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Herbert Fritsch fait briller Salomé de Strauss à Bâle

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Bâle. Theater. 2-X-2022. Richard Strauss (1864-1949) : Salomé, opéra en un acte d’après Oscar Wilde, version réduite attribuée au compositeur. Mise en scène et décor : Herbert Fritsch ; costumes : Victoria Behr. Avec : Peter Tantsits, Herodes ; Jasmin Etezadzadeh, Herodias ; Heather Engebretson, Salome ; Jason Cox, Jochanaan ; Ronan Caillet, Narraboth ; Nataliia Kukhar, Page… Sinfonieorchester Basel, direction : Clemens Heil

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Le spectacle de l'inventif metteur en scène est construit tout entier autour d'une interprète hors normes, .

a beau avoir déjà quelques décennies de théâtre derrière lui, notamment comme acteur pour Frank Castorf, il reste un metteur en scène d'opéra d'assez fraîche date, et il s'est jusque là plutôt distingué dans des œuvres comiques, qui sont dans la droite ligne de son art théâtral d'une drôlerie gestuelle impayable. Que peut-il donc faire d'une œuvre beaucoup plus sérieuse comme Salomé ?

Mais après tout, les éléments d'humour ne manquent pas dans l'opéra de Strauss, et on ne peut pas dire que la grande majorité des mises en scène en fasse grand-chose. Le couple Hérode-Hérodiade est un couple buffo de grande tradition comique, les disputes théologiques sur ce que le prophète Elie a vu ou pas, les interprétations divergentes des propos de Jochanaan, tout cela est très drôle quand on le lit et quand on l'entend, beaucoup moins quand on le voit. Avec Fritsch, tout cela saute aux yeux : la gestuelle fluide d'Hérode, dont le corps tout entier semble n'être jamais à l'arrêt, est très drôle, mais surtout elle met en évidence le caractère du personnage, à la fois tyran sans pitié, dictateur d'opérette et détraqué libidineux – un tel niveau de précision dans la direction d'acteur est rarement atteint à l'opéra, sans la crispation rituelle des spectacles de Robert Wilson, et avec en prime les costumes irrésistibles de Victoria Behr.

Comme lors de la première de ce spectacle à Lucerne, c'est qui interprète le rôle-titre. Ce n'est pas tant qu'elle soit particulièrement à l'aise dans ce rôle terrible du point de vue musical (le texte est souvent sacrifié et les notes un peu perturbées), mais il faut ici juger la performance totale qu'elle offre dans ce spectacle. Sa taille enfantine donne immédiatement l'image de cette femme-enfant qu'est la princesse de Judée, mais ce hasard biologique n'est qu'un détail à côté de l'extraordinaire travail scénique qui lui fait incarner son personnage avec une intensité rare. Sa danse est un grand moment de théâtre : tantôt gamine boudeuse, tantôt apprentie ballerine, entre ennui et suractivité, cette Salomé livre avec une énergie folle le portrait d'une adolescente qui dérive. Le fanatisme qui aboutit à la décapitation de Jochanaan est pris très au sérieux par Fritsch : ce monde monstrueux fait naître des fantasmes dans les esprits faibles, et la violence naît ainsi.

Le brillant décor abstrait conçu par Fritsch n'est occupé que par trois objets phares : les deux trônes d'Hérode et Hérodiade et… la tête de Jochanaan, qui sort tout juste du sol. Le chanteur sort du trou pour la scène avec Salomé, façon Christ de comédie musicale ; pour le reste, il n'est qu'une tête parlante, diffusant la bonne parole de manière aussi permanente et pénible que le Télécran diffuse celle de Big Brother chez Orwell, et on en vient à compatir avec les souffrances d'Hérodiade. La tête sort aussi du sol, naturellement, pour la scène finale : c'est Salomé elle-même qui finit par l'arracher, non sans effort, comme si le corps, lui, était profondément ancré dans le sol.

Tant qu'il a une tête, le prophète a donc la voix un peu monolithique de : voix de marbre, certes, mais trop peu variée ; si la mise en scène n'était pas là pour souligner l'effet énorme de ses oracles sur Hérode et sa cour, on s'ennuierait ferme. Les personnages bouffons sont beaucoup plus convaincants, en Hérode huileux et surtout en Hérodiade, tous deux parfaitement insérés dans la mise en scène. Les rôles plus secondaires sont dominés par en Narraboth, l'ensemble constituant une performance de troupe fort enviable. Ce qu'on entend de l'orchestre convainc moins, mais ce n'est pas forcément de la faute du : l'œuvre est donnée dans une réduction orchestrale longtemps attribuée à Strauss, et qui se contente de réduire l'effectif des vents sans toucher aux cordes, dans le but de faciliter la vie aux chanteurs : on y perd un peu ses repères, on n'y gagne pas vraiment en lisibilité, et on y perd beaucoup de couleurs. Le Théâtre de Bâle a sans doute de bonnes raisons pratiques de choisir cette version, mais le résultat est un orchestre qui se réduit à un rôle d'accompagnement – heureusement que le spectacle scénique fascine assez pour le faire oublier.

Crédits photographiques : © Thomas Aurin

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