Avec Jakub Józef Orliński, reprise de l’Orfeo ed Euridice de Gluck par Robert Carsen
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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 21-IX-2022. Christoph Willibald Gluck (1714-1787) : Orfeo ed Euridice, opéra en trois actes sur un livret de Raniero de’ Calzabigi. Mise en scène : Robert Carsen. Reprise de la mise en scène : Christophe Gayral. Scénographie et costumes : Tobias Hoheisel. Lumières : Robert Carsen et Peter von Praet. Jakub Józef Orliński, contreténor (Orfeo) ; Regula Mühlemann, soprano (Euridice) ; Elena Galitskaya, soprano (Amore). Chœur Balthasar Neumann. Orchestre Balthasar Neumann, direction : Thomas Hengelbrock
Trio de rêve pour un spectacle d'un rare dépouillement, servi par un chef et un orchestre qui rendent au chef d'œuvre intemporel de Gluck ses multiples beautés.
Créée au Lyric Opera de Chicago en 2006, reprise ici même au TCE puis au Château royal de Versailles en 2018, à l'Opéra de Rome l'année suivante, la mise en scène d'Orfeo ed Euridice par Robert Carsen fait partie de ces spectacles devenus des « classiques », qui parcourent le monde et dont on ne se lasse pas. Certes, on pourra arguer que tout le monde n'a pas toujours apprécié le parti-pris minimaliste d'un concept qui, de par un décor unique d'une désarmante simplicité, ramène l'histoire de l'aède de Thrace à l'essentiel : un questionnement sur la vie et la mort, une interrogation sur le mystère de l'amour et de la triste condition humaine. La scène montre ainsi un paysage minéral quasi-lunaire, réduit à une surface de sable qui, par le choix assumé de l'épure, replonge le mythe d'Orphée dans les racines de la Grèce antique. De cette vision marquée par la nudité et le dépouillement, se détache côté cour la fosse dans laquelle on va porter en terre Eurydice. Cet espace va également devenir la voie d'accès aux enfers lorsque Orphée, convaincu par l'Amour, saute à pieds joints dans la tombe pour retrouver sa bien-aimée. Double d'Orphée lorsqu'il s'agit d'incarner la douleur, la peur et le courage, l'Amour se fait le double d'Eurydice au troisième acte, quand l'emporte enfin l'élément féminin et le retour de l'élan vital. L'universalité et l'intemporalité du drame de la mort et de l'amour perdu sont rendues par le choix de costumes simples et sobres, robes noires pour les dames, costumes-cravates pour les messieurs. Le chœur, omniprésent dans cet opéra réformé, accompagne du début à la fin Orphée dans sa souffrance, même quand il est montré en silhouette de fond de scène tandis que les savants éclairages mettent en avant les protagonistes. De cette vision délibérément statique d'une œuvre dont le hiératisme se voit pleinement assumé, émergent une série infinie d'images justes et fortes, renforcée par la beauté irréelle des éclairages. La dimension théâtrale de l'œuvre n'en est pas pour autant gommée, et la scène qui oppose Orphée et Eurydice au début du troisième acte aura rarement été jouée avec autant d'intensité et de vraisemblance. Qui ne pourrait pas comprendre les doutes et les peurs d'Eurydice ? Quel humain, devant tant de douleur, n'aurait pas lui aussi succombé comme Orphée ? Gluck le savait, l'épure et le drame ont toujours fait bon ménage.
Après Philippe Jaroussky sur cette même scène, Jakub Józef Orliński est un Orphée totalement investi scéniquement et vocalement. Le bronze solaire de sa voix remplit sans la moindre difficulté le vaste espace du Théâtre des Champs-Élysées, et l'engagement physique du contreténor polonais compense largement ce que certains pourraient trouver par trop statique dans une telle mise en scène. Comme souvent, on pourrait reprocher au chanteur un certain manque de nuances dans son interprétation vocale, mais il a su trouver des accents émouvants dans les grandes scènes du deuxième acte. Annoncée souffrante, Regula Mühlemann a moins de mal à trouver des variations de couleurs dans son chant, et son interprétation d'Eurydice reste bouleversante de bout en bout. Excellente prestation également de la pimpante Elena Galitskaya, très bien chantante et aussi convaincante en Amour-garçon qu'en Amour-fille, amusant contrepoint de l'éternel débat selon lequel le rôle d'Orphée s'accommode au mieux d'une voix de mezzo, de ténor ou de contreténor.
Dès les premières mesures de l'introduction, on aura été pris à la gorge par l'intensité et l'énergie des instrumentistes de l'Orchestre Balthasar Neumann, placés sous la direction de Thomas Hengelbrock. Excellent choix que cet ensemble baroque qui sait créer un univers passant des morceaux les plus extatiques aux pages les plus violentes de la partition. Également très investi, et fortement sollicité dans cet ouvrage, l'ensemble choral du même nom œuvre lui aussi pour le plus grand bonheur d'un public visiblement enthousiasmé par une œuvre dont on redécouvre, donnée dans la version originale de 1762, l'essentielle simplicité.
Crédit photographique : © Vincent Pontet
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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 21-IX-2022. Christoph Willibald Gluck (1714-1787) : Orfeo ed Euridice, opéra en trois actes sur un livret de Raniero de’ Calzabigi. Mise en scène : Robert Carsen. Reprise de la mise en scène : Christophe Gayral. Scénographie et costumes : Tobias Hoheisel. Lumières : Robert Carsen et Peter von Praet. Jakub Józef Orliński, contreténor (Orfeo) ; Regula Mühlemann, soprano (Euridice) ; Elena Galitskaya, soprano (Amore). Chœur Balthasar Neumann. Orchestre Balthasar Neumann, direction : Thomas Hengelbrock