Dans ce court roman, Hervé Mestron réussit avec talent à nous transporter au sein de la problématique bien connue de l’histoire du crâne de Mozart, qui lui inspire un récit oscillant habilement et plaisamment entre passé et présent, personnages historiques et fictifs.
Des allers et retours dans le temps s’appuient donc d’abord sur de des faits nombreux et légendaires mais jamais scientifiquement validés par des études irréfutables. La trame du texte dessine une sorte de triangulation réussie entre, d’abord, plusieurs éléments exposés par des musicologues et des scientifiques dans certaines études, puis fait alterner avec talent l’intervention de la voix de l’alto du compositeur qui décrit sa proximité avec son propriétaire, autant physique que psychologique, et enfin des personnages contemporains dans le récit qui occupent une part importante du texte et évoluent à notre époque. Ces derniers se démènent pour résoudre l’énigme du crâne de Mozart. L’appartenance du compositeur à la franc-maçonnerie occupe également une place conséquente.
La réelle habileté de Hervé Mestron à jongler avec tous ces paramètres traduit un franc plaisir et une dégustation savoureuse des situations qu’il génère. En dire davantage ne pourrait que nuire à la curiosité des lecteurs et au déroulé du roman. Il nous suffira d’indiquer que cet opus se lit avec autant de plaisir et de gourmandise qu’il a alimenté l’imagination de l’écrivain.
Une plongée véritable et réussie dans le monde onirique de Hervé Mestron que l’on ne saurait que chaleureusement recommander.
Ndlr : Hervé Mestron a été collaborateur de ResMusica entre 2019 et 2020
Plus de détails
Hervé Mestron. Le Crâne de Mozart. Editions Zinedi. 134 pages. Octobre 2022. 14,90€
Zinedi
Respect pour ce crâne : La Muse ne laisse pas mourir un homme digne d’éloges (Musa vetat mori (Horace). Inscription écrite sur le crâne par l’anatomiste Hyrtl.
Quand Pivot parle de Mozart et de sa musique « drogue douce » il me fait penser à ces quelques phrases de Paul Morand qui décrit l’Autriche à genoux entre les deux guerres et sa musique « au plus près du ciel » qui lui a permis de survivre. Ainsi la musique aide à mourir mais aussi à survivre. Respect pour ce crâne
Bernard PUECH
*LA VILLE DU SEL*
Au lendemain de la guerre, l’Autriche avait tout perdu; son empereur, son
aristocratie, son administration, sa foi religieuse, son territoire, sa fortune et son
prestige. Elle avait la fin triste des bons vivants; son âme voluptueuse n’était pas
de celles que le malheur grandit; trop blanches ses mains pour le travail, cette
autre infortune; elle avait distribué son coeur d’artichaut à tous les coins de la
Double Monarchie; ses peuples n’étaient reliés l’un à l’autre que par un cheveu,
que par un poil des favoris de François-Joseph; son corps avait durci dans
l’automatisme du fonctionnariat, son cerveau s’était sclérosé dans les charges
héréditaires. Elle fut vite au fond du gouffre.
Là, elle se ressaisit. Elle fit son bilan, avec cette bonne humeur dans l’infortune
qui est le vrai soleil de l’Europe Orientale, avec cette insouciance qu’on retrouve
chez tous ceux que l’Asie a touchés : Slaves, Balkaniques ou Turcs. Il lui restait
Vienne, le plus important carrefour du Vieux Continent; il lui restait ses palais,
décor du passé; il lui restait ses montagnes, vivier des générations à venir; il lui
restait ses Juifs, les plus charmants, les plus rieurs; il lui restait son coeur
rococo; il lui restait la sympathie de l’univers et l’amour de tous ses ennemis;
et enfin, il lui restait la musique. En Autriche, on plaisante avec tout, mais
pas avec la musique.
La musique aide à vivre. Sans musique, l’Autriche serait morte. Elle leva la
tête et, du haut du Tyrol, elle entendit la flûte enchantée : l’art le moins
terrestre avait élu domicile au plus près du ciel, dans l’air le plus pur
d’Europe, entre la pente danubienne et la pente rhénane. A Salzbourg, ville
du sel, du sel qui nourrit comme le pain, qui rend aussi imputrescible que le
froid, qui durcit le squelette et le rend apte à supporter les plus lourds
fardeaux. Musique, sel de la terre. A Salzbourg, patrie de Mozart, l’enfant le
plus applaudi, l’homme le plus maltraité, le pianiste le plus célèbre, le
maître le plus mal payé, Mozart, ce dieu qui vécut comme un saltimbanque,
mangea avec le domestique et fut enterré avec les gueux…
(Le dernier été de Salzbourg Paul Morand 1938)