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Paris. Centre Pompidou, Grande salle. Festival Manifeste 15-VI-2022. Ivan Fedele (né en 1953) : Richiamo pour cuivres, percussions et électronique ; Francesco Filidei (né en 1973) : Ballata n°8 pour ensemble et électronique ; Lara Morciano (né en 1968) : Nei rami chiari, pour ensemble et électronique ; Marc Monnet (né en 1947) : Ti, ti, ti ti, timptru, variations pour soli et ensemble. Ensemble Orchestral contemporain ; Carlo Laurenzi, RIM Ircam ; José Miguel Fernandez, RIM Grame ; direction Bruno Mantovani
L'électronique est au rendez-vous dans cette soirée très attendue de Manifeste où l'Ensemble Orchestral Contemporain (EOC) sous la direction de son chef Bruno Mantovani a mis à l'affiche trois créations parisiennes au côté d'une pièce du répertoire.
Écrite en 1994, Richiamo (Rappel) de l'Italien Ivan Fedele n'a pas pris une ride, donnant à entendre la splendeur de ses sept cuivres réverbérés par les percussions et une partie électronique pilotée sur scène par un clavier midi. Ainsi Ivan Fedele compose-t-il l'espace, telle une anamorphose de sons aux géométries variables qui met en apesanteur, immergeant l'écoute dans un flux spatial où la notion de temps disparaît.
Rares sont les chefs d'orchestre qui prennent le micro pour s'adresser au public durant les changements de plateau. C'est ce que fait pour chacune des œuvres au programme, avec beaucoup d'aisance et un plaisir évident, Bruno Mantovani qui a mis la transmission au cœur de sa vocation de musicien. Il nous met sur la piste de l'orgue dans sa présentation de Ballata n°8 (2021) du compositeur italien et organiste Francesco Filidei. Pour en finir avec cet instrument qu'il a aujourd'hui délaissé (c'est en tout cas notre sentiment à l'écoute de l'œuvre), Filidei se sert des stéréotypes de l'orgue pour les transférer dans son écriture instrumentale où il poursuit, avec toujours plus d'intensité et de radicalité, son questionnement sur le son. S'exprime une rage dans le début de la partition à travers un traitement instrumental musclé : violence des clusters assénés par tous les instruments, explosion de matière et pulsation obsessionnelle nourrissent une trame narrative balisée par les pizzicati énigmatiques du violon. L'œuvre intègre appeaux et rhombes (ses accessoires fétiches) ainsi que l'électronique, une partie de sons fixés projetée depuis la console par Carlo Laurenzi. Le climat s'apaise dans une seconde partie épurée et habitée de sonorités fragiles et aériennes : l'évocation est d'une tendresse infinie sous le geste de Bruno Mantovani, où semblent résonner des tuyaux imaginaires dont la beauté nous saisit.
Aller-retour de l'outil technologique à la pensée compositionnelle
Adepte du « temps réel », la compositrice (italienne toujours) Lara Morciano aime se lancer dans des projets risqués où elle met en jeu, avec son collaborateur virtuose José Miguel Fernandez, les outils de pointe de la technologie : tel le logiciel de suivi de partition Antescofo qui permet à l'électronique de réagir aux moindres gestes des instrumentistes. Pas de clic dans l'oreille du chef comme chez Filidei ; l'entière responsabilité de la partie électronique est dévolue à la machine et au RIM (Réalisateur en Informatique Musicale) qui en assure le bon fonctionnement. Les promesses sont tenues ce soir, dans Nei rami chiari (Dans les branches légères) dont le matériau électronique provient, nous dit la compositrice venue dialoguer avec Mantovani, de l'analyse spectrale des résonances d'un gong. La pièce aussi puissante que maîtrisée sidère par la richesse de ses composantes et l'hybridation de ses couleurs. Lara Morciano y sculpte son espace et dessine ses trajectoires à travers l'énergie du geste des instrumentistes dont il ne faudrait pas oublier la présence et le rôle générateur dans cette conception visionnaire du sonore. Le temps suspendu et les superbes figures qui se dessinent dans l'espace ménagent d'autres perspectives dans un épilogue qui apaise et émerveille tout à la fois.
Oiseaux fantasques
Marc Monnet n'éprouve pas le besoin d'ajouter l'électronique à l'ensemble instrumental dans Ti, ti, ti ti, timptru, une œuvre pour laquelle il va puiser très loin dans le passé son inspiration. Le titre facétieux, comme il les aime, est emprunté à un vers des Oiseaux d'Aristophane où le poète grec tente d'imiter un chant d'oiseau particulièrement criard évoquant le choc d'un marteau sur du métal… une typologie sonore (sons aigus, percussifs et répétitifs) qui lorgne vers Messiaen et que l'on retrouve tout du long, éclairant peut-être la présence du banjo (avec sa corde de métal qui claque) au sein de l'effectif instrumental. La pièce est sous-titrée « Variations pour soli et ensemble », ménageant huit interventions solistes reliées par autant de commentaires du tutti dans un processus d'amplification sonore – bribes de fanfare, de batucada et autres musiques populaires qui alertent l'écoute. Parmi les nombreux soli, tous intrigants et de plus en plus bruyants, citons l'impulsive contrebasse de Rémi Magnan qui amorce la trajectoire, le violon oiseau de Gaël Rassaert, le jeu très pincé de la harpe (Emmanuelle Jolly) ou encore l'intervention théâtrale du cor (Serge Desautels) qui siffle dans son embouchure et sollicite la résonance des cordes du piano ; sans oublier la prestation du banjo (Bruno Simon), dont le ramage percussif et coloré s'intègre parfaitement dans le paysage. Il y a du théâtre et du second degré dans cette pièce pour le moins surprenante, réclamant l'engagement sans compter du chef et de ses instrumentistes.
Crédit photographique : © EOC
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