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La mise en scène en question à Nîmes

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Igor Stravinsky (1882-1971) : Histoire du soldat, mise en scène de Pierre Florac et Eleonora Rodigari ; Eric Houzelot, Richard Dubelski, Mathieu Loizeau, comédiens ; Ensemble Multilatérale ; direction Stefano Boccacci et Gabriela Opacka-Boccadoro ; Georges Aperghis (né en 1945) : Récitations, mise en scène de Kapitolina Tcvetkova et Clément Debras ; Raquel Camarinha, soprano ; Yoan Héreau, échantillonneur ; Hans Werner Henze (1926-2012) : El Cimarrón, mise en scène de Viktoria Agarkova et Irina Deryabina. ; Iván García, baryton ; Ensemble Multilatérale, direction : Carlo Tortarolo

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En lien avec l' et son chef , le metteur en scène et aventurier Antoine Gindt lance la première édition d'une Académie internationale de Mise en scène de Théâtre musical, une proposition aussi rare qu'ambitieuse accueillie par la ville de Nîmes du 2 au 13 mai.

Cours, master classes publiques et répétitions ont réuni une trentaine d'académiciens venus de tous les horizons (metteurs en scène mais aussi compositeurs, dramaturges, chefs d'orchestre, scénographes et médiateurs) durant les deux semaines de l'académie. Trois équipes avaient été choisies en amont – deux metteurs en scène et leurs collaborateurs lumière et scénographie. Chacune d'elle a investi un lieu différent de la ville pour travailler sur une des trois œuvres musicales de cette première édition, trois partitions entretenant un rapport singulier à la scène dont le public était invité à voir les restitutions durant les deux derniers jours de l'académie : l'Histoire du soldat (1917) de Stravinsky, Récitations (1978) de et le peu connu El Cimarrón (1969-1970), monodrame de .

C'est au centre social Simone Veil que Pierre Florac et Eleonora Rodigari ont monté l‘Histoire du Soldat d' sur le texte de Charles-Ferdinand Ramuz, une œuvre très exigeante, musicalement parlant, souvent donnée en version de concert avec un seul comédien. Les personnages sont ici incarnés, le récitant, Mathieu Loiseau se tenant en dehors du plateau, le Soldat, Richard Dubelski, mimant la marche et ses contretemps rythmiques et le Diable, Eric Houzelot, en culotte courte, dont la gouaille et la présence scénique prennent le dessus. La scénographie est minimale, suivant l'esprit du théâtre de tréteaux dans lequel s'inscrit l'ouvrage « lu, joué et dansé », conçu en temps de guerre et créé à Lausanne en 1918. Pas d'accessoires (ni livre, ni téléphone, ni petit violon… ) sinon ce cube sur le plateau et deux panneaux derrière lesquels se tiennent les musiciens et où joue la lumière. Tout y est mimé par les acteurs, laissant à la musique de Stravinski sa capacité à montrer. Reste le problème épineux de la danse (Eloïse Kohn), moins convaincante, dans sa conception comme dans sa réalisation, qui n'a pas le degré de stylisation répondant à la musique de Stravinsky. L' est dirigé par deux académiciens – et coachés par durant l'académie – qui se relaient à la tâche et s'en tirent très honorablement, si l'on considère la partition du compositeur comme l'une des plus difficiles à diriger !

Un autre défi est lancé à l'équipe de Kapitolina Tcvetkova et Clément Debras, celui de mettre en scène dans le Petit Temple de Nîmes, les Récitations de , œuvre emblématique de ce magicien des mots prévue à l'origine pour le concert. L'espace a été mis sans dessus-dessous – le message est clair – lumière crue des néons, chaises bancales, pieds cassés, bancs remisés au fond du temple en un assemblage déstructuré et un univers chaotique dans lequel va évoluer la chanteuse Raquel Camarinha.

Ainsi arpente-t-elle le temple dans sa longueur en hurlant des mots incompréhensibles ou vient-elle s'asseoir à une table, exerçant ses capacités respiratoires en lisant son texte en apnée. L'idée est de s'emparer des Récitations qui échappent à la notation traditionnelle (9 sur les 14 de l'intégrale) pour les mener plus loin, dans leur potentiel sonore et théâtral : en faisant appel au traitement du son en direct – la chanteuse à un micro-lèvres – ou au sampleur de Yoan Héreau qui compose lui-même sa Récitation, en assemblant et articulant à sa manière des fragments de voix enregistrés. La chanteuse l'écoute, intriguée, et se met à danser… . Puis, elle s'immobilise sur un petit podium tournant pour interpréter une des Récitations les plus drôles et virtuoses (n°11) où le son amplifié accuse le processus obsessionnel. Des voix fantômes s'entendent à travers les haut-parleurs avec lesquelles elle semble entrer en communication, creusant le mystère et la poésie étrange qui s'en dégage. L'imagination est à l'œuvre chez nos deux académiciens et le parti pris bien assumé. Ainsi en va-t-il de la mise en scène, dont les idées peuvent ajouter à la composition une dimension autre à laquelle le compositeur n'avait pas pensé.

De plus grande envergure (une heure quinze de musique), El Cimarrón, qui couronne cette journée de découverte, est un monologue/théâtre musical de quasi inconnu du public français, porté au disque, il est vrai, chez DG, mais dans sa version allemande. C'est dans l'espagnol original que le baryton nous raconte l'histoire du fugitif cubain Esteban Montejo : sa condition d'esclave dans les champs de coton, sa fuite dans la forêt, sa révolte contre l'occupant et son engagement pour l'indépendance de son pays.

Ce « récital pour quatre interprètes » (chanteur, guitariste, flûtiste et percussionniste), selon les mots du compositeur, est mis en scène par une équipe de choc, deux jeunes femmes, Viktoria Agarkova et Irina Deryabina, diplômées de scénographie à l'Université russe des Arts du Théâtre (GITIS) qui parviennent, avec peu de moyens toujours, à donner au récit son élan et sa fluidité. Un alignement de neuf cordes fixées au sol constitue le seul élément de décor. Le procédé n'est certes pas nouveau mais l'efficacité garantie et la ligne esthétique superbe.

 

Ces cordes amovibles sont décrochées, assemblées, manipulées par l'interprète et servent la dramaturgie selon les différents chapitres de l'histoire : barreaux de prison, entraves de prisonnier, fouet des contremaîtres, etc. est diseur autant que chanteur, dont la voix parlée est aussi belle et timbrée que la voix chantée, utilisant souvent son registre de « fausset ». Familier du rôle, il revit les aventures d'Esteban Montejo avec une vitalité où l'humour le dispute à la rage de vivre. Les musiciens ne sont pas en reste, qui interagissent continuellement avec le chanteur. Si le guitariste Rémi Jousselme joue également des percussions, harmonica, sifflet, guimbarde, flûte traditionnelle sont à portée de main du flûtiste Matteo Cesari tandis que la percussionniste Hélène Colombotti prend part (vocalement cette fois) à « l'insurrection » dans les derniers chapitres hauts en couleurs du récit. Placé à cour, Carlo Tortarolo conduit tout ce petit monde avec efficacité, sur une partition dont la notation laisse bien souvent un espace de liberté aux musiciens. Voilà une fort belle rencontre entre des interprètes chevronnés et une jeunesse très prometteuse.

Pour 2023, le rendez-vous est pris avec l'Ensemble intercontemporain et trois nouvelles œuvres à l'affiche : Song Books de John Cage, Aventures du Roi fou, extrait de Aventures, nouvelles aventures de Ligeti et Eight Songs for a Mad King de Peter Maxwell Davies, et L'Opéra de Quat'sous (extraits) de Kurt Weill et Bertolt Brecht.

Crédits photographiques : © T&M

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