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Avant d'intégrer le « star system », le vicomte de Panette a beaucoup voyagé depuis sa conception en 1737. Il fait partie de la soixantaine d'instruments ayant subsisté à ce jour de la meilleure lutherie de Guarneri.
Luthier de Crémone au XVIIIe siècle, Bartolomeo Giuseppe Antonio Guarneri était le grand rival d'un luthier pas moins célèbre qui travaillait au même moment dans la même ville, Antonio Stradivarius, même si la production de ce dernier était bien plus conséquente que son concurrent. Membre d'une véritable dynastie de luthiers, le petit-fils d'Andrea Guarneri fut nommé « Guarneri del Gesù » en raison de l'abréviation IHS placée sur ses créations, faisant référence à « Jésus Sauveur des Hommes » orné d'une croix romaine. Ses instruments se démarquent par un style très caractéristique de C et f très allongés, emprunté à l'école de Brescia, soit des éclisses étirées et des ouïes démesurées, et par un coffre assez petit (35 à 35,5 cm). Ses plus belles pièces furent réalisées à l'apogée de sa carrière, pendant sa période de maturité dite « intermédiaire » qui s'est déroulée entre 1730 et 1740. La réputation de ses instruments a été initiée par Niccolò Paganini, qui fit l'acquisition de l'un des derniers violons fabriqués par le luthier en 1799. Déjà à l'époque, le célèbre violoniste évoquait la puissance de l'instrument dont « le son pouvait se déployer dans les salles de concert les plus vastes » ainsi que son son profond et chaud, autre particularité des Guarnerius.
De la France aux États-Unis
L'histoire du Vicomte de Panette nous est connue à partir des années 1840, lorsque le grand luthier français Jean-Baptiste Vuillaume (1798-1875) l'acheta pour 3 200 francs sous les recommandations chaleureuses du violoniste Delphin Alard. Reconnu comme l'un des meilleurs luthiers français du XIXe siècle, Jean-Baptiste Vuillaume a marqué l'histoire de la lutherie par son approche imprégnée par l'éthique et la beauté de l'école de Crémone. Ses instruments, violons, altos, violoncelles, contrebasses et archets, étaient en effet grandement influencés par les instruments anciens des grands maîtres italiens de Crémone. Les plus illustres violons sont ainsi passés par son atelier.
Jean-Baptiste Vuillaume décide de revendre le violon en 1847 au propriétaire qui lui donnera son nom légendaire : Jean-François Alphonse de Panette, dit vicomte de Panette. A ce jour, le montant de la vente reste malheureusement inconnu. Musicien et compositeur, fils du marquis de Panette envoyé par Napoléon pour cartographier la ville de Bourges, ce nouvel acquéreur était installé dans un hôtel particulier situé aujourd'hui en face de la préfecture, rue Henri-Ducros. Le « vicomte de Panette » fut ensuite détenu par la fille cadette du musicien à la mort de ce dernier en 1872. La princesse de Bélâbre le possédera jusqu'en 1926.
Revendu à des collectionneurs américains, le vicomte de Panette connaîtra un périple américain : d'abord à New-York de 1929 à 1947, puis à Chicago de 1929 à 1947, avant de revenir dans les salles de concert grâce à de glorieux interprètes.
D'Isaac Stern à Renaud Capuçon
Violoniste mondialement adulé au XXe siècle, c'est en 1947 qu'Isaac Stern devient le propriétaire du vicomte de Panette. Concertiste prolifique et inépuisable, Isaac Stern était capable d'assurer 120 concerts en seulement sept mois (en 1949 !). Accompagné de son violon « Panette » durant plus de cinquante ans, l'instrument et l'artiste sont en conséquence devenus indissociables, la sonorité sombre, boisée et colorée de cet instrument légendaire résonnant même dans le cercle arctique en 1944 ! Les nombreux enregistrements effectués par le musicien avec l'instrument sont un témoignage prolifique de cette page importante de l'histoire du vicomte de Panette.
Isaac Stern se résout à vendre le violon en 1994 au mathématicien et musicien américain David Fulton, grand collectionneur implanté à Seattle. Le vicomte de Panette sera ensuite racheté pour 10 millions de dollars par la Banque de la Suisse italienne (BSI) à destination d'un violoniste tout aussi célèbre que son prédécesseur : le français Renaud Capuçon, ancien élève de Stern.
Comme si cela était un destin inéluctable, avant d'obtenir ce violon, Renaud Capuçon avait demandé à son ancien maître une lettre de recommandation afin de trouver un mécène en vue d'acquérir un nouveau violon. Fait rare pour être souligné, ce sera la seule fois qu'Isaac Stern se pliera à l'exercice en ces termes :
« Verbier, 31 juillet 1995,
The young violonist Renaud Capuçon has taken part in an intensive 5 days of musical encounters here in Verbier.
He is certainly a most gifted young man with excellent technical command of his instrument and with very musical instincts. I am sure he can look forward to a richly satisfying career. He truly merits every support that can help him realize his full potential and reach his goals.
Isaac Stern. »
Il reste amusant de savoir aujourd'hui que ce sera le vicomte de Panette que choisira Renaud Capuçon, face au Guarneris de Yehudi Menuhin, conquis immédiatement par la « sensation d'une palette de couleur infinie et de n'avoir aucune limite dans la production du son. » Quoi de mieux en guise de conclusion, que de laisser la parole à l'actuel compagnon de route du vicomte de Panette : « la sensation la plus étonnante en le jouant, c'est lorsque l'on souhaite en augmenter la puissance et jouer plus large, de manière plus puissante : on a alors l'impression que l'on peut développer cette expérience de son quasiment à l'infini. La sonorité du Vicomte de Panette n'est jamais agressive – sauf si l'on force -, mais toujours soyeuse et ombrageuse ; tendre ou rauque parfois, mais jamais dure. Sur la corde du sol, le timbre est proche de la voix d'alto de Kathleen Ferrier. » (Renaud Capuçon)
Bibliographie
La Tour du Luthier, blog WordPress, octobre 2018.
CAPUCON Renaud, Mouvement perpétuel, Flammarion, 2020.
REYSSAT Sophie, Un violon de Guarneri « del Gesù » millionnaire, La Gazette Drouot, juin 2022.
TOBISCH Léopold, Issac Stern : 10 (petites) choses que vous ne savez (peut-être) pas sur le grand violoniste, France Musique, juillet 2020.