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Les affinités électives brahmsiennes selon Pierre Lénert et Etsuko Hirose

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Johannes Brahms (1833-1897) : deux sonates pour alto et piano en fa mineur et en mi bémol majeur op. 120. Clara Schumann-Wieck (1819-1896) : trois romances pour violon et piano op. 22. Joseph Joachim (1831-1907) : trois mélodies hébraïques pour alto et piano op. 9 ; romance pour violon et piano en ut majeur. Pierre Lénert, alto et violon (dans les romances) ; Etsuko Hirose, piano. 1 CD Continuo Classics. Enregistré au studio Sequenza de Paris en mars 2021. Textes de présentation en français et anglais. Durée : 77:39

 

L'altiste , super soliste à l'Opéra de Paris et la pianiste  proposent une nouvelle gravure des sonates opus 120 de , complétées intelligemment par des pages émouvantes de deux amis intimes du maître hambourgeois : et Clara Wieck-Schumann, dont les pages sont données alternativement à l'alto… et au violon!

On sait que Clara et Joseph assistèrent, en novembre 1894, à la création des deux sonates de l'opus 120 composées par leur ami Johannes à l'intention du clarinettiste Richard Mühlfeld, et qu'ils suggérèrent, en habituels mentors du génie brahmsien, non seulement une version totalement repensée destinée à l'alto mais encore une autre alternative beaucoup moins connue et rarement donnée pour le violon. La conception de ces nouvelles moutures imposa par endroit une refonte assez profonde du texte original. La version pour alto ici présentée contribua sans nul doute à une plus grande popularité de ce chant du cygne chambriste, vu les redoutables difficultés de la version originale pour clarinette.

L'an dernier, le duo Tamestit-Tiberghien (Harmonia Mundi) en proposait, par le truchement d'un piano Bechstein d'époque, une approche pudique et automnale, presque historique et infinitésimalement colorée. Au contraire, et affirment une conception plus tranchée et prennent ces deux ultimes chefs d'œuvre chambriste à bras le corps. Voici une vision ample et dynamique, parfois presque « symphonique » dans ses répliques pianistiques (op. 120 n°1), alliant sens du contraste et souci de la narration. La première sonate prend ainsi ici des accents tour à tour tragiques (premier temps), consolateurs (mouvements médians) voire même joyeux (finale) alors que la seconde – hormis un sostenuto central d'une poésie brûlante se veut ici plus apaisée et sereine dans ses temps extrêmes, notamment lors des sublimes ultimes variations du final.

Pierre Lenert s'est déjà signalé par plusieurs remarquables enregistrements chambristes en compagnie de Cédric Tiberghien ou Eliane Reyes, et aussi par la parution chez Paraty de « sa » vision unique – et à l'alto !- des vingt-quatre caprices opus 1 de Paganini.
Il joue – de son magnifique alto Vuillaume de 1865 ( le « Cheremetièv ») – au fil de la première sonate brahmsienne la carte d'une grande variété expressive, par un engagement de tous les instants et trouve en – superbe pianiste remarquée en solo pour de remarquables disques Moszkowski (chez Danacord) ou Lyapounov (chez Mirare) une partenaire chambriste partageant la même vision ample et contrastée : celle-ci offre une réplique parfaite par sa sonorité chaude nourrie, par son sens quintessencié de la respiration commune, et par une mise en valeur très différenciée de la trame polyphonique souvent touffue. En résulte une conjonction de tous les instants entre les interprètes, aboutissant à une idéale caractérisation de chaque mouvement. Le long premier temps de la première sonate voit l'émotion pudique (mesures 105 et suivantes) le disputer à la ferveur voire au pathos très contrôlé (à partir de la mesure 192) au risque çà et là d'une certaine raucité de la sonorité de l'alto (aux alentours de la mesure 13 ). Loin de toute méditation rêveuse ou extatique l'andante un poco adagio vise d'avantage à la plénitude sonore voire à une certaine impatience expressive. Mais quel plaisir d'entendre un allegretto grazioso tour à tour élégant et rustique dans ses accents presque dansants et de voir restitué avec une confondante et véloce éloquence le Vivace final !

Les interprètes au fil de la seconde sonate scrutent d'avantage les demi-teintes (allegro amabile) et observent plus minutieusement encore les nuances du texte, notamment au fil d'un très orageux sostenuto central. La communion musicale est portée à son acmé au gré des humeurs du thème et variations final par un sens aigu de la gradation dynamique – depuis la simplicité poignante de l'énoncé initial jusqu'à l'effervescence de la coda.

Mais plus encore que cette très belle version de l'antépénulitième opus brahmsien, intéressante par sa spontanéité et sa franchise de ton et assez remarquable au sein d'une discographie pourtant pléthorique et de haut niveau, on admirera l'intelligence et la rareté du couplage. Les œuvres retenues nous replongent quarante ans en arrière, au moment de la découverte par le couple Schumann du jeune Brahms et de l'amitié naissante entre Johannes et Joseph.

Les fameuses – et presque ultimes, avant un silence compositionnel de près d'un demi-siècle – Romances opus 22 de -Wieck, de 1853 dédiées à , permettent de retrouver … au violon dont il joue aussi très bien. Il est vrai que ce recueil intimiste exploite – à la manière de l'opus 105 de l'époux Robert – le registre le plus grave de l'instrument, sonnant quelque peu à la manière d'un alto! Les deux interprètes y déploient un sens aigu de la poésie perlée et suave, sans aucun effet de manche gratuit (notamment au fil de la douloureuse et vespérale troisième leidenschaftlich schnell). Voici une belle alternative à la version plus standardisée et davantage extravertie de Lisa Batiashvili livrée chez DGG en compagnie d'Alice Sara Ott.

L'absolue rareté de album demeure toutefois dans les trois amples Mélodies hébraïques op. 9 de (1855) conçues pour l'alto – le maître possédait un Gasparo de Salo de 1609 – et dont le duo Lénert-Hirose exalte à la fois la ferveur pathétique et le feu romantique et livre la version discographique de référence.

La courte romance sans numéro d'opus pour violon et piano du même compositeur, toute de poésie feutrée et un rien plus salonarde, conclut ce disque fervent avec le même sentiment de créative intimité et de parfaite entente entre les deux partenaires, même si ici la sonorité de Pierre Lénert (derechef au violon) dans l'extrême aigu nous semble d'avantage gercée et la justesse un soupçon plus approximative.

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Johannes Brahms (1833-1897) : deux sonates pour alto et piano en fa mineur et en mi bémol majeur op. 120. Clara Schumann-Wieck (1819-1896) : trois romances pour violon et piano op. 22. Joseph Joachim (1831-1907) : trois mélodies hébraïques pour alto et piano op. 9 ; romance pour violon et piano en ut majeur. Pierre Lénert, alto et violon (dans les romances) ; Etsuko Hirose, piano. 1 CD Continuo Classics. Enregistré au studio Sequenza de Paris en mars 2021. Textes de présentation en français et anglais. Durée : 77:39

 
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