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De l’intensité du silence à la Pierre Boulez Saal avec l’EIC

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Berlin. Pierre Boulez Saal. 1-XI-2022. Mark Andre (né en 1963) : Wohin pour harpe et ensemble ; Helmut Lachenmann (né en 1935) : Mouvement (– vor der Erstarrung), pour ensemble ; Matthias Pintscher (né en 1971) : sonic eclipse pour cor, trompette et ensemble. Valeria Kafelnikov, harpe ; Clément Saunier, trompette, Jean-Christophe Vervoitte, cor ; Ensemble Intercontemporain, direction Matthias Pintscher

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Trois compositeurs allemands (ou assimilés) que relie une même pensée du sonore pour ce concert berlinois dans l'écrin de la Pierre Boulez Saal. L' et son chef nous mettent à l'écoute des remous du silence.

« En principe, un concert doit être considéré comme moyen de communication, un contact vivant entre des participants actifs, qu'ils soient auditeurs ou créateurs », aimait à dire Pierre Boulez. C'est cette proximité qu'a recherchée l'architecte Frank Gehry, donnant à la Pierre Boulez Saal sa forme singulière en ellipse et une visibilité à 360 degrés du plateau. D'une jauge modeste de 700 places ménageant deux rangées de sièges à l'étage, la salle n'en déploie pas moins au-dessus de nos têtes un vaste espace de résonance favorable à l'acoustique et au confort de l'écoute minutieusement réglés par Yasuhisa Toyota. Inaugurée en mars 2017, la structure est intégrée à la Barenboim-Said Akademie, fondée par Daniel Barenboim en 2012 sur la Französische Strasse, à un jet de pierres du Staatsoper Unter den Linden.

De – compositeur français mais berlinois d'adoption – Wohin est une commande de l'EIC créée en mai 2021 sur la scène parisienne. La harpe sur le devant de la scène est quasi « installée », trônant entre un gong et un tam. Les deux percussions reliées par un fil métallique sont à portée de main de la soliste Valeria Kafelnikov qui en excite la résonance pour prolonger celle de son propre instrument. Souffle, effleurement, figures de résonance, chocs épars, tremblements de sons très doux (plaque tonnerre) constituent la trame très discontinue que tisse la soliste avec l'ensemble dans un univers entretenant tout à la fois transparence et fragilité. Les accessoires (papier à bulle, tuyau harmonique, baguettes sur les cordes, etc.) et les techniques de jeu étendues sur l'ensemble des instruments (incluant un tuba Wagner) génèrent un contexte délicatement bruité, étrange et au bord du silence. « En allemand, le terme wohin suppose de surcroît une incertitude quant à la directionnalité du mouvement : c'est à la fois d'où on vient et où l'on va, mais sans savoir précisément où », fait remarquer le compositeur qui semble, via son écriture, vouloir abolir le temps et l'espace. Deux waterphones joués avec l'archet (aigus légèrement crissants) chantonnent à plusieurs reprises, relevant, selon les mots du compositeur, d'une « typologie sonore de boîtes à musique ».

Avec ses deux archets en main, Valeria Kafelnikov, quant à elle, tire de sa harpe des sons filtrés d'une grande finesse qui évoquent le shamisen japonais, révélant, et avec quelle maestria, la part la plus intime et quasi inouïe de son instrument. C'est dans l'envoûtement des sons perlés de boites à musique que s'immobilise Wohin.

La filiation est tangible entre et son élève . Mais la manière du maître est plus abrupte, le ton plus sec et revendicatif. La pièce de 1984 fait figure de manifeste de la « musique concrète instrumentale » dont Lachenmann a forgé le concept, mettant l'accent sur le processus énergétique de production du son par l'instrument de musique. Le sous-titre – vor der Erstarrung (avant le raidissement) évoque « les derniers mouvements réflexes qui agitent le corps avant de se figer dans la mort ». Ainsi se fait clairement entendre l'opposition de passages mobiles, où la musique avance, et de moments d'arrêts où elle est clouée au sol, quasiment inerte. La présence des deux timbales renversées (et presque provocatrices !) dont les percussionnistes frappent frénétiquement les fûts, traduit cette volonté de détourner les instruments de leur fonction habituelle ; une pensée qui se situe dans la continuité d'un art critique hérité de son maître Luigi Nono en vertu duquel lr compositeur entend lutter contre la tradition bourgeoise du « beau son » en composant avec du matériau vierge. La virtuosité du micro-montage instrumental – d'un timbre à l'autre, d'une attaque à sa résonance – sidère sous le geste des instrumentistes galvanisé par celui de qui semble connaître par cœur sa partition.

Une typologie sonore de sonneries (Klingspiele) – pour reprendre les termes de – infiltre toute l'écriture, entretenue par la percussion, toujours très en dehors, et l'échantillonneur (aux mains de la violoniste Jeanne-Marie Conquer !). Mouvement (- vor der Erstarrung) est désormais un classique du XXᵉ siècle, au répertoire de l'EIC qui l'a commandé et créé en 1984 sous la direction de Peter Eötvös. Tendue, frénétique et sans concession, la pièce entendue ce soir n'a pas pris une ride et garde entière son intensité et son authentique manière de l'exercer.

« Helmut n'a jamais été mon professeur, mais est un de mes amis les plus proches et plus intimes : un complice », confie dont le triptyque sonic eclipse (2009-2010) termine la soirée. La pièce concertante d'une quarantaine de minutes met en solistes la trompette et le cor, à tour de rôles (1 et 2) puis simultanément (3) : deux instruments dont le compositeur désirait, à l'époque, élargir la palette sonore et confronter les identités : « Dans le 3, j'ai voulu faire l'expérience d'une trompette qui voudrait jouer comme un cor et vice versa », dit-il presque malicieusement. « C'est aussi ce sentiment pénétrant d'immensité, ces nuances subtiles d'éclat et de rayonnement venant des étoiles, que j'ai voulu exprimer via ma musique », ajoute-t-il. Davantage que chez ses confrères, c'est la dimension visuelle qui pénètre la conception sonore : des points lumineux épars (tonlos) s'impriment sur la toile sonore, par éclats intermittents au début de l'œuvre. Ainsi s'anime progressivement la constellation sonore, laissant apprécier le registre médium-grave de la trompette avec sourdine (Clément Saunier) avant qu'elle n'échange sa place avec le cor (Jean-François Vervoitte). Mis au défi, lui aussi, il est entendu dans ses couleurs outre-graves au grain sensuel qui rejoint celui de la clarinette basse (Alain Billard) et du trombone (Lucas Ounissi) dont les lignes sinueuses tissent une toile arachnéenne. Pintscher travaille la couleur comme le peintre sur sa palette et procède par touches colorées distribuées dans l'espace.

Les solistes sont de part et d'autre du chef dans le final où s'accumulent les matières et les gestes déjà présentés, du souffle à la jubilation du son, dans une joute virtuose des deux solistes où les lignes s'attirent l'une l'autre. Le finale est somptueux, quasi varésien, qui libère l'énergie dans un geste puissant et obsessionnel rappelant la fin d'Amériques.

Crédit photographique : © EIC

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