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Siegfried mis en scène par Jossi Wieler, stimulant classique de l’Opéra de Stuttgart

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Stuttgart. Opernhaus. 9-X-2022. Richard Wagner (1813-1883) : Siegfried, 2e journée de L’anneau du Nibelung. Mise en scène : Jossi Wieler, Sergio Morabito ; décors et costumes : Anna Viebrock. Avec : Daniel Brenna (Siegfried), Matthias Klink (Mime), Tommi Hakala (Der Wanderer), Alexandre Duhamel (Alberich), David Steffens (Fafner), Beate Ritter (L’oiseau de la forêt), Stine Marie Fischer (Erda), Simone Schneider (Brünnhilde). Staatsorchester Stuttgart, direction : Cornelius Meister

La force comique de l'œuvre est mise à l'honneur, sans jamais oublier ni la musique, ni la force du mythe.


À la fin des années 1990, l'Opéra de Stuttgart avait marqué les esprits avec un Ring composite, partagé entre Joachim Schlömer, Christoph Nel, et Peter Konwitschny, largement diffusé à la télévision et au DVD. Plus de vingt ans ont passé, et il était temps que Stuttgart revienne au Ring ; pour autant, plusieurs intendants plus tard, le principe reste le même : après l'Or du Rhin par Stephan Kimmig et une Walkyrie elle-même composite, c'est au tour de Siegfried de revenir à la scène. Et cette fois, c'est la production de 1999 qui revient telle quelle, dans la mise en scène de et les décors remarquables d'. L'accueil triomphal qui leur est réservé à la fin du spectacle témoigne de la justesse de ce choix : 23 ans plus tard, la mise en scène lyrique n'a pas cessé d'évoluer, et l'hyperréalisme des décors n'est plus tellement dans l'air du temps, mais l'évolution des modes n'a pas toujours raison. Les quatre décors de la soirée sont non seulement visuellement stupéfiants, mais aussi créateurs d'espaces scéniques puissants, chacun à sa façon, de l'immeuble crasseux où vit Mime à la froide chambre aristocratique où Siegfried retrouve Brünnhilde.

Le plus impressionnant est cependant le sinistre grillage qui barre la scène dans l'acte II, laissant indistinct et d'autant plus inquiétant ce qui se trouve derrière. Pour autant, et son équipe ont bien compris que le charme propre de Siegfried réside précisément dans le contraste entre la grandeur tragique de l'arrière-plan et l'irrésistible comédie qui occupe une bonne partie de l'œuvre, y compris avec des scènes aussi ambiguës que le début de l'acte II, quand l'inquiétant Alberich tombe dans le ridicule à force de se laisser manipuler par Wotan.

Si drôle que soit le spectacle (comme les plus récents Meistersinger de la même équipe à Berlin en juin), il ne tombe jamais dans le ridicule gratuit : avec un chanteur comme en Mime, le personnage ne pouvait que garder une certaine dignité, loin de la caricature, mais pas sans humour, et avec une voix à la fois énergique, mobile et parfaitement projetée. Son malheureux pupille, chanté par , a un peu de mal à venir à bout de l'épreuve que constitue ce rôle interminable, mais il s'investit avec énergie dans son personnage, moins adolescent attardé que balourd plein d'entrain.

Même la scène finale, qui permet de découvrir la remarquable Brünnhilde de , lumineuse et ardente, a droit à sa part de comédie – elle succède ainsi à Okka von der Damerau après avoir chanté Sieglinde dans le volet précédent. Ce n'est certes pas l'apothéose qu'avait prévu Wagner, mais il est difficile aujourd'hui de prendre tout à fait au sérieux une scène qui, dans son texte surtout, a plus à voir avec La ronde de Schnitzler qu'avec la mythologie nordique. Il faudrait être bien rigoriste pour voir dans ce décalage un sacrilège : après tout, la force de cette scène ne tient-elle pas, comme beaucoup de choses dans cet opéra, de ce que les personnages sont aveugles à leur destin et aux manigances de Wotan ?

La voix de qui chante le Wanderer est noire, peu chaleureuse mais marquante. L'amertume du personnage en ressort plus que l'ironie et le plaisir qu'il ressent à manipuler les uns et les autres ; la gémellité avec Alberich, chanté élégamment par , n'en ressort que mieux – dommage simplement que Hakala ait tant de mal avec le texte. Sa confrontation avec , remarquable Erda, est un des sommets de la soirée : membre de la troupe depuis 2015, interprète d'une musicalité et d'une probité toujours exemplaire, elle n'est pas la plus sombre des Erda, mais n'a pas besoin d'assombrir sa voix pour faire vivre son personnage.

Auréolé par sa nouvelle expérience bayreuthienne, parvient enfin à proposer une lecture fluide, énergique et contrastée de la partition, après un Or du Rhin plat et une Walkyrie chaotique. Le travail du son n'est pas le point fort du directeur musical de la maison, mais l'efficacité dramatique sans fioritures et sans excès de sa direction et le soutien efficace qu'il apporte aux chanteurs compensent l'absence d'ivresse sonore. On lui pardonne volontiers quelques effets trop marqués, par exemple dans les dernières mesures de la partition. Le public verra lors des cycles prévus au printemps prochain si ce progrès qualitatif s'étendra aux deux premiers opéras du cycle.

Crédits photographiques : © Martin Sigmund

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