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Des turbulences sonores à l’Auditorium de Radio France

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Paris. Auditorium de Radio France. 25-XI-2022. Dans le cadre du Festival d’Automne. György Ligeti (1923-2006) : Concerto pour violon ; Mysteries of the Macabre pour soprano colorature et orchestre ; Olga Neuwirth (née en 1968) : Masaot/Clocks Without Hands pour orchestre ; Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°10. Patricia Kopatchinskaja, violon ; Orchestre Philharmonique de Radio France, direction : Maxime Pascal

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Si Masaot/Clocks Without Hands de l'Autrichienne regarde vers Mahler dont l'Adagio de la Symphonie n° 10 clôt la soirée, le Festival d'Automne, anticipant l'année du centenaire de Ligeti, met à l'affiche deux pièces du compositeur hongrois et en vedette la violoniste très plébiscitée, .

Elle arrive pieds nus sur le plateau de l'Auditorium de la Maison de la Radio et en habit de scène – veste et pantalon un rien clownesques – pour interpréter le Concerto pour violon de Ligeti, une œuvre rarement programmée au sein d'une phalange symphonique (les vents vont par 1 ou par 2) qui convoque l' en petit comité, dirigé ce soir par . Le concerto créé en trois mouvements par son dédicataire et l'Orchestre de la Radio de Cologne en 1990 est augmenté de deux mouvements en 1992. Le compositeur y libère un imaginaire et une invention débridée, prescrivant une scordatura au violon solo et à l'alto et mêlant aux instruments de l'ensemble ocarinas et flûte à coulisse pour l'étrangeté de leur timbre et l'imprécision des hauteurs. À l'instar du Concerto pour piano (1985-1988), le Concerto pour violon affiche une rare indépendance d'écriture et de style sans pour autant renoncer à la tradition virtuose du violon, dans l'éblouissante cadence du dernier mouvement notamment, à laquelle prête son archet volcanique. L'exigence virtuose s'exerce dès le premier mouvement où le violon, doublé et relayé par les sonorités de l'orchestre, s'élance vers les régions lumineuses de son registre. La violoniste est seule, dans le début du 2 (Aria, Hoquetus, Choral) pour exposer cette mélodie racée aux inflexions modales que Ligeti orne de polyphonie avant de la faire chanter aux ocarinas qui en effacent les contours. Mystérieuse et sublime, Passacaglia fait planer le violon au-dessus d'un orchestre émettant des sonorités étranges dont un trombone au plus grave de sa tessiture. L'Appassionato du 5 n'est pas moins étonnant, par la profusion des idées qui s'enchaînent et l'originalité des couleurs restituées dans leur plénitude par les musiciens du « Philhar ». Entretenant toujours un lien avec le théâtre musical, Ligeti souhaitait qu'au terme de sa cadence le ou la soliste termine à sa guise le concerto… La clause ne pouvait que plaire à notre fougueuse violoniste qui se met à chanter tout en jouant et nous surprend dans un happening final engageant la complicité du chef et des musiciens.

Après le changement de plateau, revient, grimée, avant même le chef, pour endosser le rôle de Gepopo, chef de la police, dans Mysteries of the Macabre, se révélant aussi bonne comédienne que violoniste surdouée. Extrait du Grand Macabre (1978), l'unique opéra de Ligeti, la pièce d'une dizaine de minutes, contemporaine du Concerto pour violon, est un arrangement sous forme de théâtre musical de trois « airs » chantés par Gepopo qui, dans tous ses états, annonce l'arrivée d'une comète qui détruira le monde. Déchaînée et dans une volée de journaux qui tapissent le plateau, la violoniste glousse, crie et harangue les musiciens comme le public, jouant aussi de son instrument avec une énergie et un aplomb qui sidèrent. , qui a repris le contrôle, et les musiciens ne sont pas moins réactifs, donnant aussi de la voix et du son – des solos fusent ici et là – dans un moment explosif que Ligeti désirait « totalement exagéré et totalement déjanté » : dont acte !

On ne quitte pas totalement l'univers ligétien avec Masaot/Clocks Without Hands (« Voyage/Horloges sans aiguilles) d' donnée en seconde partie de concert, une œuvre d'orchestre qui puise aux sources populaires et donne à entendre des métronomes qui se désynchronisent ! Pour autant, c'est vers Mahler que se tourne la compositrice autrichienne dans cette commande différée (passée en 2011 et reportée en 2015) de l'Orchestre Philharmonique de Vienne pour fêter le centenaire du compositeur : « Il faudrait entendre Masaot/Clocks Without Hands comme une réflexion poétique sur la disparition de la mémoire », dit en substance Neuwirth. Partant d'un rêve où apparaît la figure de son grand-père musicien, la compositrice procède à un montage complexe et virtuose de mélodies, airs et autres fanfares populaires passés au filtre de la mémoire, dans un maelström jouissif où se superposent et s'accumulent les strates sonores : hymnes faisant sonner les cuivres, musique klezmer, refrains qui tournent, se déforment et s'accumulent dans une savante conduite polyphonique ; l'hétérogénéité du matériau préside à ce voyage imaginaire où s'impriment les rythmes, les couleurs et les textures les plus diversifiés, dans une trajectoire du rêve balisée par le balancier d'une horloge/métronome qui tente d'en réguler le temps. et les musiciens du « Philhar » nous plongent dans les méandres de ce flux onirique dont l'acuité des timbres et le débordement festif nous enchantent.

Pour clore ce concert particulièrement luxueux, rien moins que l'Adagio (1910) de la Symphonie n°10 de Mahler, page sublime d'une œuvre restée inachevée et reflet de la terrible crise psychologique que le compositeur a dû affronter à cette époque. L'écriture s'aventure au-delà des frontières de la tonalité, dans un processus de variation infinie où l'influence du jeune Schönberg n'est pas à exclure. Si le timbre mahlérien n'a plus de secret pour les musiciens du « Philharmonique » – clarté des bois et homogénéité des textures de cordes – , on a, en revanche, du mal à s'installer pleinement dans le son et à se laisser embarquer au gré de ces « variantes » qui s'enchaînent à la manière des épisodes d'un roman : une narrativité et une continuité polyphonique que l'on aurait aimé mieux ressentir sous le geste de Maxime Pascal.

Crédits photographiques : © Christophe Abramowitz

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