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Le Vieil homme, La Jeune fille, la Mort, Glass et Schubert par le Quatuor Tana

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Besançon. Les 2 Scènes. Théâtre Ledoux. 8-XII-2022. Caroline Shaw (née en 1982) : Entracte. Philip Glass (né en 1937) : Quatuor n°9 King Lear. Franz Schubert (né en 1797-1828) : Quatuor n°14 La Jeune fille et la mort. Avec : Quatuor Tana (Antoine Maisonhaute, Ivan Lebrun, violons ; Takumi Nosawa, alto ; Jeanne Maisonhaute, violoncelle)

Dans le cadre d'un focus , le fait halte au Théâtre Ledoux de Besançon. L'occasion de faire le point sur le statut de la mélodie au XXIᵉ siècle.


A l'orée de ses 86 ans, la musique de s'installe pour deux mois dans la capitale comtoise. Une invite ouverte par une conférence de Sylvain Fanet, assurément homme de l'année 2022 pour tous les glassiens, puisqu'auteur du premier livre en français sur le compositeur, et qui se poursuivra en 2023 avec Les Enfants terribles mis en scène par Phia Ménard, avant de se conclure par une Nuit Qatsi consacrée à la trilogie cinématographique culte : Koyaanisqatsi, Powaqqatsi, Naqoyqatsi.

A l'heure où d'aucuns remettent en cause la théorie qui voudrait faire accroire que l'on est allé jusqu'au bout de la mélodie mais que la recherche sur le son a encore de beaux jours devant elle, le , en héraut du quatuor au XXIᵉ siècle, apporte la plus intelligente des objections. Familiers de Philippe Hurel, Jacques Lenot, Steve Reich, ambassadeurs de patronymes moins connus, les Tana sont aussi des pionniers en matière de recherche : pour mixer l'acoustique et l'électronique, ils ont créé leurs propres instruments, les TanaInstruments. Mais le plus original reste très certainement que les Tana n'ont pas regardé de haut l'art et la manière de qui, avant-gardiste quoi qu'on en eût dit, a osé, à rebours des chapelles en exercice, ré-inviter (en la ré-inventant) la mélodie dans une musique contemporaine dont on la craignait à jamais bannie.

Le ne pouvait faire l'impasse sur l'apport au genre de Glass qui, dès 1966, a composé pour cette formation. C'est pour le jeune quatuor français, qui a enregistré une magnifique intégrale (CD Magadisc Classics) de ses sept premiers quatuors, que le compositeur américain a conçu son neuvième. A l'instar du Troisième (Mishima) qui recensait pour partie les moments chambristes de la sensationnelle B.O. du puissant film de Paul Schrader, le Neuvième est une réduction de moins de trente minutes de la musique de scène de moins d'une heure du King Lear que Glenda Jackson joua à New York en 2019. On a dit dans ces colonnes la beauté du disque (qui proposait aussi le Huitième Quatuor). On dira aussi celle de l'interprétation en direct d'un programme remarquablement pensé autour de ce King Lear étrenné au début de l'année au Bozar de Bruxelles.

Glass nous avouait être préoccupé, par les héritiers de Boulez. Les siens se portent apparemment bien : le merveilleux Entracte de , donné malicieusement en ouverture de concert, est un parfait exemple de cette décomplexion mélodique questionnée depuis 50 ans par celui surnommé aujourd'hui encore le Pape du minimalisme, mais aussi de cette recherche sur le son prônée pour elle-même, à la différence qu'ici les deux se nourrissent l'une l'autre au mépris de toute argutie stérile. Les douze minutes d'Entracte disent haut que ce n'est pas parce qu'on est né au XXᵉ siècle que l'on doit être sevré de mélodies nouvelles (nos remerciements, bien sûr, à Honegger, Poulenc, Britten et Chostakovitch…) Entracte, dès l'accroche d'une introduction qui est la séduction même, intrigue dans la foulée avec la production d'un son qui semble provenir du néant (la partition indique : « son d'archet sans hauteur »). Un procédé qui semble illustrer le questionnement qui taraude Glass depuis toujours : d'où vient la Musique ? Quelques adorables miaulements de chats en musique plus loin, la pièce, tripartite à la façon d'un menuet, aura captivé jusqu'au bout. Pédagogue plein d'humour, adepte de la proximité avec le public, Antoine Maisonhaute avait prévenu : née en 1982, chanteuse et violoniste, (prix Pulitzer à 30 ans) est une brillante compositrice.

On ne pouvait trouver meilleure ambassadrice pour King Lear, accessoirement « le meilleur quatuor de Glass, jubile Maisonhaute, puisqu'il nous est dédié ». Il s'agit d'un intarissable puits mélodique qu'assombrissent fugacement quelques dissonances spectrales pour figurer la lande et la folie du roi shakespearien. Les Tana cisèlent les cinq mouvements d'une ligne claire sans afféterie, dont la subtile technicité comme la pure transparence invalident l'acoustique réputée sèche du Théâtre Ledoux dans lequel la beauté du son des Tana se développe à loisir jusqu'à l'hypnose.

Après Le Vieil homme et la mort glassien, La Jeune fille et la mort schubertienne. Sans préambule, les Tana se lancent à corps perdus dans une interprétation extrêmement fiévreuse de cet opus également déchirant. Si l'ardeur juvénile des mouvements extrêmes peut encore gagner en cohésion du son (la fin est un peu abrupte), l'Andante con moto est de pure beauté avec un violoncelle particulièrement étreignant dans les moments où le rubato des pizzicati relance le discours.

Suivi par une salle nombreuse et attentive (qualifiée d'exceptionnelle par Antoine Maisonhaute), le couplage harmonieux de ce passionnant Glass/ Schubert, comme l'avait fait, dans le même lieu, le Glass/Ravel de Celia Oneto Bensaid en 2020, atteint son cœur de cible, et confirme la position désormais classique, dans l'histoire de la Musique, du compositeur assurément le plus romantique de notre temps.

Crédits photographiques : © Nathalie Gabay

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