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À Genève, Benjamin Bernheim l’ode au chant français

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Genève. Bâtiment des Forces Motrices (BFM). 10-I-2023. Charles Gounod (1818-1893) : Roméo et Juliette, opéra en cinq actes sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré d’après le drame homonyme de Shakespeare (Version de concert). Mise en espace : Loïc Richard. Avec : Sandra Hamaoui, Juliette ; Benjamin Bernheim, Roméo ; Jean Teitgen, Frère Laurent ; Philippe-Nicolas Martin, Mercutio ; Adèle Charvet, Stéphano ; Thomas Atkins, Tybalt ; Jean-Sébastien Bou, Le comte Capulet ; Marie-Thérèse Keller, Gertrude ; Clemente Hernandez, Le comte Pâris ; Joé Bertili, Le duc de Vérone ; Etienne Anker, Benvolio ; Alban Legos, Gregorio. Ensemble Vocal de Lausanne (EVL). Orchestre de Chambre de Genève, direction musicale : Marc Leroy-Calatayud

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Brillante démonstration de la beauté musicale d'un Roméo et Juliette de sublimé par l'incomparable chant du ténor au sommet de son art.


On le savait. On l'espérait. On l'imaginait. On s'en réjouissait d'avance. Avec , le chant français allait, une fois de plus se sublimer. Comment ne pas fondre devant cet artiste, immense et modeste à la fois, si généreux de son talent ? Offrant son chant merveilleux, lumineux, il irradie non seulement le public mais encore les collègues qui l'entourent en transcendant leur prestation.

Au lendemain d'une telle soirée, au moment où reviennent en mémoire les instants vécus, l'envie est forte de tous les faire revivre dans un récit. Mais en même temps se profile un désir de les tenir au fond de soi, comme un trésor qu'on ne peut partager parce que les mots n'auront jamais ni les couleurs, ni les impressions que le cœur profond a pu ressentir. Ainsi, quand, au début du deuxième acte, l'orchestre entame une longue mélopée traduisant l'une des plus belles pages de la littérature musicale, la grandeur de prépare l'auditoire à la cantilène sublime de Roméo « Ah ! lève-toi, soleil ! ». On se dit que cette musique est si belle, si inspirante qu'elle ne peut qu'être sublimée dans le chant. Et pourtant, ce ne sont que des notes, des points alignés sur des portées. Mais lorsque s'empare de cet air, nous devenons tous ce Roméo amoureux qui demande au soleil de se lever, de faire pâlir les étoiles pour qu'il puisse voir sa Juliette. Vêtu d'une simple chemise blanche, d'un pantalon noir, entouré de deux sévères estrades, devant une scène nue, habitée par un orchestre avec sur le fond les têtes dépassant d'un chœur mixte, rien n'est vraiment là pour créer un décor propice à ce que le chanteur veut nous faire entendre. Mais, quand son chant s'élève, intense, beau, tantôt éclatant puis soudain suppliant, la magie de l'interprète opère et chacun voit au-delà de la nudité scénique, cette place de Vérone dans la nuit profonde, le balcon et, l'amour.

Et comme si cela ne suffisait pas à notre bonheur, Benjamin Bernheim, comme pris au piège de ses propres émotions, offre l'un des plus beaux moments suspendus de cette soirée avec un duo d'amour admirable de vérité, de simplicité et d'authenticité qui se termine par un seul en scène qui n'est que l'expression d'un seul au monde, où Benjamin «Roméo» Bernheim dans un mezza-voce absolument divin nous donne le miel de sa voix dans un « Va ! repose en paix ! sommeille !… » qui restera longtemps gravé dans la mémoire des mélomanes.


Comme nous l'avons dit plus haut, les autres protagonistes calquent leurs possibilités musicales sur l'extraordinaire prestation du ténor franco-suisse pour porter haut les couleurs du chant français rarement offert dans un si bel écrin. Ainsi, nous avons aimé cette Juliette () quand bien même son encore jeune expérience la voit un peu timorée, comme ne faisant pas totalement confiance aux moyens qu'elle possède. Encore un peu d'audace et l'artiste dépassera la chanteuse. Reste qu'elle se love dans son personnage avec beaucoup de sincérité. A ses côtés, nous avons apprécié l'autorité vocale de la basse française (Frère Laurent), tout comme celles du ténor (Tybalt). Dans cette distribution remarquablement homogène, nous avons aimé l'aisance vocale et scénique du baryton (Le Comte Capulet) permettant à son entourage de s'appuyer sur un chanteur expérimenté. Des rôles moins sur le devant de l'intrigue, la mezzo-soprano (Stéphano) fait très bonne impression avec une voix solide, alliant puissance et agilité.

En fond de scène, l'Ensemble Vocal de Lausanne passe admirablement la rampe. Tout particulièrement quand, dans le prologue, il expose le climat de rivalité entre les familles des Capulet et des Montaigu. Dans cet exposé vocal de quelques minutes, on est immédiatement captivé par la capacité de cet ensemble de chanter dans le respect de l'intelligibilité du texte et de la diction. Quelle qualité de chant et d'interprétation collective. Chapeau ! C'est d'ailleurs une remarque générale qu'il convient de faire. Cette distribution, même si la supériorité vocale de Benjamin Bernheim est flagrante, tous, sans exception, se font un devoir de chanter et de « dire » la langue de Molière de façon exemplaire.

Occupant la plus grande partie de la scène, l' excelle sous la baguette attentive et musicale du jeune chef . Il tempère rapidement les cuivres de l'OCL qui s'accaparent la musique dans l'ouverture du prologue, se préoccupe à chaque instant des chanteurs. Maintes fois, on le voit se retourner pour s'enquérir d'une nuance, d'une note allongée, d'un départ de phrase.

Rarement une version de concert d'un opéra ne réussit comme ici à tenir le spectateur en haleine pendant près de trois heures d'horloge. Outre la qualité musicale, la réussite de ce spectacle, son intérêt, tient aussi à la mise en espace de . Intelligent, saisissant parfaitement les exigences du chant, il dirige les scènes avec beaucoup d'à-propos et, malgré les espaces scéniques réduits, il parvient à construire le drame des amants de Vérone de façon exemplaire.

En résumé, a trouvé son Roméo idéal. Moins rude que Roberto Alagna, moins carré que Jussi Björling, plus transi que José Carreras, plus viril qu'Alain Vanzo, Benjamin Bernheim regroupe toutes les qualités nécessaires au personnage de cet opéra. Il est, en somme, ce qu'était le Rolando Villazón d'il y a quinze ans mais avec une diction, un phrasé de la langue française et un sens de la poésie en plus. En juillet prochain, Benjamin Bernheim sera à l'Opéra Bastille pour une série de représentations de ce même opéra. À ne pas manquer !

Crédit photographique : © Raphaëlle Mueller

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