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À Liège, une Lakmé mi-figue mi-raisin, placée sous l’égide de Gandhi

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Liège. Opéra Royal de Wallonie-Liège. 25-IX-2022. Léo Delibes (1836-1891) : Lakmé, opéra en trois actes sur un livret d’Edmond Gondinet et de Philippe Gille inspiré du roman « Rarahu, ou Mariage de Loti » de Pierre Loti. Mise en scène : Davide Garattini Raimondi. Décors et lumières : Paolo Vitale. Costumes : Giada Masi. Chorégraphie et assistante à la mise en scène : Barbara Palumbo. Avec : Jodie Devos, Lakmé ; Philippe Talbot, Gérald ; Lionel Lhote, Nilakantha ; Pierre Doyen, Frédéric ; Marion Lebègue, Mallika ; Julie Mossay, Ellen ; Caroline de Mahieu, Rose ; Sarah Laulan, Mistress Bentson ; Pierre Romainville, Hadji ; Benoît Delvaux, un Kouravar ; Xavier Petithan, un Chinois ; Benoît Scheuren, un Domben ; Rudy Goddin, Gandhi, figurant. Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, Denis Segond, direction. Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, direction générale : Frédéric Chaslin

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L'Opéra Royal de Wallonie-Liège propose pour l'ouverture de sa saison une nouvelle production de l'assez rare à la scène Lakmé de , dans une mise en scène de avec la très attendue dans le rôle-titre, au moment où l'Opéra Comique à Paris propose la sienne.

Composée en 1881-82, la Lakmé de , inspirée par un récit de Pierre Loti, cède à la mode de l'orientalisme ambiant, mais au-delà du décorum de bazar d'une Inde onirique, pose aussi avec notre recul historique, la question morale du colonialisme britannique et de sa réponse indigène : comment justifier l'usage de la violence au nom de mobiles impérialistes ou émancipateurs, au gré des affrontements militaires politiques ou religieux ? Cette collision culturelle de deux mondes irréconciliables est portée à son acmé durant le ballet–pantomime du deuxième acte, efficacement réglé par la chorégraphe : un jeu d'ombres martial évolue tout en transparence derrière un Union Jack fibrant dans tout l'espace. La tragique et improbable romance amoureuse, dans cette mise en scène de , en devient dès lors secondaire : la figure pacifique et libertaire de Gandhi, flanqué de son rouet, image du Karma, par le truchement d'un figurant muet (Ruddy Goddin, très ressemblant !) demeure centrale et récurrente au fil des actes. Elle est appuyée – et avec quelque insistance – par la projection, au fil de l'action, des maximes les plus percutantes du Mahatma, en guise de commentaires moralisateurs.

Cette évocation, sous les trois tonalités de l'actuel drapeau indien, d'un Orient chatoyant mystérieux mais aussi menaçant, est assez splendidement rendue au fil des deux premiers actes par les décors et les lumières sobres de : auguralement, un camaïeu safrané (du jaune or à l'orangé-mandarine) nimbe la cérémonie des fleurs aux abords du sombre temple sacré où semble déjà gronder la colère les Dieux hindous. A L'Acte II, la scène du marché se veut vivante, sous l'égide du dieu homme-éléphant Ganesh, et malgré un relatif statisme affublant la masse chorale, bigarrée et pointilliste, d'un chromatisme roboratif, grâce aussi aux beaux costumes – si l'on excepte l'encombrant et assez grotesque accoutrement affublant Nikalantha – signés Giada Masi, inspirés des sari et dhoti kurta : le tout débouche sur une symphonie indigo, au moment où Lakmé apparaît voilée et est bien forcée de chanter sous l'ordre paternel son air le plus célèbre. Malheureusement, ce spectacle total loupe sa cible au dernier acte, par cette transposition hors de propos de l'action, d'une jungle tour à tour bienveillante et consolatrice, puis subitement vénéneuse, à un club-house victorien de carton-pâte, où le dieu-éléphant apparait dès lors en trophée de chasse, crûment peinturluré en vert, et où surgit on ne sait trop comment, tel un diable sorti d‘une boîte, un Nilakantha halluciné.


reprend ici le rôle écrasant de Lakmé, après son galop d'essai en 2017 à l'Opéra de Tours et aligne une prestation en dents de scie, certes crédible sur le plan dramatique ou émotionnel mais assez discutable sur le plan vocal, alternant moments réellement sublimes et intemporels (le duo des fleurs au premier acte avec la belle Mallika, juste un soupçon trop vibrée, de , ou encore son très émouvant dernier air « Tu m'as donné le plus doux rêve », aux dernières notes délicatement filées morendo) et instants franchement plus délicats. Sa voix de soprano lyrique léger, qui, dans des répertoires voisins mais non semblables fait irrésistiblement mouche (souvenons-nous à Liège même, de son incomparable Mignon, ou de sa vivandière Marie dans la Fille du régiment) a-t-elle la carrure ou la tessiture exacte des authentiques coloratures à la française ? Tendue dès la cadence initiale, elle se montre assez rétive et hésitante au fil du mirifique « Air des clochettes » (où va la jeune Hindoue ?) peu à l'aise au fil des acrobatiques vocalises ou au gré des permanents changements de registres, pour le moins difficultueux. Le souffle y est parfois court et la justesse d'intonation plus d'une fois problématique. Est-ce là vraiment son répertoire ou est-elle dans un jour sans pour cet impitoyable moment de virtuosité ?

lui offre une réplique superbe, raffinée et pudique en Gérald, même si l'on pourrait souhaiter un aigu parfois plus corsé et une incarnation plus héroïque au gré par exemple de son « Fantaisie aux divins mensonges » un peu lisse et convenu. De sorte que c'est le baryton-basse qui rallie tous les suffrages en Nilakantha racé, paternaliste et impérial. On ne peut que louer cette puissante et autoritaire voix d'airain au vibrato juste et pondéré, aux incroyables capacités expressives, passant du courroux le plus dévastateur à la tendresse la plus suave par exemple au fil du célébrissime « Lakmé ton doux regard se voile ».

Les rôles secondaires sont tous assez remarquablement tenus. s'avère un baryton tonique et très juste en Frédéric, l'ami fidèle et moralisateur cornélien ! Le jeune Pierre Romainville dans ses courtes mais décisives apparitions en Hadji fait preuve d'un à-propos tonique et remarquable. Côté féminin, outre la Mallika très pulpeuse de déjà évoquée, l'on peut compter sur le trio cocasse, et ironiquement caricatural, contrepartie amusée au drame en train de se nouer des trois « suivantes » anglaise : Julie Mossay impose sa gouaille séductrice et son élégante vocalité en Ellen, Caroline de Mahieu se joue du rôle de Rose avec une aisance décapante et un humour sibyllin, et la Miss Bentson de Sarah Laulan à la présence très british est irrésistible de justesse musicale et scénique et de drôlerie décalée en gouvernante acariâtre.

Il faut saluer une fois de plus le travail de Denis Segond dans la préparation des chœurs sensiblement rajeunis, et positivement métamorphosés en quelques mois. Dans la fosse, l'orchestre en progrès constant affiche une belle cohérence – malgré quelques minimes incidents ci et là sans gravité – sous la baguette à la fois délicate et pudique dans les moments les plus intimes, et ailleurs dramatiquement efficace de : une experte direction oh combien musicale, soutenant en permanence le plateau, et magnifiant la riche partition, réitérant de ce point de vue la réussite très justement appréciée la saison dernière d'une Mignon d'Ambroise Thomas d'anthologie.

Crédits photographiques © J Berger 
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Liège. Opéra Royal de Wallonie-Liège. 25-IX-2022. Léo Delibes (1836-1891) : Lakmé, opéra en trois actes sur un livret d’Edmond Gondinet et de Philippe Gille inspiré du roman « Rarahu, ou Mariage de Loti » de Pierre Loti. Mise en scène : Davide Garattini Raimondi. Décors et lumières : Paolo Vitale. Costumes : Giada Masi. Chorégraphie et assistante à la mise en scène : Barbara Palumbo. Avec : Jodie Devos, Lakmé ; Philippe Talbot, Gérald ; Lionel Lhote, Nilakantha ; Pierre Doyen, Frédéric ; Marion Lebègue, Mallika ; Julie Mossay, Ellen ; Caroline de Mahieu, Rose ; Sarah Laulan, Mistress Bentson ; Pierre Romainville, Hadji ; Benoît Delvaux, un Kouravar ; Xavier Petithan, un Chinois ; Benoît Scheuren, un Domben ; Rudy Goddin, Gandhi, figurant. Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, Denis Segond, direction. Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, direction générale : Frédéric Chaslin

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