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À Liège, les prodigieuses notes fondamentales de Nelson Goerner

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Liège. Salle Philharmonique. 27-XI-2022. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonate pour piano n°28 en la majeur op.101 ; Robert Schumann (1810-1856) : Carnaval op.9 ; Franz Liszt (1811-1886) : Sonate en si mineur. Nelson Goerner, piano

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Il est une des « 5 étoiles » du piano invitées par l'OPRL à jouer en récital sur la scène de la en cette saison 22-23, intitulée « Notes Fondamentales ». y interprète trois pièces maitresses du répertoire.

L'OPRL propose chaque saison au public liégeois une abondante programmation symphonique, cette année marquée par le bicentenaire César Franck, mais aussi une série consacrée au piano avec cinq récitals d'artistes triés sur le volet. La pianiste sud-coréenne Yeol Eum Son a été la première à s'y produire en septembre. C'est, en cette fin novembre, un familier de la maison que l'on a pu entendre, . Cette belle salle liégeoise, il la connait très bien pour y avoir joué à de nombreuses reprises, quant à son piano, l'adjectif possessif peut s'appliquer en l'occurrence autant au lieu qu'à l'artiste : il fut sollicité pour aller le choisir à Hambourg lors de son achat, c'est dire ! 

Près de huit cents personnes se sont déplacées pour venir l'écouter en ce dimanche après-midi, ce qu'il fallait pour remplir la majeure partie de la salle. Le programme est consistant. Commencer par ce monument pour le piano parmi les derniers de , la Sonate n°28 en la majeur op.101, n'est pas forcément chose aisée. Elle réclame du pianiste cette capacité à être à la fois dans l'esprit de l'improvisation, et donc à ménager une certaine spontanéité expressive, cela dès les premières secondes, et dans la parfaite maitrise de la structure formelle malgré l'instabilité apparente. Alternant rêverie et action, d'après les titres que Beethoven aurait souhaité donner à chacun de ses quatre mouvements, l'œuvre en apparence contrastée appelle la continuité du geste pianistique, et il faut en enchaîner les mouvements et en soutenir l'énergie particulière comme le fait . « Avec un sentiment intense, vivace alla marcia, dans une aspiration ardente, adagio con affetto, avec résolution »…autant d'intentions écrites du compositeur qui doivent dicter l'interprétation, d'un bout à l'autre de l'œuvre, évacuant toute idée d'abstraction, de désincarnation que l'on pourrait penser découler de l'usage de la fugue de façon si imposante. Et Nelson Goerner réalise précisément cela : ce mouvement formidablement et profondément humain donné à cette musique qu'il fait aller de l'avant, de l'Allegretto initial, paisible, lumineux, tendrement interrogatif, aux explosions et à la fougue du conquérant deuxième mouvement, qu'importe quelques accrocs, de la poétique gravité de l'Adagio à la fulgurante fugue finale tracée dans l'élan mais robuste sur ses basses bien campées, le jeu dense, incrusté, les doigts agrippant les touches, imprimant des dynamiques incroyables jusqu'au coup de théâtre final des derniers accords, en passant par ce retour du court motif initial, si subtilement amené et si intensément expressif qui laisse dire de cette sonate qu'elle est un premier exemple de forme cyclique. 

La forme cyclique est aussi ce qui caractérise la suite du programme, bien que ce ne soit peut-être pas forcément sa justification – nous sommes « chez » César Franck ! Disons que c'est plutôt cette idée de liberté et de fantaisie qui gouverne l'œuvre qui suit, le Carnaval op.9 de , dont le pianiste enchaîne les 20 miniatures et ses portraits quasiment sans interruption, commençant par son préambule on ne peut plus éclatant et théâtral dont la coda ressemble à un finale d'opéra ! Son Carnaval est enlevé, fiévreux, étourdissant de vie, de couleurs, d'humeurs, de contrastes sans jamais verser dans la caricature. Voyez ce Pierrot gauche et hésitant, cet Arlequin bondissant et facétieux, cet Eusébius rêveur et lunaire, ce Florestan fantasque et farceur, ces Papillons virevoltants, ces « Lettres dansantes » hors sol, telle une hallucination, cette Chiarina chavirante, ce Chopin tout en émotion retenue…Écoutez le contre-chant de la Valse Noble, l'Aveu dit du bout des lèvres, le vent de folie de Paganini au cœur de la Valse Allemande…et enfin la Marche des Davidsbündler contre les Phillistins fermant héroïquement ce tourbillon de masques qui fait sauter le pianiste en permanence du coq à l'âne. Nelson Goerner met dans cette suite de petites pièces toute sa verve et son habileté pour en faire une seule et grande œuvre, variée mais unifiée, celle admirée de , dont il joue en seconde partie l'Everest pianistique… dédié, lui, à .

Jouer la colossale Sonate en si mineur nécessite d'élever sa pensée et de voir loin devant. Elle met nécessairement l'interprète sur un chemin de transcendance, un chemin que l'on pourrait oser dire composé de stations plutôt que d'épisodes, et il lui faut passer de l'une à l'autre sans discontinuité, comme si l'une découlait de la précédente, qu'elle l'enfonce dans des abysses ou qu'elle l'élève. C'est ce que nous laisse à penser le jeu organique et intense de Nelson Goerner, qui fait de cette Sonate une grande fresque épique à la dimension orchestrale tant elle sonne superbement dans cette salle. Son jeu est incarné, lyrique, ardent, parfaitement dominé…Véhémente et intranquille au début, la musique avance jusqu'à être transfigurée dans cette ligne de chant magnifiquement timbrée, ce registre aigu surnaturel, ces trilles immatériels, puis s'ébranle à nouveau dans l'immense rouage de sa Fugue traversée d'ouragans. Enfin elle redevient sombre, s'enfonçant dans le silence, dans le sourd soubresaut de son si… Une performance musicale prodigieuse née d'une véritable vision à laquelle Nelson Goerner soumet son impressionnante virtuosité, et qui met le public debout. Alors le pianiste donne un bis, cet émouvant et nostalgique Intermezzo n°2 des Klavierstücke op.118 de . 

Crédit photographique © Jany Campello/ResMusica

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