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À l’heure de la rentrée, le bilan de l’été 2022 est peu encourageant sur l’état du monde : en un mot, la planète et les esprits s’échauffent. Côté planète, il n’est nul besoin d’être octogénaire pour constater l’évolution du climat, il n’y avait pas de feux de forêt en Bretagne au début du siècle. Côté état d’esprit, les métiers qui sont le ciment de la société n’attirent pas ou font carrément peur, face à la montée des incivilités et des violences, le manque de reconnaissance, le manque de sens : que ce soit dans les services d’urgences hospitaliers ou les pompiers, dans les maisons de retraite, à l’école, les institutions judiciaires, c’est partout le même constat.
Quand la terre et les têtes sont en voie d’assèchement généralisé, il y a deux manières d’affronter le problème : agir sur les symptômes ou agir sur les causes. Traiter les symptômes ne règle rien mais a un avantage irrésistible, cela donne des résultats tangibles et immédiats. Les canicules s’intensifient ? Mettons la climatisation. Les incendiaires et les incivilités prolifèrent ? Renforçons les outils de surveillance et les peines de prison. S’attaquer aux causes est la vraie solution mais a deux sérieux handicaps : le plan d’action est complexe à définir car les causes d’un phénomène sont multiples, et il met du temps à produire ses effets. Pour refroidir la planète, c’est un modèle de société qu’il faut repenser. La bonne nouvelle est que les deux manières sont complémentaires, pour peu que la première méthode ne paralyse la seconde.
Venons-en à la musique classique et sur cette affirmation, qui peut paraître bien naïve, qu’elle est un remède contre l’échauffement de la planète et des esprits. D’emblée clarifions que nous entendons la « musique classique » dans le sens d’une pratique musicale qui exige un effort significatif d’apprentissage et d’assimilation. Musique d’ascenseur s’abstenir !
Comment agir contre l’échauffement des esprits et de la planète ? Cet échauffement a au moins une cause essentielle : la difficulté de l’être humain à embrasser le monde dans sa complexité, une difficulté inhérente qui a été amplifiée par le fonctionnement de notre société contemporaine. Depuis la révolution industrielle et plus encore durant la période (bien mal nommée) des « Trente glorieuses » l’Occident a imposé une relation au monde redoutablement efficace où la spécialisation technique et la segmentation des tâches et des rôles ont été privilégiées au détriment des préoccupations humanistes et sociales. Prenons le critère simple de l’échelle des rémunérations : aux experts spécialisés de la technique les meilleurs salaires, aux métiers larges du lien social et du vivre-ensemble les moins bons. Tôt ou tard, la réalité se rappelle à nous : une somme d’individus, aussi compétents techniquement soient-ils mais sans vision d’ensemble, ne forment pas une société.
En quoi la musique classique est-elle un remède ? C’est qu’elle est une expression sublime de la complexité et du collectif. Pratiquer la musique classique, comme musicien ou mélomane, c’est avoir su dépasser la facilité et l’immédiateté, et prendre du plaisir à ce qui n’a rien d’évident a priori. C’est s’inscrire à la fois dans le temps long (une longue évolution depuis dix siècles), l’espace (la musique classique occidentale est plus multiculturelle qu’il n’y paraît, pour autant qu’on aille au-delà de son bain de Mozart quotidien), et le collectif (c’est particulièrement vrai naturellement de la musique d’ensemble, chorale et orchestrale).
C’est là que la formule « La musique adoucit les mœurs » prend tout son sens. On sait depuis la Seconde Guerre mondiale que les pires criminels contre l’humanité peuvent avoir une oreille musicale raffinée (exit donc l’illusion qu’enseigner Beethoven servirait de défense contre le totalitarisme). Mais l’expression n’en est pas moins pertinente : la musique, et la musique classique en particulier, adoucit les mœurs en ce qu’elle exige, pour être bien vécue, de développer une pensée complexe, multidimensionnelle, collective. Elle donne à expérimenter dans le temps court d’une interprétation comment, par l’écoute de l’autre et en sachant renoncer parfois à une part de son originalité personnelle, on réalise quelque chose de plus grand que soi. À la différence du sport collectif (qui lui aussi permet de faire vibrer concrètement l’individu dans le groupe), il n’y a pas de lutte contre un adversaire, l’objectif à atteindre ne se nourrit pas de la défaite de l’autre. En musique, il n’y a jamais de perdant.
Pratiquer la musique classique, c’est ainsi dépasser sa condition d’individu pour recevoir l’immense legs des générations précédentes, l’enrichir de l’expérience collective, et transmettre à son tour. Comme on reçoit la planète de nos parents et on la transmet aux générations suivantes.
Ne nous leurrons pas avec un espoir à court terme, notre société actuelle est construite économiquement et politiquement sur la segmentation des connaissances, la spécialisation des tâches, le court terme, et la musique classique n’y a guère sa place. Développer une nouvelle culture du bien commun, du (bon) sens commun, prendra plusieurs générations.
Il n’est pas douteux que tôt ou tard un gouvernement viendra qui recherchera à ressouder les individus et à redonner du sens commun, en s’attaquant aux causes des désordres et non à leurs seuls symptômes. Il y a de bonnes raisons de penser que ce gouvernement, aujourd’hui assez utopique, saura faire appel à la musique classique comme moyen de réunir les citoyens sans distinction de couleur politique ni de religion.
Vous qui êtes amoureux de la musique classique, ne craignez pas que son temps soit révolu, elle porte en elle les principes fondamentaux du monde de demain.