À l'issue des presque seize heures du nouveau Ring de Bayreuth mis en scène par Valentin Schwarz, quelles conclusions en tirer ?
Il serait trop facile d'accuser le metteur en scène et son équipe d'avoir traité avec légèreté la commande par Bayreuth d'un nouveau Ring et d'avoir rendu une copie bâclée ou de s'être moqué du public. La profusion d'idées, la virtuosité de leur mise en scène, la précision et la qualité de la direction d'acteur, souvent en phase avec la musique, démontrent le contraire. Inutile également de recourir à la classique opposition entre les gardiens de l'orthodoxie traditionnelle et les thuriféraires des relectures plus ou moins actualisées. Depuis cinquante ans au moins, « l'Atelier Bayreuth » vise un public de wagnériens émérites qui viennent y chercher un regard neuf, une approche différente, un enrichissement d'œuvres qu'ils connaissent pour la plupart par cœur.
Mais justement, que nous apprend la mise en scène de Valentin Schwarz ? Met-elle en évidence le sous-texte, les intentions cachées, le message transmis sous la surface des apparences comme par exemple celle de Patrice Chéreau en 1976 qui montrait l'émergence révolutionnaire du peuple face à la grande bourgeoisie et à l'aristocratie ? Ou alors nous apprend-elle quelque chose sur notre monde contemporain comme, autre exemple, celle de Franz Castorf en 2013 qui y dénonçait les ravages du roi pétrole ? La réponse est deux fois non.
Outre son effet réducteur du grand œuvre wagnérien, le désormais fameux concept de « série Netflix » choisi par Valentin Schwarz n'est pas porteur de sens. C'est divertissant (vient-on à Bayreuth pour se divertir ?), le jeu qui consiste à identifier les symboles à travers les mutations que leur fait subir la mise en scène est stimulant pour l'esprit mais cela ne va pas plus loin. Les quelques pistes de réflexion ouvertes lors de L'Or du Rhin (maltraitance des enfants, violences faites aux femmes, pouvoir corrupteur de l'argent, superficialité des nouveaux riches sans culture) ne sont pas développées ultérieurement. Le remplacement des clichés de la tradition wagnérienne par d'autres clichés issus des séries américaines de la télévision ou d'Internet nous renvoie une image tout aussi déformée de la réalité de notre société. Pour les reprises des prochaines années, le Crépuscule des Dieux devrait absolument être retravaillé, en particulier son dernier acte. Mais il y a fort à craindre que le postulat de départ de cette mise en scène ne s'avère pas beaucoup plus fécond.
Quelques mots pour conclure sur le niveau musical de ce Ring. Wagner demandait « le meilleur » pour le théâtre qu'il avait fait construire à sa gloire. Bayreuth a aligné cette année des distributions pour le moins contrastées, offrant l'exceptionnel (La Walkyrie), le correct et le franchement indigent. Certes, les interprètes susceptibles de posséder la puissance et l'endurance pour assurer l'ensemble du cycle se font rares mais devoir recourir à plusieurs chanteurs différents pour une même incarnation est déjà un aveu de difficulté. N'y avait-il pas d'autre solution qu'Iréne Theorin à la voix terriblement usée pour Brünnhilde, que le pâle Egils Silins en Wotan de L'Or du Rhin, que de surutiliser Stephen Gould dans trois productions au risque de l'épuiser ? Après bien des difficultés, le chef Cornelius Meister (appelé en secours, il faut le rappeler) est parvenu à domestiquer la difficile acoustique de la fosse de Bayreuth. Mais sa direction n'est qu'honnête et en rien anthologique. Bien des maisons d'opéra par le monde ont fait ces dernières années aussi bien et souvent mieux. Bayreuth fait de moins en moins figure de référence.
Crédits photographiques : La Walkyrie ©
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