Crystal Pite et Jonathon Young revisitent le Revisor

L'art dramaturgique et chorégraphique de Cristal Pyte éclate dans cette adaptation du Révisor de Nicolas Gogol à La Villette, créée avec l'écrivain canadien Jonathon Young pour la compagnie Kidd Pivot. On y retrouve son talent organique pour les corps et un sens aigu de la mise en scène.

Il y a deux Crystal Pite, celle qui crée des spectacles de danse organiques pour les plus grandes compagnies de ballet, comme le Ballet de l'Opéra de Paris ou le Nederlands Dans Theater et celle qui, en s'intéressant à la danse-théâtre avec sa compagnie Kidd Pivot, élargit sa palette dramaturgique. Crystal Pite dirige depuis 20 ans sa propre compagnie à Vancouver au Canada. Pour cette adaptation de Revisor, la farce de Nicolas Gogol, elle a choisi de collaborer avec l'acteur et écrivain canadien Jonathan Young pour la deuxième fois. Déjà en 2017, les deux artistes avaient présenté Betroffenheit au Théâtre national de la Colline, dans un format danse-théâtre.

Ce Revisor est lui aussi bicéphale, avec une première partie ultra-stylisée et théâtrale et une deuxième partie purement chorégraphique. Avec ce double format, qui pose l'intrigue et les ressorts dramatiques du Revisor, pour n'en garder dans une deuxième phase que le sous-texte, les deux créateurs du spectacle poursuivent leur expérimentation sur l'écriture chorégraphique et théâtrale, et la juxtaposition des deux. Cristal Pyte fait aussi œuvre d'abstraction dans l'usage des didascalies, description de lieux, de personnages ou d'actions qui interviennent en contrepoint des séquences mimées ou dansées. On retrouve même les Figure 1 et Figure 2 des ballets récemment créés à l'Opéra de Paris, The Season's canon ou Body and soul.

Les costumes et les décors de la première partie du décor nous projettent dans une Russie pré-révolutionnaire, minée par la corruption et la bureaucratie. Le Revizor de Nicolas Gogol dénonce la veulerie des potentats locaux, leur médiocrité aussi, dans une fable grinçante et réaliste. Chaque personnage est caractérisé physiquement et chorégraphiquement, et doublé par une voix off en anglais, qui confère à la pièce la modernité de sa lecture. Des comédiens ont en effet enregistré le texte, et chaque danseur cale avec précision son expression sur cette voix off, qui apporte une certaine distance. Cela leur laisse aussi le loisir de déployer leur personnage.

L'intrigue repart à zéro dans une deuxième partie, sans décor ni costumes, dans laquelle la scénographie est réduite à son strict minimum. La danse, en revanche, s'y développe dans de nouvelles proportions, creusant par le geste et le mouvement chacune des inflexions des personnages esquissées dans la première partie. L'effet est saisissant et astucieux, car on peut suivre l'intrigue en appréciant l'amplitude de la danse, l'excellence des danseurs et retrouver ici le caractère organique et reptilien de la danse de Crystal Pite.

L'épilogue de la pièce renoue avec la dualité bicéphale de la dramaturgie, moitié réaliste, moitié abstraite, avec au centre du jeu un Revisor incarné par le danseur Gregory Lau, doublé par Jonathon Young lui-même. L'art de la mise en scène et la stylisation de sa dramaturgie rapproche Crystal Pite de ses illustres prédécesseurs, comme Robert Wilson. Avec une autre signature corporelle et narrative, elle nous embarque et ses danseurs avec elle…

Crédits photographiques : © Michael Slobodian