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Philip Glass par Katia et Marielle Labèque à Dijon : la transe

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Dijon. Auditorium. 9-VI-2022. Bryce Dessner (né en 1976) : El Chan. Philip Glass (né en 1937) : Four mouvements for two pianos ; Les Enfants terribles, arrangement pour deux pianos de Michael Riesman. Avec : Katia Labèque et Marielle Labèque, pianos

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et les sœurs Labèque : une aventure qui semblait écrite d'avance.

Regardant dans le rétroviseur de sa vie, Glass avoue : « le plus intéressant pour moi est d'avoir rencontré autant de personnes ». Les « sœurs terribles » du piano, pour qui il a composé son Concerto pour deux pianos, ont enregistré Les Enfants terribles dans une version à leur intention. Le disque paru en 2021 avait marqué les esprits. Moins que le récital qu'elles en donnent à Dijon, de ceux qui redisent l'expérience irremplaçable du concert.

Le programme donné à l'Auditorium affiche une autre cohérence que celui que les Labèque avaient donné dans le cadre du dernier Festival de Besançon. A la place des classiques Debussy et Ravel, le temps est venu d'un programme majoritairement dédié au compositeur américain : précède donc ce classique en devenir que sont Les Enfants terribles (la disquaire itinérante Oh ! Des disques ! peut raconter comment son stock conséquent a été dévalisé) le tout aussi marquant Four mouvements for two pianos.

Dans les années 80, un des premiers disques des Labèque (Gerschwin) leur offrait leur passeport pour le Nouveau Monde. Américain lui aussi, , avec El Chan, pose le décor de la soirée. , né presque 40 ans après Glass, a dédié au réalisateur Alejandro González Iñárritu cette partition d'une quinzaine de minutes, née du mystère dégagé par un plan d'eau dormant dans les canyons mexicains. Sept miniatures impressionnistes, entre solaire immobilité solaire et fugace frayeur, ciselées par les Labèque en attentives ambassadrices de cette nouvelle musique venue du Nouveau Monde.

Les choses sérieuses commencent avec la saisissante dramaturgie sans paroles de Four Mouvements for two pianos que Glass composa pour ses amis Maki Namekawa et Dennis Russell Davies. Katia et s'approprient sans crier gare une musique que l'on jurerait écrite pour elles. La bouillonnante multiplicité des affects du Mouvement I, attaqué sans perdre une seconde (ce sera également le cas avec Les Enfants terribles), tient en réserve leur ardent naturel, lequel trouve matière à ressurgir au Mouvement III : sa double ascension émotionnelle fait sortir Katia de la seule technicité, visiblement possédée, comme à Lyon en 2017, par le bouleversant entrelacs mélodico-rythmique de son climax, avant que Marielle, de six accords dans le registre grave, ne sonne le glas de ce numéro irrésistible. La conclusion péremptoire du Mouvement IV soulève ses deux interprètes en même temps que l'enthousiasme de fin de concert d'un public déjà conquis.

La dynamique (entre touchers immatériels et Steinways frappeurs qu'il faut longuement ré-accorder à l'entracte) est creusée de façon plus spectaculaire encore pour Les Enfants terribles. L'Ouverture, avec ses coups de boutoir répétés semblant sonner faux, saisit d'emblée connaisseur et novice. Personne ne peut résister à l'immense crescendo de Paul is Dying, arpèges tintinnabulants partis de rien sous les doigts de Katia, évoquant l'épaisse chute de neige qui ouvre l'opéra éponyme, pour tomber sur les graves abyssaux de Marielle. Leur cristallin The Somnambulist fait littéralement quitter Terre. Katia étire autant qu'il est possible vers le haut du piano et vers la voûte de l'immense nef dijonnaise, la mélodie la plus nue qui soit, de Terrible Interlude. Are you in love, Agathe libère des torrents d'une émotion longtemps contenue. Une lecture plus « terrible » même que celle de la version intégrale (2 CD Orange Mountain Music), suivie par une salle qui aura retenu son souffle. Toujours flamboyantes, la mélancolie en plus, les Labèque font des onze numéros revus par Michael Riesman pour deux pianos d'un opéra composé pour trois, de redoutables objets d'envoûtement. Preuve, si besoin était, du dramatisme puissant de la musique de Glass, virtuose et dépouillée, haletante et émouvante, que plus personne ne devrait qualifier de minimaliste.

C'est avec l'Amérique (après un petit tour au Jardin féerique de Ravel, deux extraits du West Side Story de Bernstein) que les sœurs magnétiques mettent un terme au nombre considérable de rappels venus consacrer ce récital hypnotique.

Crédits photographiques : © Umberto Nicoletti/Stefania Paparelli

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