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Trop belles mélodies d’Allan Pettersson par Peter Mattei

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Allan Pettersson (1911-1980) : Six mélodies (1935) ; Barfotasånger ou Mélodies « à pieds nus » (1943-45). Peter Mattei, baryton ; Bengt-Ånke Lundin, piano. 1 SACD hybride BIS Records. Enregistré en mars 2021 au Örebro Konserthus, Suède. Présentation en suédois, français, anglais, allemand. Textes des poésies en suédois et anglais. Durée : 71:35

 

À côté de son œuvre symphonique et concertante gigantesque, la musique vocale d' fait figure de portion congrue. Après la sortie de Vox Humana chez CPO, la maison BIS fait œuvre utile en présentant un album avec toutes ses mélodies, interprétées par des artistes suédois pour le moins intéressants, dont le baryton .

Les Six mélodies composées en 1935 font partie des œuvres de jeunesse, manifestement marquées par la souffrance d'une enfance mal vécue dans un milieu fruste, pauvre, où régnaient la violence, l'alcool et la bigoterie. Sans former un cycle à part entière, elles présentent une belle unité par leur mélange de provocation et de résignation, et par la tentation permanente du désespoir qui marque tout l'œuvre de Pettersson (voir notre dossier discographique par Jean-Luc Caron). Les Mélodies à pieds nus, composées plus tard, ont été conçues comme un cycle à part entière. Les similitudes avec le Winterreise de Schubert sont nombreuses : vingt-quatre mélodies, de nombreuses références thématiques (la marche, l'hiver, les oiseaux, le rêve…) voire des citations textuelles, et la même conclusion mystérieuse, fortement parente du Leiermann. Les poèmes, tous de Pettersson lui-même, présentent des formes populaires, strophiques et un langage simple, presque naïf. L'émotion qui s'en dégage est forte, sombre. La musique de Pettersson, d'une étonnante simplicité d'écriture, amplifie ce sentiment de violence rentrée, de douleur de vivre. Une douleur implacable, étouffante mais intériorisée jusqu'à la dépression. La quête n'est pas celle d'un amour impossible, mais plus fondamentalement du sens ou de l'utilité de vivre.

Il était très pertinent de confier cette intégrale des mélodies de Pettersson et particulièrement ces Barfotasånger à deux artistes suédois. au piano donne une lecture aussi transparente que possible, sans excès de lyrisme, mais sans non plus estomper les nombreux éclairs de lumière qui traversent cette grisaille de l'âme et des paysages. apporte les charmes de sa voix veloutée et sombre, étonnamment souple et longue. Ses attaques sont franches, mais ses liés un peu trop marqués car trop faciles. On l'a d'ailleurs souvent comparé à un crooner (ses collègues, certains critiques…), mais c'est exagéré. A sa probité vocale, s'ajoute encore l'efficacité de sa diction, qu'on devine impeccable. Tout devrait donc fonctionner à merveille dans cette version luxueuse des Barfotasånger, et pourtant, il y a quelque chose qui ne va pas. L'émotion ne vient pas, ou si elle vient, elle ne se maintient pas. Quand on écoute Vox Humana, l'autre grande pièce vocale de Pettersson, le cœur se serre aussitôt. Si on écoute sur YouTube les versions des Barfotasånger par Olle Persson (magnifique) ou par Bernt Kasberg Evensen (remarquable, quoique plus modeste), l'émotion nous submerge immédiatement, mais pas ici. Autre paradoxe de cette version : si on écoute individuellement telle ou telle mélodie en l'extrayant du cycle on est saisi par la splendeur et la profondeur presque sublime de chacun (« Le Bon Dieu marche dans les prairies »… « Les chiens près du rivage »… « Quand j'éteindrai ma lampe ».. ). Mais pris en lecture continue, le cycle s'étire et s'étale dans une sorte d'hédonisme qui fait presque contresens avec le caractère profondément désespéré de l'œuvre. Il n'y a pas assez d'âpreté, ni d'amertume dans ce que nous proposent et . La marche acharnée pieds nus sur la rocaille ou le bitume, devient ici une gymnopédie sur tapis de laine bien épais, sans coup de vent, sans coup de froid qui fouette le visage. Trop de beautés et de confort, pas assez de construction, de progressivité dans la désespérance. Il faut prendre ce disque pour ce qu'il est : une production de très belle qualité, une évidente avancée dans la discographie de l'œuvre vocale de Pettersson, mais pas pour une version définitive.

Vox Humana par l'ensemble vocal suédois SYD, Clef ResMusica : 

La voix humaine d'Allan Pettersson

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Allan Pettersson (1911-1980) : Six mélodies (1935) ; Barfotasånger ou Mélodies « à pieds nus » (1943-45). Peter Mattei, baryton ; Bengt-Ånke Lundin, piano. 1 SACD hybride BIS Records. Enregistré en mars 2021 au Örebro Konserthus, Suède. Présentation en suédois, français, anglais, allemand. Textes des poésies en suédois et anglais. Durée : 71:35

 
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