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Stéphanie d’Oustrac, cantatrice et femme et inversement

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Iphigénie en Aulide à Paris, Maria Stuarda à Genève, Roberto Devereux à Zürich. Et cet Amant de Saint-Jean à Dijon, Deauville et Rouen. Mais comment , l'incandescente Cassandre berliozienne, vit-elle ce grand écart entre le rire et les larmes, entre la scène et la vie ?

ResMusica : Quel est ce volage Amant de Saint-Jean auquel permet de convoler à la fois avec et ?

: Je l'ai créé mais comme je ne peux pas faire toutes les dates car je travaille beaucoup à l'opéra, et que Le Poème Harmonique travaille lui aussi beaucoup de son côté, je « partage » les charmes de cet Amant avec Isabelle. Isabelle Druet est une merveilleuse chanteuse que Vincent connaît bien car il collabore régulièrement avec elle. En revanche, avec moi, c'est la première fois.

RM : Qui, le premier (ou la première) a eu cette idée folle ?

Sd'O : C'est Vincent. Il m'a envoyé les partitions. Comme c'était très disparate, je lui ai proposé de raconter une histoire. Ensuite nous avons tous les deux élaboré le projet. Quand Marie Lambert, qui nous met en scène, a su qu'Isabelle serait de la partie, elle lui a demandé d'écrire son propre personnage, de la même façon que c'était moi qui avais élaboré le mien. Isabelle raconte donc une autre histoire.

« Une femme très proche de nous, bien qu'elle ait un destin assez particulier »

RM : On croit d'emblée au personnage que vous incarnez dans L'Amant de Saint-Jean, à tel point que l'on songe à l'autobiographie…

Sd'O : Ces histoires-là, de chanteuses se retrouvant seules (Callas…) ou qui ont eu une carrière brisée (Marie Dubas), parfois pour des raisons de santé (on ne sait pas si les raisons de santé viennent aussi d'un drame qui fait que l'on n'arrive plus à chanter)… évidemment que l'on est tous passé par là. L'Amant de Saint-Jean nous permet de jouer avec tout ça. Tant mieux si vous croyez aussi que j'ai animé des bals au début de ma carrière avec Le Poème Harmonique et que cet Amant de Saint-Jean signe nos retrouvailles : je vous assure qu'il s'agit vraiment de notre première collaboration ! Comme on l'a beaucoup répété pendant les confinements et qu'on l'a déjà tourné, qu'on vient de l'enregistrer, on s'entend effectivement très bien, Le Poème Harmonique et moi : ils sont tellement « supporters »…

RM : Préférez-vous le récital ou l'opéra?

Sd'O : Ce que j'aime, c'est l'opéra avec l'immersion totale que permet son long temps de répétition. J'adore aussi le récital que je pratique depuis plus de 25 ans avec un ami pianiste, Pascal Jourdan. J'ai l'impression que nous avons grandi ensemble. J'aime le récital dans ce cadre-là, qui est celui d'une complicité. Avec L'Amant de Saint-Jean, on est précisément entre les deux. L'Amant de Saint-Jean me permet de casser les codes du récital comme ceux de l'opéra. Je voulais aussi quelque chose de totalement accessible : que l'on voie une femme très proche de nous, bien qu'elle ait un destin assez particulier.

RM : Trois prises de rôles, des récitals, du drame, de la comédie… : 2022 est une année particulièrement chargée et variée. Comment passe-t-on de Cassandre et, plus récemment, de la Clytemnestre d'Iphigénie en Aulide à L'Amant de Saint-Jean ?

Sd'O : Ah, il faut faire attention. J'essaie de respecter le corps. De Gluck hier je passe à Donizetti demain. Et ça n'a rien à voir, aussi bien physiquement que vocalement. Ça demande musculairement et vocalement des choses assez différentes. Si on contraint notre corps à de trop grands écarts, il ne sait plus comment réagir. J'ai donc travaillé et je connais à présent Maria Stuarda : les trois semaines de répétition à venir me permettront de rentrer complètement dans les « chaussures Donizetti ». Sur L'Amant de Saint-Jean, qui n'est pas mon répertoire, j'ai aussi beaucoup travaillé avec un orthophoniste pour gérer la différence des registres, la voix de poitrine… Ce qui est un très bon signe c'est que j'ai pu assurer le spectacle dijonnais dans la foulée de l'enregistrement studio que nous venions de réaliser et où j'avais pu être généreuse sur toutes les prises.

RM : Après La Belle Hélène, vous allez donc bientôt retrouver, à Genève,

Sd'O : Ouiiiiii ! Notre fameuse Belle Hélène à Strasbourg en 2006, Anna Bolena à Genève l'an passé. Et à présent Maria Stuarda… Lors du travail l'an dernier sur Anna Bolena, Mariame nous a à peu près dévoilé son concept. J'attends la suite avec impatience. Polyglotte, humaine, brillante : Mariame est tout simplement une femme formidable. Je me réjouis de la retrouver.

RM : Dans Maria Stuarda, vous prenez les rênes du rôle-titre, écrit pour soprano, comme celui de L'Aiglon ou de Béatrice que vous avez également interprétés. La tentation des limites ?

Sd'O : Je chanterai la seconde version, celle pour mezzo, que Joyce Di Donato a déjà chantée. Je suis mezzo-soprano. Je peux donc monter au soprano à condition que ça ne soit pas toujours haut. Cela dépend de l'écriture : il faut que ça redescende pour que les muscles ne soient pas toujours en tension. J'ai d'abord refusé L'Aiglon lorsqu'il a été monté à Lausanne en 2013. Je ne me sentais pas prête. Trois ans après, je l'étais, bien que Marseille soit une plus grande salle que Lausanne. Ce qui m'avait encouragée à relever ce défi, c'est que l'on m'avait dit : « On veut que ce soit toi. » J'ai fait confiance au chef dont je savais qu'il n'allait pas me pousser en dehors de mes limites et ça a été formidable.

RM : Votre voix a-t-elle apprécié deux années de quasi-silence ?

Sd'O : Plus que ma voix, c'est mon cerveau qui a apprécié. Il était fatigué et avait besoin de repos. Je n'arrivais plus à apprendre comme j'apprenais. Il s'est régénéré pendant ces mois d'arrêt. J'ai alors retrouvé la facilité et le plaisir d'apprendre. Lors de la réouverture des salles, il y a eu le souci de retrouver non pas tant la voix que le niveau d'avant : retrouver la même dynamique, les mêmes équilibres. Quand on recommence à chanter avec moins d'entraînement, on a envie, tout en se sentant prêt, d'entendre le même résultat qu'avant. En revanche le corps ne suit pas parce qu'il ne s'est pas entraîné comme avant. Beaucoup de collègues me l'ont confirmé : on n'a retrouvé notre confort d'avant que six mois après. Comme pour le sport de haut niveau : c'était normal.

RM : A Glyndebourne, dont vous revenez tout juste, vous avez carrément votre rond de serviette…

Sd'O : C'est à chaque fois merveilleux mais cette année, le temps a été exceptionnellement clément, ce qui n'est pas toujours le cas. Après Béatrice et Bénédict, m'a à nouveau fait un très très beau cadeau [ndlr : La Voix humaine et Les Mamelles de Tirésias]. Ni décor ni falbalas : rien ! C'était du jeu pur. Et ça c'est tout ce que j'aime.

RM : Quinze ans après la production Carsen-Christie (2008), vous revenez cette saison à Armide à Dijon puis à Versailles. Qu'est-ce qui va se passer ?

Sd'O : Ce sera différent puisque c'est Dominique Pitoiset qui fera la mise en scène. C'est un rôle que je n'ai qu'incarné qu'une fois. Je ne fais presque plus de baroque mais celui-là me plaisant beaucoup, je me suis dit : pourquoi ne pas m'y confronter à nouveau ?

« J'ai envie de travailler avec des gens qui sont passionnés »

RM : A Munich vous serez Mère Marie dans Dialogues des Carmélites mis en scène par . Que pense l'arrière-petite-nièce de Poulenc de l'encre que ce spectacle a fait couler ?

Sd'O : J'ai entendu parler de ce Dialogues des Carmélites mais je ne l'ai pas vu ! En revanche je connais bien Tcherniakov. Je comprends qu'on puisse ne pas être d'accord avec sa conception qui prend l'œuvre à contre-pied mais l'interprète que je suis se dit que quand c'est intelligent, c'est toujours intéressant à défendre. Tcherniakov, auquel je commence à être bien habitué, est toujours intelligent. Avec sa Carmen, elle aussi totalement à contre-pied, j'ai été servie ! Avec Cassandre aussi : vraiment je ne m'attendais pas à cela ! Ce que j'aime par-dessus tout chez lui, c'est qu'il est passionné. Moi, j'ai envie de travailler avec des gens qui sont passionnés. Cela dit, chacun a ses querelles. Bien sûr que ceux qui ne connaissent pas Carmen ne peuvent pas percevoir le livret originel dans sa mise en scène : ce n'est pas si grave, ils iront le voir une autre fois.

RM : Pour justifier son départ de l'Opéra de Vienne, Philippe Jordan a récemment tenu des propos très durs envers les metteurs en scène de notre temps. Êtes-vous de votre côté toujours prête à tout ou y regardez-vous à deux fois avant de vous engager ?

Sd'O : Je ne suis pas prête à tout. J'ai, par exemple, rencontré un metteur en scène qui ne m'a pas plu, humainement parlant. C'est un peu là ma limite : ne pas m'engager avec quelqu'un qui, au plan humain, ne m'accroche pas, dont je sens qu'il risque de se défouler sur nous parce qu'il a des comptes à rendre à la terre entière… Je suis toujours prête à suivre mais humainement il faut que ce soit agréable, même avec des gens difficiles. Tcherniakov ou McVicar ne sont pas faciles mais ils ne sont jamais contre nous. Il y a avec eux un respect pour l'artiste au travail. Mes vingt-cinq années de carrière m'ont rendue suffisamment riche d'expérience et de diplomatie pour que l'on me fasse confiance quand je propose des choses. C'est aussi un travail en commun. Jusqu'à présent je m'estime très heureuse de tous les choix que j'ai pu faire.

Crédits photographiques : © Perla Marek / Bill Cooper

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