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La Gioconda revient aux Chorégies d’Orange

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Orange. Chorégies. Théâtre antique. 6-VIII-2022. Amilcare Ponchielli (1834-1886) : La Gioconda. Opéra en quatre actes. Livret d’Arrigo Boïto d’après Victor Hugo. Mise en scène : Jean-Louis Grinda. Décors : Jean-Louis Grinda et Laurent Castaingt. Costumes : Jean-Pierre Capeyron. Lumières : Laurent Castaingt. Chorégraphie : Marc Ribaud. Vidéo : Étienne Guiol et Arnaud Pottier. Avec : Csilla Boross, La Gioconda ; Clémentine Margaine, Laura ; Alexander Vinogradov, Alvise Badoero ; Marianne Cornetti, La Cieca ; Stefano La Colla, Enzo Grimaldo ; Claudio Sgura, Barnaba ; Jean-Marie Delpas, Zuane ; Przemyslaw Baranek, un chanteur ; Jean Miannay, Isèpo ; Walter Barbaria, un timonier ; Serban Vasile, une barnabotto ; Vincenzo Di Nocera et Pasquale Ferraro, autres voix. Orchestre Philharmonique de Nice, direction Daniele Callegari. Chœur de l’Opéra Grand Avignon, Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, et Chœur de l’Opéra national du Capitole de Toulouse, coordination Stefano Visconti. Ballet de l’Opéra Grand Avignon, directeur de la danse Emilio Calcagno

L'opéra d' sous la direction musicale de et mis en scène par , a clôturé en grand les Chorégies d'Orange. Un somptueux voyage au cœur de la Venise baroque. 

La Sérénissime au seicento. Ses palais resplendissants, mais aussi ses eaux troubles, ses ruelles peu sûres. Ses fêtes, ses fastes mais aussi ses intrigues, ses sombres affaires. Son lion qui symbolise sa puissance et sa majesté, mais aussi par sa bouche ouverte qui reçoit les dénonciations anonymes, ce qu'elle a de plus puant. C'est là que La Gioconda, ouvrage italien du XIXᵉ siècle conçu comme un spectacle grandiose à la manière du grand opéra français, situe son action et ses personnages. C'est là qu'il puise ses atmosphères. a choisi de les restituer sur l'immense scène du théâtre antique quasiment exempte de décors, si ce n'est par l'image : la projection au sol de pavages évoquant les lieux extérieurs et extérieurs du drame, et celles sur le mur romain figurant tour à tour la lagune et une silhouette de la cité, le pont et les gréements d'un navire, l'effrayante « bocca del leone », et le « Paradis » du Tintoret, fresque couvrant le plafond du Palais des Doges. Seuls des filins et cordages apportent la troisième dimension, tendus et fendant l'espace à l'oblique dans les scènes maritimes du premier acte, formant rideaux dans les pièces imaginaires de la Ca'd'oro à l'acte trois. Le relief ? Il est apporté essentiellement par les personnages, dans leurs somptueux et opulents costumes d'époque, ceux du talentueux disparu récemment.

Point fort de la mise en scène, la structuration de l'espace par la disposition ou les déplacements des personnages : immobiles comme sur un échiquier au début du drame, en mouvements de foules lors du carnaval et par la suite, et dans la chorégraphie de la fameuse Danse des heures de l'acte trois, interprétée par le ballet de l'Opéra Grand Avignon. Chorégraphie que l'on doit à , et qui restera dans les mémoires tant par la grâce et la légèreté qui en émane, que par sa fluidité, et la qualité des costumes des danseurs, inspirés de l'antique et à connotation Grand Siècle, faisant leur effet sur le fond de mur romain. En dépit de petits défauts, imputables au temps court de préparation, mais aussi au vent qui souffle ce soir-là, signe une mise en scène magistrale, magnifiée par le remarquable travail d'éclairage de Laurent Castaingt aux lumières, jouant au fil du livret de Boïto sur les clairs-obscurs, les teintes dorées ou au contraire grises et sinistres. 

La réussite tient aussi à la direction musicale de , qui rompu à la partition qu'il connait en profondeur, montre une attention de tous les instants à chacun de ses musiciens, ceux de l' tout autant qu'aux solistes et aux chœurs, corrigeant quelques menus décalages avec ceux-ci au premier acte, adaptant ses tempi et ses phrasés à la respiration des chanteurs, dosant les intensités, évitant toute lourdeur, soignant la finesse expressive des lignes mélodiques, sans grandiloquence. Il en résulte une belle et touchante continuité dans la succession des airs qui compose le monumental ouvrage. Les chœurs réunis pour les nécessités de celui-ci – le chœur de l'Opéra de Monte-Carlo, le chœur de l'Opéra Grand Avignon, et le chœur de l'Opéra national du Capitole de Toulouse – sont parfaitement coordonnés par , n'en formant qu'un seul, nuée humaine et chantante d'une présence et d'une force considérables, qu'il représente la société vénitienne ou l'équipage de marins. 

Ambitieux pour les voix, sollicitant de par ses nombreux airs leur endurance comme leur puissance, l'opéra de Ponchielli réclame des solistes de haut vol, dans une forme à toute épreuve. La distribution, qui a subi de nombreuses modifications, est globalement d'une très bonne tenue, en dépit de quelques réserves qui ne concernent en rien les seconds rôles, tous impeccables. La mezzo-soprano en Laura domine en tous points la soirée : beauté du timbre velouté et enveloppant dans les graves, voix large et idéalement projetée dans tous les registres, palette de nuances et de dynamiques lui permettant d'incarner le rôle dans toute sa dimension dramatique, et belle présence scénique. La soprano dramatique , qui remplace au pied levé Saioa Hernández dans le rôle-titre, paraît en comparaison plus en retrait expressivement. Pourvue d'une technique sûre, sa voix puissante lui permet d'accéder à de beaux aigus, mais elle s'éteint dans les graves. Elle campe une Gioconda touchante, mais apparaît parfois empruntée sur scène, ne trouvant pas le geste adéquat, notamment lorsqu'elle reconnait le rosaire entre les mains de Laura et change d'attitude comme de ton d'une façon assez peu convaincante. Le dernier duo avec Barnaba « Ebbrezza ! Delirio ! » , époustouflant, la révèle cependant dans toute la dimension de son personnage. L'Inquisiteur Alvise Badoero d' n'impressionne pas par la puissance de sa voix, mais par son phrasé exemplaire, sa tenue, et son ton glaçant et cynique lorsque dans la scène 1 de l'acte 3 il s'en prend à Laura, l'intimant d'avaler le poison. donne à Enzo Grimaldo un timbre de ténor qui ravit dans ses duos avec Laura. Il s'empare du rôle avec ce qu'il faut dans l'émission vocale et le jeu de scène, mais on aurait attendu davantage de tension dans l'expression lors des passages de grande intensité dramatique. Le baryton est un Barnaba à la voix puissante et bien projetée, au timbre homogène aussi sombre que son habit, mais monochrome. qui fut dans des productions antérieures Laura et Gioconda, s'empare du rôle de la Cieca avec grande sensibilité, émouvante dans « Voce de donna o d'angelo », le chant superbement conduit dans la belle ampleur de son vibrato. 

Cela faisait presque quarante ans que la Gioconda n'avait pas foulé les planches d'Orange (dernière représentation en 1983). Le spectacle grandiose monté par Jean-Louis Grinda nous rappelle que l'ouvrage de Ponchielli inspiré de Victor Hugo et qui triompha à la Scala de Milan en 1876, demeure un opéra unique et incontournable de la fin du XIXᵉ siècle. Une réussite que les quelques milliers de spectateurs ont saluée par de nombreux rappels. 

Crédit photographique : © Philippe Gromelle

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