Déroutant récital de Plamena Mangova associant Brahms, Clara et Robert Schumann
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Robert Schumann (1810-1856) : Drei Fantasiestücke op. 111 ; Gesänge der Frühe op. 133 n° 5. Clara Schumann (1819-1896) : Drei Romanzen op. 21, transcription de Widmung de Robert Schumann. Johannes Brahms (1833-1897) : Albumblatt op. posth. ; Sonate pour piano n° 3 op. 5 ; Intermezzo op. 118 n° 6. Plamena Mangova, piano. 1 CD Mirare. Enregistré au Studio 4 de Flagey, en Belgique, en novembre et décembre 2020. Notice en français et anglais. Durée : 75 min.
MirareDes rapports complexes entre les personnages de ce trio (à savoir Clara et Robert Schumann ainsi que Johannes Brahms) que l'on peut qualifier “d'amoureux”, ont émergé une parenté de langages. Ce récital qui emprunte son titre au Quatuor à cordes n° 2 de Janáček, “Lettre Intimes”, n'est donc pas anodin et devrait inciter à révéler, cette “intimité”. Toutefois, Plamena Mangova en offre une lecture d'une âpreté qui déconcerte.
Une confusion des sentiments pour reprendre le titre d'un des romans de Stefan Zweig émerge de ces échanges musicaux. En effet, des harmonies, des mélodies et des rythmes se croisent sous les plumes des trois musiciens. Chacun d'eux aurait pu contre-signer bien des passages, tant les confidences se resserrent entre deux hommes et une femme.
La prise de son aussi proche qu'incisive accentue la vivacité des “discussions” que l'on imagine entre compositeurs. Rapidement, on remarque que le jeu de Plamena Mangova, habilement tourbillonnant dans les Fantasiestücke de Schumann, n'est pas exempt de sécheresse. Sécheresse dans les contrastes rythmiques et dynamiques. De fait, le Schumann de l'interprète bouscule sans cesse le mouvement. Le piano est moins soucieux de la beauté des timbres que d'exalter la force expressive. Ce sentiment d'intensité est tout aussi vif dans les Trois Romances de Clara Schumann, d'une nature emportée, et aux accents presque slaves. En effet, on croirait entendre les échos de quelques pages de Tchaïkovski ! Pourquoi brusquer aussi le Widmung de Robert Schumann arrangé par Clara Schumann (bel apport que cette version après celle de Liszt et la rare adaptation de Fiorentino) et appuyer si fortement le chant ? Le piano avance par à-coups dans le souci, probablement, d'éviter tout alanguissement, comme si le danger consistait à évacuer l'idée même de “musique de salon”. Le dernier des Chants de l'aube gêne plus encore, tant le jeu semble forcé. Il en devient presque théâtral, là où l'on n'entendait que la suggestion et le murmure chez Laurent Cabasso et Piotr Anderszewski.
À l'évidence, Plamena Mangova déteste toute forme de sensiblerie et on ne peut qu'adhérer à cette approche. Est-ce une raison pour que le son devienne dur dès les premières pages de la Sonate n° 3 de Brahms ? Le toucher se raidit, cassant les lignes de chant – pourquoi faire claquer à ce point les extrêmes aigus ? – dans l'Andante espressivo. La perception de Plamena Mangova est d'un caractère ascétique et rude jusque dans les trilles que l'on entendrait plus volontiers joués ainsi chez Rameau. Le Scherzo puis l'Intermezzo sont tout aussi rigides. Décidément, l'extase amoureuse qui nous est décrite – les quelques vers du poète Sternau écrit de la main de Brahms au début du manuscrit en témoignent – appartient, ici, davantage à l'analyse pure de la passion qu'à l'univers du nocturne crépusculaire vécu dans l'instant. Une telle approche pouvait se justifier dans la version aussi franche et noble que la pianiste offrit dans son enregistrement du Concerto pour piano n° 1 de Brahms sous la baguette de Water Weller (Fuga Libera). Dans ces pièces, elle déconcerte.
À ces partitions judicieusement réunies, il manque la fluidité des dialogues, précisément revendiquée dans le titre de l'album : “Lettres intimes”. Cela étant, on ne reprochera pas à l'interprète, une absence de cohérence dans sa perception de ces univers. Assurément, elle interpelle l'auditeur à défaut de pleinement l'émouvoir.
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Robert Schumann (1810-1856) : Drei Fantasiestücke op. 111 ; Gesänge der Frühe op. 133 n° 5. Clara Schumann (1819-1896) : Drei Romanzen op. 21, transcription de Widmung de Robert Schumann. Johannes Brahms (1833-1897) : Albumblatt op. posth. ; Sonate pour piano n° 3 op. 5 ; Intermezzo op. 118 n° 6. Plamena Mangova, piano. 1 CD Mirare. Enregistré au Studio 4 de Flagey, en Belgique, en novembre et décembre 2020. Notice en français et anglais. Durée : 75 min.
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