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Quelques diamants musicaux à découvrir du jardin secret de Nelson Freire…

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« Memories, The Unreleased Recordings 1970-2019 ». Christoph Willibald Gluck (1714-1787) : Mélodie extraite d’Orphée et Eurydice (arr. Sgambati). Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Jésus que ma joie demeure (arr. Myra Hess). Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Andante favori WoO 57 ; Bagatelle op. 119 n° 11 ; Concerto pour piano n° 4 op. 58. Richard Strauss (1884-1949) : Burleske pour piano et orchestre. Claude Debussy (1882-1918) : La plus que lente. Heitor Villa-Lobos (1887-1958) : Preludio de la Bachianas Brasileiras n° 4. Béla Bartók (1881-1945) : Concerto pour piano n° 1. Johannes Brahms (1833-1897) : Concerto pour piano n° 2 op. 83 ; Intermezzo op. 118 n° 2. Nelson Freire, piano ; Orchestre symphonique de la radio de Stuttgart, direction : Uri Segal (Beethoven) ; Orchestre symphonique de la SWF de Baden-Baden, direction : Zoltán Peskó (Strauss) ; Orchestre symphonique de Francfort, direction : Michael Gielen (Bartók) et Horst Stein (Brahms). 2 CD Decca. Enregistrés entre octobre 1972 et février 2019 à Berlin, Stuttgart, la Chaux-de-Fonds, Baden-Baden, Harburg, Francfort et Leipzig. Notice en français, anglais et allemand. Durée totale : 120:36

 

Disparu le 1er novembre 2021, le pianiste brésilien lègue à la postérité le souvenir d'un maître des couleurs et de l'élégance. Sa discographie, la plupart du temps exceptionnelle, ne reflète qu'une partie de son répertoire. Tout inédit est, par conséquent, bienvenu malgré les quelques réserves émises dans cette chronique.

Si l'on compare le parcours discographique de avec celui de ses confrères de la même génération, on ne peut que regretter sa faible présence sur ce média du moins jusqu'aux années 2000, lorsqu'il rejoignit Decca. Dominic Fyfe qui produisit les enregistrements de l'artiste pour le label entre 2002 et 2019 présente les bandes de sources diverses (sessions berlinoises de 2014 et captations radiophoniques entre les années 70 et 1985 auxquels s'ajoutent des “bonus” des années 2000 parus en numérique uniquement). Comme dans la plupart des hommages posthumes se pose la question de la qualité technique des archives et de leur pertinence artistique. Question d'autant plus épineuse lorsque l'artiste fut un perfectionniste d'un tel niveau…

« Nous sommes trop obsédés par la puissance du toucher et nous avons oublié ce qu'est un jeu “perlé” qui chante » nous confiait dans une interview au début de sa collaboration avec Decca. Encore faut-il que les prises de son soient à la hauteur et ne dénaturent pas le travail du pianiste. Abordons ce qui nous semble problématique, essentiellement dans le premier volume. Que ma joie demeure de Bach débute avec un défaut technique inacceptable dans la première mesure. Le piano mal réglé – jusqu'aux pédales – agace fortement. L'instrument aux basses lourdes et capté de manière absurde dans l'Andante favori de Beethoven gâche en partie notre intérêt pour une lecture qui fait preuve d'un humour rare. On sera plus sévère avec la prestation du Symphonique de Stuttgart accompagnant “à la hache”, le soliste dans le Concerto n° 4 de Beethoven. La formation aux attaques pachydermiques et aux timbres acides n'est pas fichue de garder la tension entre deux phrases ! La casserole qui sert d'instrument – au début cela sonne comme un mauvais pianoforte – est désespérante. Et pourtant. Le toucher perlé de fascine dans les somptueuses cadences (celles de Saint-Saëns !) jouées avec une liberté d'inspiration réjouissante. Nous nous souvenons de ce même concerto joué lors d'un concert dirigé en 2017 par Louis Langrée avec l'Orchestre national de France…

Tenue de bout en bout grâce à la baguette de , la Burleske de Strauss est plus lisztienne que nature, à la fois par sa dimension diabolique (souvenez-vous de la Totentanz de Liszt que Freire grava pour CBS avec Rudolf Kempe) et son côté “fantaisie baroque”. Nelson Freire ne cesse d'interroger la partition, de provoquer le dialogue avec l'orchestre. C'est tout aussi inventif et luxuriant que chez Gulda, Argerich, Janis et Richter. Du côté des petits “diamants” de ce disque, La Plus que lente de Debussy, le Preludio de Villa-Lobos et sans oublier l'incontournable “bis” de concert, la mélodie d'Orphée et Eurydice de Gluck-Sgambati magnifient la pâte sonore de l'interprète. Le toucher est sans une once de dureté. Le son se projette loin et il chante car Nelson Freire utilise au maximum la pulpe des doigts, transmettant également une légère vibration à certaines notes. Cela crée un sentiment de naturel et de raffinement mêlés.

Au sommet de cette édition, plaçons le Concerto n° 1 de Bartók. La prise de son est en phase avec l'interprétation et un chef d'une dimension exceptionnelle. Le néoclassicisme exalté de l'écriture place le piano dans son registre essentiellement percussif. Le dialogue entre Gielen et Freire est de l'ordre de l'instinctif, mais un “instinctif” qui se traduit par une expression d'allégresse et un art du chant qui culmine dans l'andante. On devine Nelson Freire heureux de relever le défi et de jouer des oppositions de timbres, mais aussi avec les sarcasmes du finale qui nous entraînent dans le souvenir du Mandarin merveilleux. Par son côté fauve, cette grande lecture fait songer à celles d'Anda (notamment avec Gielen).

Brahms, enfin. L'Orchestre de la Radio de Francfort n'est pas le Gewandhaus de Leipzig, celui de 2005 capté en public et sous la direction de Riccardo Chailly. Mais, ici, le combat aussi dur et âpre soit-il, réjouit. Il faut compenser l'instabilité, le manque de finition des timbres de l'orchestre (cuivres écrasés, bois trop régulièrement en décalage) et la prise de risques assumée par un élan et des nuances saisissantes. En musiciens de théâtre, et Nelson Freire s'accordent sur une narration dramatique et fougueuse assurée par des cordes au vibrato bien chargé, mais qui tiennent toute l'architecture de cet immense vaisseau. L'auditeur entre dans une tempête et perçoit tout ce qu'une telle interprétation révèle d'engagements, de force physique, de virilité et d'éloquence. Oublions Leipzig et gardons l'enthousiasme de ce jeu grazioso et comme illuminé par le sourire immortel de Nelson Freire.

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