Lors d'une conférence de presse donnée fin décembre par l'Orchestre Philharmonique de Vienne, le directeur Daniel Froschauer et le chef Franz Welser-Möst ont perdu une occasion de défendre l'orchestre contre sa réputation d'être une institution conservatrice imprégnée de misogynie. Ils ont par là-même offert une opportunité à des voix politiques de rappeler que les femmes restent encore largement discriminées dans leur accès aux fonctions musicales.
Comme cela est rapporté dans une excellente analyse du Wiener Zeitung du 4 janvier 2023, tout a commencé par une question d'une journaliste espagnole, demandant quand une femme dirigera le Concert du Nouvel An. Cette question légitime a, selon les témoins, assombri l'humeur de la conférence de presse. Le directeur a répondu de manière vague que cela interviendra « le temps venu », précisant que les chefs invités doivent avoir une collaboration « d'au moins 10 ans » avec l'orchestre. Un critère qui permettrait à Simone Young de prétendre à être choisie depuis 2016, puisqu'elle a été la première femme à diriger les Wiener Philharmoniker en 2005. Franz Welser-Möst a, quant à lui, expliqué que cette musique viennoise exigeait beaucoup d'expérience (une interview publiée par le journal Merkur, le 1er janvier, donne un aperçu intéressant de son point de vue), et que cette musique était même « la plus complexe que l'on puisse diriger ».
A ceux qui douteraient que cette musique légère soit difficile à diriger, le visionnage des deux Concerts du Nouvel An de Carlos Kleiber de 1989 et 1992 leur démontrera comment un musicien peut emmener cette musique à des hauteurs inatteignables par les autres chefs. L'édition 2023 a cependant été un excellent cru sous la baguette d'un Franz Welser-Möst particulièrement inspiré, tant dans sa direction que dans les choix des pièces, et par la participation pour la première fois du chœur des filles (Wiener Chormädchen) qui a rejoint le chœur (masculin) des Petits chanteurs de Vienne (Wiener Sängerknaben). L'argument de l'expérience longuement murie avec les valses et polkas ne tient pas, des chefs éloignés de la tradition viennoise tels que Georges Prêtre et Gustavo Dudamel ayant brillamment réussi l'exercice. Après une première édition en 2008, le chef français avait d'ailleurs été réinvité dès 2010, les musiciens ayant particulièrement apprécié son phrasé et sa capacité à « laisser jouer ».
Franz Welser-Möst a tenté de couper court au débat en affirmant que le choix d'une femme pour diriger le Concert du Nouvel était « une question artistique, pas politique ». Malheureusement, l'histoire musicale regorge d'exemples où l'artistique a dû se plier au politique. Et c'est bien l'intention de Ursula Berner, la porte-parole culture des Verts à Vienne, de mobiliser l'opinion pour que les femmes musiciennes ne soient plus discriminées et puissent être rémunérées et acquérir la même expérience que leurs collègues masculins. Pour elle, l'attitude de Welser-Möst et de Froschauer n'est que misogynie et ignorance de la condition des femmes musiciennes.
Joignant le geste à la parole, Ursula Berner organise à la Mairie de Vienne une conférence-débats le 17 janvier 2023 sur le thème « Qui donne le ton? Vienne et ses musiciennes ». Seront abordés notamment les questions suivantes : « Quelle est la raison de ce déséquilibre [entre musiciens et musiciennes] et quel est le rapport avec les structures sociales ? Par où pourrait-on commencer pour apporter plus de diversité et d'équité dans le paysage musical de Vienne ? ».
Souhaitons que cet événement contribuera à donner aux cheffes d'orchestre la possibilité de diriger de merveilleux concerts de la Saint-Sylvestre et du Nouvel An, à Vienne, mais aussi à la Fenice de Venise, au Philharmonique de Berlin et ailleurs dans le monde. (JCLT)