Une ode à la femme au festival Aujourd’hui Musiques de Perpignan

La place de la femme dans le monde d'aujourd'hui, le problème des migrants, l'écologie et l'avenir de la planète sont autant de sujets brûlants qui animent les artistes du festival Aujourd'hui Musiques de Perpignan. À travers spectacles et installations, la manifestation qui fête ses 30 ans affirme comme chaque année son esprit interdisciplinaire où l'œil est sollicité autant que l'oreille.

L'installation de la compositrice Annette Mengel placée en vitrine du bâtiment capte les regards avant même d'entrer dans le Théâtre de L'Archipel. Dans Amour Neon, conçu sous forme de triptyque, le son est connecté avec la lumière et des sigles au-dessus des trois casques nous envoient des signaux par flashs lumineux tel ce @ u faisant allusion à l'invasion des technologies digitales dans nos choix amoureux. Le Lied, Er, der herrlichste von allen (« Lui, le plus glorieux de tous ») extrait de L'Amour et la vie d'une femme de Schumann sert de fil rouge, entendu dans le casque central mais fortement perturbé par des bruits parasites jusqu'à devenir inaudible dans les deux autres…

Femen (Femmes) est le titre de la suite instrumentale en quatre mouvements composée par Alex Augé, l'un des protagonistes du spectacle Le banquet des temps futurs donné dans la salle du Grenat. C'est une commande du festival passée aux deux leaders du projet, Alex Augé et Franck Garcia, une production maison conviant des artistes perpignanais, tous désireux de faire sauter les barrières entre l'écrit et le non-écrit et converger les styles et les genres, de la techno-jazz aux explorations sonores de l'écriture contemporaine. Louvoyant entre guitare basse et saxophones (ténor et soprano), Alex Augé, s'est constitué un environnement high-tech avec pédales d'effets, capteur optique et traitement du son en direct via les trois micros placés sur ses saxophones. En phase avec une technologie digitale, Franck Garcia est à cour, entouré de synthétiseurs, échantillonneur et clavier midi, donnant parfois de la voix. Autour d'eux le piano de Stéphanie Fontanarosa, la batterie et le vibraphone de Robinson Rouquet et la voix de Vanessa Hidden. Treize titres jalonnent cette soirée traversée de sonorités et d'atmosphères les plus variées. Chacun y a sa place et sa singularité, le saxophone ténor, suave et souvent nostalgique, alternant avec le soprano volubile qu'Alex Auger, très à l'aise, fait briller dans des improvisations fougueuses. Présence rayonnante dont la voix traverse tous les registres, Vanessa Hidden est tour à tour vocaliste (Femen), rock star dans The Walk ou chanteuse pop modulant sa voix à l'envi. Les chansons abordent les thèmes chers aux paroliers (Manon Zouiche, Laurie Buscail et Alex Augier), balançant entre nostalgie, douleur enfouie, poésie nocturne et revendication féministe. On est séduit par la finesse et l'originalité des arrangements laissant toute sa place au piano racé de Stéphanie Fontanarosa. La scénographie lumière (Jonathan Morton) ne contribue pas peu à l'élégance et la dimension de ce spectacle tiré au cordeau.

Sensoriel et poétique

Forêt, le spectacle multimédia de Franck Vigroux investit le plateau du Carré, jauge et plateau plus réduits pour accueillir cette proposition intimiste autant qu'onirique. Prolongeant le mythe romantique, mais avec d'autres moyens mis en jeu et un propos écologique qui sous-tend toute la narration, Forêt est une traversée en forme de quête qu'incarne une présence mystérieuse, mi-arbre mi-femme (la danseuse Haruka Miyamoto) qui émerge de l'ombre et dont on suit le cheminement et les métamorphoses.

Fascinante, sa danse presqu'immobile sur une trame sonore elle-même très étirée n'est pas sans évoquer les lenteurs du butō. Musique électronique immersive et environnement bruité (feuillages, bois sec, craquements sous ses pas, etc.) alternent, qui modifient les espaces comme le fait également la vidéo (Kurt d'Haeseleer) dont les images en 3D, au cœur du spectacle, semblent presque disproportionnées. Elles concourent néanmoins à la force du propos et à l'épaisseur du mystère où convergent images, sons réverbérés et gestes stylisés.

Femmes puissantes

Le chorégraphe et danseur Ousmane Sy (1975-2020) meurt brutalement le 27 décembre 2020, quelques semaines avant la finalisation de One Shot, son dernier projet artistique 100% féminin. Huit danseuses (le collectif Fair-e) l'ont porté à la scène, hommage post-mortem à cet artiste singulier, passionné de football, qui s'est attaché à traduire en danse sa fascination pour le mouvement concerté d'une équipe de foot : passements de jambes, courses croisés, échanges transversaux, etc.

C'est cette énergie positive du groupe et la puissance de l'expression qui galvanisent dans One Shot. Le DJ Sam One est installé à jardin pour faire danser les corps sur des musiques puisant aux sources africaines : des instruments (la kora), des chants (negro-spirituals) et des voix de femmes ensoleillées et sensuelles offrent un riche panel de couleurs et de rythmes parfois hauts en décibels. En baskets, pantalon gris et tee-shirt bleu, les huit danseuses font corps puis se désolidarisent pour évoluer en solo et en duo, et parfois même en silence, liant tout à la fois souplesse et sobriété du geste, vitalité et plaisir de la danse, avant tout ! Le public y est sensible, venu très nombreux pour rendre hommage au chorégraphe trop tôt disparu et exprimant bruyamment son enthousiasme dans la salle du Grenat archi comble.

Crédit photographique : © Théâtre de L'Archipel