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Création du Concerto pour violoncelle de Michaël Levinas à Avignon

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Avignon. Opéra 3-VI-2022. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Ouverture de La Clémence de Titus ; Michaël Levinas (né en 1949) : Concerto pour violoncelle et orchestre ; Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Symphonie n°3 en mi bémol majeur op.55 « Eroica ». Henri Demarquette, violoncelle ; Orchestre national Avignon-Provence, direction : Debora Waldman

Co-commande des Orchestres nationaux d'Avignon Provence et de Cannes, le Concerto pour violoncelle de est donné en création mondiale à l'Opéra d'Avignon dans le cadre du nouveau Consortium créatif dont c'est la première manifestation.

La traditionnelle ouverture qui débute la soirée donne le ton et le son d'un orchestre en grande forme, emmené par sa cheffe titulaire . Concise et fulgurante, la page inaugurale de La Clémence de Titus, opéra seria et dernier du catalogue de Mozart, est prise à vive allure, dont souligne la verticalité des lignes et l'énergie qui la traverse sous un geste aussi précis que galvanisant.

est sur scène pour présenter sa nouvelle œuvre et revenir sur le projet du Consortium créatif dont il est le premier bénéficiaire à travers la commande de ce Concerto pour violoncelle. Le compositeur invite en soliste , pour avoir, en tant que pianiste, donné en concert avec lui l'intégrale des Sonates pour violoncelle de Beethoven.

L'effectif orchestral reste le même (si ce n'est l'ajout d'un trombone et ses sourdines) pour ce concerto que Levinas souhaite inscrire dans le sillage de ses prédécesseurs : en se posant la question « du mélodique et du polyphonique » au sein d'un travail d'écriture « qui tente une synthèse entre le polyphonique et l'harmonique », nous dit-il en substance. Dans le premier mouvement « Choral en larme II », s'amorce d'emblée l'expérience d'étrangeté à laquelle il nous convie : le violoncelle entendu dans ses harmoniques sur-aiguës engage avec les cordes de l'orchestre une polyphonie de lignes/lianes très flexibles qui parcourent l'espace. Elles glissent et s'enchevêtrent avant de se stabiliser sur une consonance, telle une sorte de « déchant » moderne aux inflexions microtonales. L'intérêt pour cette trace laissée par le son qui s'éteint – « le pleur du son » – traverse l'écriture du compositeur depuis son opéra Le Petit Prince. Dans le deuxième mouvement Tourment, l'un des cors tourne le dos au public pour que les deux instruments mis en vedette jouent face à face, créant des interférences et un timbre singulier – du feedback levinassien ; ce phénomène sonore répété, liant le mélodique et l'harmonique, est prolongé et commenté par l'orchestre et le soliste sous une forme « responsoriale » autant que théâtrale. Le troisième mouvement, davantage développé, est plus impressionnant encore, laissant le soliste investiguer les composantes du son, partiels et instabilité des hauteurs (battements entre les fréquences) avec ses partenaires violoncellistes de l'orchestre tandis que s'est installé aux contrebasses un bourdon filtré par les sourdines de plomb. Le champ sonore atteint sa plénitude avec l'entrée de l'orchestre et la mélodie émergente du cor, autre choral d'un lyrisme contenu, modulé par les trompette et trombone en sourdine. Le soliste refait surface à la fin du mouvement et poursuit seul dans une cadence qui tient lieu d'Épilogue du concerto. La page est superbe, très ciselée et finement interprétée par , où s'incarne la pensée du compositeur dans cette manière de tresser harmonie et polyphonie (les sons multiphoniques et double cordes abondent) pour que naisse la mélodie. La délicatesse du geste de l'interprète et la profondeur du timbre sous son archet laissent advenir l'émotion nue dans l'espace silencieux de la salle de concert.

On connaît la proximité de avec Beethoven dont il a entrepris la « lecture » des sonates pour piano dès son tout jeune âge. Ainsi s'affiche au programme de la deuxième partie de la soirée, l' « Eroica », troisième symphonie du maître de Bonn, mise de toute évidence au répertoire de l'orchestre qui en donne ce soir une interprétation tirée au cordeau. Soucieuse de la ligne et de la fluidité des échanges, donne tout son élan à l'Allegro con brio, avec un rien de précipitation peut-être, qui nuit parfois à l'assise et la plénitude du son. Une belle vision architecturale préside à la Marche funèbre, laissant apprécier la qualité des pupitres (du grain des contrebasses à la profondeur des timbales) et l'équilibre que la cheffe instaure au sein de l'orchestre, en donnant à entendre toutes les composantes de l'écriture. Le Trio au sein d'un Scherzo alerte et pétillant, confirme l'excellence des cors, déjà mis en valeur par Levinas. Le Finale est mené de main de maître, où l'espace se déploie et la théâtralité affleure, entre légèreté elfique (hautbois et flûte lumineux) et assise harmonico-rythmique. Le thème – celui d'une contredanse du ballet « Les créatures de Prométhée » – est exposé avec élégance tout comme sa première variation. La fugue y rayonne au sein des pupitres, dans la clarté de la polyphonie et le rebond incessant de son sujet : la vitalité des timbres et des caractères capte l'écoute jusqu'à la double barre finale. La conduite est lumineuse et la réactivité exemplaire d'un orchestre mis au défi ce soir par l'exigence et la teneur d'une œuvre en création.

Le concerto de Michaël Levinas sera rejoué par les Orchestres nationaux de Cannes et de Bretagne à l'automne prochain, par le même soliste et au sein d'un programme renouvelé pour chacun des orchestres.

Crédit photographique : ©

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