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Intolleranza de Nono à Berlin, version banquise

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Berlin. Komische Oper. 29-IX-2022. Luigi Nono (1924-1990) : Intolleranza 1960, action scénique d’après une idée d’Angelo Maria Ripellino, version allemande d’Alfred Andersch. Mise en scène : Marco Štorman ; décor : Márton Ágh ; costumes : Sara Schwartz. Avec Sean Panikkar (Emigrante) ; Gloria Rehm (sa compagne) ; Deniz Uzun (une femme) ; Tom Erik Lie (un Algérien) ; Tijl Faveyts (un homme torturé) ; et Josefine Mindus, soprano ; Ilse Ritter (actrice). Chœur et Orchestre de la Komische Oper ; direction : Gabriel Feltz

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La mise en scène de passe à côté des enjeux politiques de l'œuvre, mais la musique d'un des génies du XXᵉ siècle reste dans toute sa force.


a écrit trois opéras, pas les plus faciles du répertoire lyrique, même au regard des ambitions expérimentales courantes au XXᵉ siècle. Al gran sole carico d'amore et surtout Prometeo, sans personnages, sans narration, sans presque de texte, expriment de manière abstraite une inquiétude, une sensation de perte de repères dans un monde qui n'est plus fini : une perspective radicale qui n'a rien perdu de son actualité et exerce une fascination sur les spectateurs qui y sont soumis (le disque, qui nous prive du capital aspect spatial de la musique, n'est ici qu'un médiocre reflet). Intolleranza 1960, créé à Venise en 1961 sous les huées des néo-fascistes, est le plus ancien des trois (et le plus court), le plus classique aussi, avec une intrigue un peu prosaïque et une inscription très immédiate dans son temps, la guerre d'Algérie, la condition de vie des mineurs, le racisme, avec un équilibre un peu fragile entre l'anecdotique et l'universel.

Pour inaugurer une nouvelle direction après les 10 ans de Barrie Kosky, le Komische Oper a mis les petits plats dans les grands. L'opéra du XXᵉ siècle est depuis longtemps une manière pour la maison d'attirer à elle l'attention internationale, et c'est donc Intolleranza 1960 qui est à l'honneur après L'Ange de feu, Medea de Reimann ou Les Bassarides. Pour les cinq représentations programmées, le metteur en scène et son décorateur Márton Ágh ont ainsi pu mettre sans dessus dessous la vénérable maison, démontant tous les sièges du parterre, plaçant une bonne moitié du public sur une tribune qui occupe tout ce qui est d'habitude la scène et le reste autour du parterre et aux premières loges, tandis que l'orchestre, lui, occupe le dernier balcon. Tout se joue donc sur une scène dressée à la place du parterre ; tout ici est blanc, la scène elle-même, les tissus qui enveloppent les balcons, et même les spectateurs entourant le parterre, qui doivent revêtir une sorte de tablier blanc. C'est incontestablement spectaculaire, et cela entre en résonance avec les préoccupations de Nono pour l'inscription de sa musique dans l'espace (sonore comme architectural), et le spectacle a aussi pour lui une lisibilité que n'avait pas le grand spectacle confus de Jan Lauwers à Salzbourg.

Mais il souffre d'un défaut fréquent dans la réception scénique des œuvres de Nono, qu'on pourrait qualifier de déni du politique, qui passe ici par le traitement de l'espace à la façon d'une de ces installations monumentales que les plasticiens d'aujourd'hui créent pour saisir l'esprit des lieux qu'ils investissent – le décor de Márton Ágh aurait pu s'inscrire dans la défunte série Monumenta dans la nef du Grand-Palais. Mais le saisissement initial qu'éprouve le spectateur en rentrant dans cette salle transformée ne dure pas : ce qui suit n'est guère plus qu'une aimable mise en espace, aidée heureusement par la grâce charismatique de dans le rôle central. Le chœur est dissimulé sous des costumes blancs qui ne laissent apparaître les visages des communautés que rencontre l'émigrant qu'au cours du spectacle. La chorégraphie travaillée du chœur ne parvient jamais à donner du sens à l'histoire tragique de cet émigrant d'abord exploité, puis éveillé à l'action collective et à la défense de ses droits.

On peut se moquer de la naïveté des convictions de Nono, lui reprocher son aveuglement face à l'échec des révolutions du XXᵉ siècle, mais on ne peut pas lui refuser une qualité suprême : son humanisme irréductible, qui transparaît à chaque minute de cette œuvre et de bien d'autres. Il est particulièrement précieux et actuel dans notre monde où les crispations identitaires tiennent lieu de justification à toutes les violences physiques et morales, et il est consubstantiel à sa musique. Le dispositif scénique central, finalement, finit par poser problème : les spectateurs restent littéralement au bord de la scène, extérieurs à l'action, jamais vraiment happés émotionnellement vers ce qui se passe sur scène. Il y a beaucoup de qualités musicales dans cette soirée : a une voix de rêve, aisée et souple, impalpable dans l'aigu, parfaitement à l'aise avec l'écriture d'un compositeur qui était nourri de l'histoire musicale de l'Italie, bel canto compris. Il était déjà le héros de la production salzbourgeoise de 2021 et a encore progressé dans sa maîtrise du rôle, ce qui donne à cette musique un naturel rarement égalé ; les autres rôles sont moins développés, mais la distribution réunie par le Komische Oper est à la hauteur de l'œuvre – une mise en scène un peu plus engagée aurait certainement réussi à leur donner une plus grande présence. L'orchestre, lui, est dirigé par , qui connaît bien l'œuvre et en a déjà réalisé un des rares enregistrements discographiques : la versatilité d'une formation qui joue aussi bien l'opérette que le répertoire baroque le reste de l'année est remarquable, et le haut niveau de préparation de l'ensemble montre que Nono, à défaut d'avoir encore conquis le cœur des mélomanes autant qu'il le mérite, est arrivé pour les musiciens au cœur du répertoire.

Crédits photographiques : © Barbara Braun

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