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A Manifeste, d’Anton Webern à Alexander Schubert et plus si affinités

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Paris. Cité de la Musique, Amphithéâtre. 10-VI-2022. « Webern + ». Anton Webern (1883-1945) : Trio à cordes op. 20, Quatuor à cordes op. 38 ; Kevin Juillerat (né en 1987) : Mues pour harpe augmentée ; Clara Iannota (née en 1983) : Echo from Afar (CM) ; Emmanuel Nunes (1941-2012) : Einspielung I ; Solistes de l’Ensemble intercontemporain : Valeria Kafelnikov, harpe ; Jeanne-Marie Conquer, violon ; Diego Tosi, violon ; John Stultz, alto ; João Svidzinski, électronique Ircam. Clément Marie, diffusion sonore Ircam

Paris. Centre Pompidou, Grande salle. Festival Manifeste. 11-VI-2022. Alexander Schubert (né en 1979) : Anima ᵀᴹ, spectacle multimédia (CM) ; Decoder Ensemble : Leopold Hurt, Andrej Koroliov, Carola Schaal, Sonja Lena Schmid ; Jonathan Shapiro, Guy Marsan, Si-Ying Fung, danse ; Antoine Caillon, Philippe Esling, collaboration scientifique (équipe Représentations musicales Ircam-STMS) ; Luca Bagnoli, diffusion sonore Ircam ; Patricia Carolin Mai, chorégraphie ; Lucas Gutierrez, vidéo ; Stefan Britze, scénographie ; Felina Levits, costumes ; Diego Muhr, lumières. Conception, direction artistique, composition, Alexander Schubert

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Deux opus d' auxquels font écho les pièces de , Emmanuel Nunes et : un concert exaltant, tout de cordes, pour écouter un classique au XXIe siècle au milieu de nos contemporains.

Faire dialoguer les œuvres entre elles est une formule qui revient constamment dans les programmes de concert. Qu'en est-il ce soir ? Y a-t-il rencontre ? Oh que oui ! avec comme points communs la modestie des effectifs et donc le caractère confidentiel de la musique, l'instrumentarium, la brièveté des morceaux, leur densité, l'éclatement dans l'espace et, plus classiquement, la forme rondo avec ses variations. Ce à quoi il faut ajouter l'excellence des interprètes dans des pièces très exigeantes mettant leur instrument en valeur.

Avec Webern, désormais chaque note vaut pour elle-même. C'est une musique très personnelle, atomique, au scalpel et qui a adopté la grammaire sérielle : les deux ouvrages joués ce soir appartiennent à sa dernière période (1926-1945). Son Trio à cordes op. 20 (1927) réussit à exposer la rigueur de l'écriture dodécaphonique dans un désordre apparent, ce que rendent très bien et avec une aisance confondante le violon de Jeanne-Marie Conquer, l'alto de et le violoncelle de Renaud Déjardin. Une discussion à trois très serrée et très aérée à la fois. Joué ce soir en avant-dernière position, le Quatuor à cordes op. 28 (1937-1938) est plus âpre et plus touffu, exploitant le motif BACH, qui a également inspiré Schoenberg et Berg. Trois mouvements pour arriver, de l'aveu du compositeur, à la synthèse de l'horizontalité (1er mouvement en forme d'adagio) et de la verticalité (2e mouvement avec canon) dans le 3e. Les trois musiciens plus au second violon emportent cette partition avec toute l'expressivité et la précision requises.

Comme il est rare et agréable de voir rouler au milieu de la scène une harpe seule, bel instrument à la vraie présence ! Celle-ci est dite « augmentée », car sur sa table d'harmonie ont été posés des transducteurs qui vont diffuser les sons électroniques de Mues (2022) de , une commande de l'. Elle est jouée ce soir par , soliste elle aussi de l'. Et pieds nus, ce qui pourrait paraître un détail, mais n'en est pas un puisque le compositeur a voulu instaurer un jeu fusionnel entre l'instrument et l'instrumentiste. Ce qui se traduit également – et c'est encore moins un détail – par un doublage électronique très proche de la harpe, n'empruntant qu'aux sons de cette dernière, qui les diffuse elle-même. Très concentrée, engage donc un combat amoureux avec son instrument, un combat pour le moins feutré qui commence par deux notes séparées par un intervalle ascendant de tierce mineure. La confidence enfle, se dramatise puis revient au point de départ : Mues s'avère donc une série de métamorphoses basées sur des cellules motiviques entêtantes revenant toujours à leur source et repartant de nouveau tout en gardant le souvenir de la tentative d'évolution précédente. Augmentée, la harpe l'est parfois également par l'emploi d'un archet. Le dialogue entre l'instrument hybride et l'électronique, qui le « commente » et le sature par des sons noise est très réussi, car les deux sources sont proches. Une pièce méditative et particulièrement belle. Bravo aux deux interprètes, étant à la réalisation électronique !

La harpe est encore présente dans Echo from Afar (2022) de , commande de l'EIC créée ce soir. S'y adjoignent violon, alto, violoncelle et électronique. Celle-ci, le plus souvent en temps réel, a nettement la vedette, selon le vœu de la compositrice d'utiliser l'espace comme matériau de composition. D'où les effets de larsen et les phénomènes de feedback permanents. Les instruments eux-mêmes ont été modifiés et aucun son ne semble naturel. La musique est planante dans l'ensemble, comme immobile, des micro-événements se produisant dans une atmosphère cosmique. Ces échos des échos du son dans l'espace forment une pièce agréable.

Réveil musclé avec le violon et l'électronique d'Einspielung I (2011) d'Emmanuel Nunes, le morceau le plus rude et le plus difficile d'appréhension de la soirée ! Le compositeur a imaginé un musicien s'échauffant juste avant de jouer. D'où sans doute une écoute schizophrène entre un beau violon classique et très virtuose (, quelle superbe !) et une électronique à mille lieux de l'instrument et comme son double caricatural de dessin animé. Et puis à quoi peut bien servir une électronique qui n'a aucune autonomie ? N'importe, on gardera longtemps en souvenir le jeu de l'interprète. (PJ)

anime le virtuel à

Tout à la fois concepteur, compositeur, metteur en scène et virtuose du codage informatique, Alexander Schubert, en dialogue avec les chercheurs de l', Antoine Caillon et Philippe Esling, intègre les outils relevant de l'intelligence artificielle dans son nouveau spectacle multimédia Anima ᵀᴹ, commande de l' dans le cadre du festival.

Schubert avait fait l'événement du festival Musica 2021 avec son monumental Asterism, projet artistique de plus de 35 heures, mêlant théâtre, danse, scénographie et musique, où il faisait déjà appel à une simulation informatique produite par une intelligence artificielle. De format beaucoup plus réduit (1heure 30), Anima ᵀᴹ est une œuvre visuelle et sonore entièrement générée par l'ordinateur, où Schubert poursuit ses recherches artistiques d'un monde augmenté et virtuel. Il convoque le texte, passant par la voix parlée et traitée des sept membres du (tout à la fois acteurs et danseurs), et associe la vidéo de Lucas Gutierrez et la musique dans un flux quasi continu de sons et d'images en 3D qui impressionnent.

Anima ᵀᴹ est le nom d'une institution où le visiteur entre en contact avec son propre passé et son futur probable, nous dit la notice de programme ; un lieu d'introspection donc, où le propos psychanalytique voire philosophique et politique, entendu le plus souvent en voix off, s'inscrit parfois sur les éléments de scénographie. Le décor (Stefan Britze) consiste en une simple structure cernant le plateau et habillée de tulle blanc pour accueillir la vidéo qui en bouleverse constamment la perspective, dans un flot d'images dont le mouvement et la virtuosité émerveillent. Le cadre métallique s'effondre à la fin du spectacle, dans une séquence d'une belle intensité où le geste chorégraphique et le temps musical interagissent avec les seuls effets de la lumière (Diego Muhr).

La musique, essentiellement de la synthèse sonore, balance entre un univers bruité et agressif, souvent à haut-voltage, qu'aime entretenir le compositeur et des séquences mélodiques plus planantes, instrumentales autant que vocales, qui accompagnent les voix parlées. On ne saurait dire la raison pour laquelle Schubert introduit, vers la fin, trois musiciens (les membres du toujours) jouant sur des instruments traditionnels, flûte droite, cithare et tambour, dont la participation reste très épisodique. Quant au geste des danseurs, en synchronie avec la musique, il provient des instructions symboliques de mouvement envoyées par la machine à partir desquelles Patricia Carolin Mai a élaboré sa chorégraphie. Elle établit une relation interactive très sensible entre production sonore et mouvements des performers dont les superbes costumes androïdes sont le fruit de l'imagination de Felina Levits.

Anima ᵀᴹ sera diffusé sur la chaîne Youtube de l'Ircam du 14 juin au 2 juillet puis disponible durant six mois à partir du 23 octobre. (MT)

Crédits photographiques : © JB Millot ; Anima ᵀᴹ © Hervé Véronèse

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