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À L’Opéra de Liège, la réhabilitation flamboyante de la rare Alzira de Verdi

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Liège. Opéra Royal de Wallonie-Liège . 3-XII-2022. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Alzira, opéra en deux actes et un prologues sur un livret de Salvatore Cammarano, d’après la tragédie de Voltaire « Alzire ou les Américains ». Mise en scène et lumières : Jean-Pierre Gamarra. Décors et costumes : Lorenzo Albani. Avec : Franscesca Dotto : Alzira ; Luciano Ganci : Zamoro; Giovanni Meoni : Gusmano; Luca Dall’Amico : Alvaro; Roger Joakim : Ataliba; Marie-Catherine Baclin : Zuma; Zeno Popescu : Otumbo; Alexandre Marev : Ovando. Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie, direction : Denis Segond. Orchestre de l’Opéra royal de Liège-Wallonie, direction: Giampaolo Bisanti

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Avec Alzira, opéra de jeunesse de verdi, l'Opéra Royal de Wallonie-Liège crée l'évènement par la rareté de son choix et par la qualité de la représentation. 

Composé en 1845 pour le prestigieux Teatro San Carlo de Naples, Alzira sur un livret de Salvatore Cammarano, inspiré de la tragédie voltairienne éponyme n'a pas bonne presse. Poliment accueilli non sans quelques railleries à la création napolitaine, il fut éreinté par la critique milanaise lors des représentations à la Scala, un an plus tard.

Rappelons-en brièvement l'intrigue à la fois simple et rocambolesque, située historiquement lors de la soumission par la force du Pérou inca aux conquistadors espagnols. Au prologue l'Inca Zamoro épargne la vie de son captif, le gouverneur espagnol Alvaro, et le relâche ; la fiancée du chef-guerrier autochtone, la princesse Alzira est prisonnière à Lima, retenue avec père et mère. Au premier acte Gusmano, le fils d'Alvaro veut sceller la paix avec le peuple en épousant la princesse. Zamoro pénètre dans le palais pour libérer sa promise mais est aussitôt arrêté. A son tour il est épargné grâce à l'intervention d'Alvaro et au vu d'une grondante révolte armée du peuple (in)soumis. Au second acte, les Incas ont été défaits par les Espagnols. Zamoro est à nouveau captif et cette fois condamné au bûcher : Gusmano est prêt à l'épargner si Alzira accepte enfin le mariage forcé. Zamoro, échappé de sa geôle, se mêle à la foule en liesse réunie pour la cérémonie, déguisé en Espagnol et poignarde Zamoro. Agonisant ce dernier pardonne au nom de sa foi chrétienne et bénit l'union d'Alzira et Zamoro. Verdi est ici sans doute attiré, au-delà de l'exotisme et l'historicité du livret, permettant des scènes costumées à grands effets dramatiques, par ces conflits latents entre paganisme et chrétienté et entre raisons de cœur et d'état, entre peuple opprimé et conquérants totalitaires. « Mettez-y beaucoup de passion et vous verrez que j'écrirai de la bonne musique » écrit –il à son librettiste ! Las ! Après le four milanais, Verdi, en pleine dépression lui-même semble avoir désavoué l'œuvre (qu'il qualifie de brutto dit-il, c'est-à-dire affreuse !)


C'est l'un des grands mérites de cette coproduction mosane (en partenariat avec l'ABAO-Opéra de Bilbao et le Grand Théâtre National du Pérou à Lima) que de jouer la carte de la sobriété. Pour le metteur en scène , « l'occidentalisation de l'Amérique (par la force et la brutalité) n'a pas seulement signifié l'imposition d'une nouvelle culture » mais aussi et surtout un vol ou une profanation de la Terre, un outrage envers les dieux, les femmes, en sus d'une spoliation des richesses locales. C'est ainsi que sera figurée ce soir la pureté candide de cette Terre par le leitmotiv visuel de cette parcelle envahie d'herbes sauvages presque flétries. Ainsi aller au-delà du seul sentiment de propriété, ou du droit de sol, pour une véritable communion avec la Nature, dans un sentiment divin d'adoration. Refusant de jouer la carte tant de l'exotisme que de l'historicisme à sens unique, le metteur en scène, d'origine péruvienne, fait montre par une probe et symbolique mise en espace de la mécanique dramatique. S'il est contredit par les nombreux anachronismes du livret, il s'en joue par la multiplicité des références. Il adopte un classicisme gestuel a minima, un rien statique dans les grands ensembles, sans surligner de manière abrasive, provocatrice ou pathétique les invraisemblances du synopsis (comme par exemple ce pardon express de Gusmano en guise d'hallali).

Il peut compter sur la complicité de Lorenzo Albani auteur des décors et costumes, lequel relaie parfaitement sa conception. La chambre de captivité d'Alzira sera figurée par ses fines chaines suspendues aux cintres, et la macabre cérémonie nuptiale finale sera très économe de moyens avec ce promontoire lumineux – un rien hollywoodien – emportant un Gusmano mourant, laissant en paix la Terre sacrée à ses premiers possesseurs. Ailleurs, Albani jongle avec les poncifs – le complet-veston avec chapeau-claque affublant les Espagnols conquérants, lors de la cérémonie du mariage ou ce costume d'apparat trop serré ceignant Gusmano, recevant au mitan de l'ouvrage une couronne de pacotille, symbole d'un pouvoir usurpé. Ailleurs, il multiplie les référents vestimentaires en revêtant le peuple inca d'habits d'inspiration traditionnelle péruvienne.


Musicalement, en à peine cent minutes, voilà un Verdi rapidement expédié, où les lieux communs musicaux sont nombreux : mêmes ostinati rythmiques d'orchestre répétés à l'envi, à l'occasion vulgarité consommée de certains énoncés mélodiques, orchestration parfois banale. Mais l'œuvre, très drue pour les trois principaux protagonistes, est aussi par moment une entrevue de bien des grandes pages à venir.

Le rôle-titre victimaire annonce de très loin les tribulations d'une Elisabeth de Valois ou d'une Desdemone, déjà bien connue dans la Péninsule et à l'orée d'une grande carrière internationale (notamment, outre à Liège, donc, au Wiener Staatsoper, ou à Hong-Kong) en donne une très émouvante et sensible incarnation, vocalement irrésistible : avec ce timbre charnu et homogène sur toute la tessiture, ce vibrato d'émission agréable et totalement maîtrisé et ce sens inné du légato : elle est de surcroît très convaincante scéniquement malgré les quelques contorsions imposées par la mise en scène. Zamoro, ténor héroïque par excellence, est dans l'écriture du rôle et sa conception le frère aîné du Manrico du Trouvère. en donne une incarnation vaillante, héroïque, mais assez dichotomique sur le plan des nuances et des intentions, passant de pianissimi les plus impalpables à de vrombissants fortissimi : ce très attachant ténor, à l'abattage presque « animal », issu de la nouvelle génération lyrique italienne fait montre toutefois d'une certaine fatigue vocale au second acte ou son aigu ailleurs semble moins affûté. Gusmano est le prototype-même des grands rôles de baryton-basse héroïque verdien : l'on songe à Macbeth, à Boccanegra voire même dans le long monologue et splendide monologue final à Philippe II. C'est à , un habitué bien connu de la scène mosane qu'incombe cette incarnation, qu'il assume avec une trempe vocale et une assise scénique assez extraordinaires. On ne peut qu'en louer le timbre tour à tour ténébreux et mordoré, la superbe conduite vocale, la puissance d'incarnation scénique.

Les rôles secondaires sont pratiquement tous aussi convaincants. , autre habitué de la scène liégeoise, manque peut-être dans le rôle du père Alvaro de puissance et de rondeur dans le registre grave, mais il confère une fêlure humaniste et lasse au rôle de sa voix un rien fatiguée. Il faut citer aussi , fidèle entre les fidèles à l'opéra mosan, absolument parfait en Ataliba, le père dépossédé contrit et las de l'héroïne. , en maternelle et consolatrice Zuma, est irréprochable à la fois de tendresse meurtrie mêlée de sentiment revanchard. Le très jeune , au timbre suave mais un peu « blanc », en formation à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth, et à la MM Academy de La Monnaie, se montre toujours aussi prometteur lors de sa courte apparition en Ovando. Seul peut-être Zeno Popescu en guerrier inca Otumbo est en léger retrait de cette distribution, par la faute d'une vocalité plus désordonnée et d'une présence scénique un rien brouillonne.

Les chœurs, assez essentiels dans l'orientation de l'action aux moments les plus cruciaux, désormais cornaqués par l'excellent , se révèlent à la hauteur de l'enjeu, par leur implication aux accents tour à tour féroces, consolateurs ou magnanimes.

Mais le champion du jour est sans aucun doute l'excellent , nouveau directeur musical de l'institution : dès une ouverture sensible et très ciselée menée à la tête d'un orchestre à la cohésion heureusement retrouvée, le chef italien ménage ses effets en parfait connaisseur du style verdien, et tout au long du spectacle, maintient avec style une parfaite coordination entre fosse et plateau. Sa direction se révèle ductile et énergique, dramatique à souhait mais sans jamais tomber dans la caricature, l'effet facile ou la trivialité. A ce titre, l'on attend impatiemment les prochaines apparitions de cette baguette très avertie à la fois élégante et très engagée, véritable fer de lance de l'équipe chapeautée par le nouvel intendant liégeois .

Crédits photographiques © Opera Royal de Liège -Wallonie- J. Berger

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