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Piotr Anderszewski : Bach, Webern et Beethoven en toute intimité

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Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. 22-XI-2022. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Huit Préludes et Fugues du Clavier bien tempéré livre 2 ; Anton Webern (1883-1945) : Variations pour piano op. 27 ; Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonate pour piano n° 31 en la bémol majeur op. 110. Piotr Anderszewski, piano

Revenant à la scène après quelques mois de pause, le pianiste polonais a donné un récital d'une grande intensité à la Philharmonie de Paris.

Ce n'est pas sans raison s'il revient avec Beethoven et Webern, respectivement leurs opus 110 et opus 27 gravés au disque en 2004, et Bach, avec une sélection de ses Préludes et Fugues du livre 2 du Clavier bien tempéré, publiée dans un CD paru en 2021 chez Warner. Ce n'est pas non plus par hasard s'il assemble ces œuvres, plaçant, telle une passerelle, les Variations de Webern entre Bach et Beethoven. entretient des liens profonds et forts avec ces compositeurs, et particulièrement avec ces œuvres. 

Ce soir, il y a peut-être des trous dans les rangs, mais le public a investi en plus du parterre tous les balcons de la salle Pierre Boulez. Le pianiste arrive, ce discret sourire aux lèvres que l'on connait aux personnes réservées. Il commence le Prélude n° 17 en la bémol majeur de comme s'il jouait dans l'intimité d'un salon. Dans cette première partie, il enchaîne ainsi huit Préludes et Fugues des douze enregistrés, dans un ordre (le même qu'au disque) qui lui est personnel, soigneusement réinventé en fonction de leurs tonalités et de leurs rapports expressifs. Allant au-delà de la dialectique baroque, pour autant sans s'en détourner, peu soucieux de la projection d'une polyphonie sonnant dans la clarté de toutes ses voix, il donne à ses Bach ce caractère intimiste, parfois introspectif, cette couleur travaillée de l'intérieur, un peu celle que l'on trouve chez certains Schumann. Voici le Prélude n° 22 en si bémol mineur. Il y manie le clair-obscur avec minutie, jouant legato, détachant des touches de couleurs, des courbes expressives d'un fondu harmonique d'où il extrait la lumière comme après la dissipation d'une brume. Rien n'entrave le flux chantant de ses Bach. Parfois relâche-t-il la phrase amorcée par une attaque nette, la laissant aller d'elle-même, s'écouler naturellement, comme dans le Prélude n° 17 en la bémol majeur. Parfois retient-il le son, le contenant dans des couleurs rabattues, avant de l'amplifier, de donner une tension à la phrase comme dans la Fugue n° 8 en ré dièse mineur (et non en mi bémol mineur, comme indiqué sur le programme de salle ! ), qui culmine sur un accord douloureusement dissonant. Sous le rebond des doigts, son Bach sait aussi être dansant, comme la Fugue n° 11 en fa majeur, ou encore le Prélude n° 7 en mi bémol majeur, très chanté. Après la sombre et tragique austérité du Prélude n° 16 en sol mineur suivi de sa Fugue, les dièses à la clé prennent le pas sur les bémols, et le pianiste tire pour finir les couleurs vers le haut, vers la lumière. Les Prélude et Fugue n° 9 en mi majeur, d'une douce clarté révèlent un toucher habité, d'une infinie délicatesse. Le Prélude n° 18 en sol dièse mineur a des ailes et du souffle ; sa Fugue dépouillée, paisible, égraine des sonorités éthérées, délicates et tendres. L'imagination foisonnante, le verbe sensible, c'est un chemin de rigueur et de liberté conjuguées qu'il trace, livrant un Bach inspiré, loin du pur jeu d'écriture. 

Il en sera de même avec les Variations op. 27 d', œuvre singulière dont l'écriture sérielle donne parfois lieu à une lecture atomisée, abstraite et asséchée. Anderszewski lui la comprend, l'habite, la rend expressive, colorée, incarnée, et nous la fait comprendre, aimer. Elle devient sous ses doigts merveilleusement chantante, poétique, et spirituelle, et danse même avec grâce (début du troisième mouvement). Puis la Sonate pour piano n° 31 en la bémol majeur op. 110 de naît d'un pianissimo ténu, d'un frémissement. Anderszewski délie les volutes de son moderato cantabile avec une poésie, un naturel qui ne hausse jamais le ton, le construit par ses silences qui en disent aussi long que ses notes. Son allegro molto va « scherzando » à souhait, danse à contre-pied, l'accentuation marquée. Un filet de son à peine perceptible au commencement de l'adagio, puis d'infimes nuances de pianissimi nous en livrent ses confidences et sa tendresse. Viennent le recitativo et le premier arioso, « Klagender Gesang » (chant plaintif) demande Beethoven. Le pianiste s'efface alors davantage encore devant cette musique qu'il joue avec un tact infini, nous faisant « toucher « au plus près et au plus bouleversant de l'âme du compositeur. La fugue ponctuée de basses aux sonorités d'airain conduit au second arioso, « Ermattet, Klagend », dans un souffle à peine audible, à peine timbré, comme épuisé. La fugue renversée vient de cet abîme, de ses silences, et avance en s'illuminant progressivement, jusqu'à sa fin éclatante. L'émotion est à son comble, les applaudissement fusent du public manifestement touché.

Le pianiste qui avait le sourire aux lèvres l'a à présent aussi dans les yeux, heureux d'offrir en bis le Prélude n° 12 en fa mineur et la Sarabande de la Partita n° 1 de Bach, et pour finir une Mazurka de . 

Crédit photographique © Simon Fowler

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