiquant cette énergie formidable qui traverse tous les pupitres, donnant chair et âme à ce chef d'œuvre où fusionnent avec une rare alchimie l'écriture savante et la pensée libre, l'indépendance de l'acte de créer qui est l'apanage des plus grands.

Crédit photographique : ©

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