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Ceux qui aiment L’Enlèvement au sérail prendront le train à Marseille

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Marseille. Opéra. 19-IV-2022. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-17991) L’Enlèvement au sérail, singspiel en trois actes sur un livret de Gottlieb d’après Christoph F. Bretzner. Mise en scène : Dieter Kaegi. Décor et costumes : Francis O’Connor. Lumières : Roberto Venturi. Vidéos : Gabriel Grinda. Avec : Serenad Uyar, soprano (Konstanze) ; Amélie Robins, soprano (Blonde) ; Julien Dran, ténor (Belmonte) ; Loïc Félix, ténor (Pedrillo) ; Patrick Bolleire, basse (Osmin), Bernhard Bettermann, rôle parlé (Selim Bassa). Choeur et Orchestre de l’Opéra de Marseille, direction musicale : Paolo Arrivabeni

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Parti en 2019 de Monaco, l'Orient-Express de s'ébranle cette fois de Marseille. Un voyage épatant.


En 1782, au Burgtheater, le premier singspiel du répertoire avait fait grincer les dents des bigots, peu réjouis de se voir confinés dans un harem. Au XXIᵉ siècle, il arrive aux mélomanes de peiner à prendre au sérieux la turquerie de Mozart, en-deçà, selon eux, des chefs-d'œuvre à venir, tout en poussant des cris d'orfraie devant la pléthore de lectures féministes, politiques, religieuses que L'Enlèvement au sérail inspire à notre temps (Martin Kusej à Aix). La très originale proposition de , comme dans un célèbre film de Patrice Chéreau, embarque les uns comme les autres dans un espace aussi clos qu'un sérail : un train !

Moyennant quelques mini-entorses aux surtitres, Kaegi convie le petit monde mozartien dans le fantasme d'un Orient-Express inédit entre Marseille et Le Caire, avec escales à Salzbourg (Mozartkugeln obligent), Budapest et Istanbul. Encore convalescent d'un récent Cosi fan tutte confiné dans une unique salle de musée, inquiet que toute l'action soit condamnée entre le marchepied et le quai, voire dans un couloir exigu de wagon de 1ère classe, on n'est pas loin de tirer la sonnette d'alarme. Mais dès que le train s'ébranle, la production, costumée avec un luxe qui ressuscite le meilleur du dernier cri des Années folles, s'affiche très vite de première classe : non seulement elle parvient à créer l'illusion d'un vrai voyage (bruitage ferroviaire, fumée de locomotive, rais de lumière, défilement de panneaux indicateurs, travellings de paysages en arrière-plan et même personnage à quai glissant de cour à jardin), mais nous fait pénétrer, par effet de zooms avant, dans toutes les lieux du train (cabine de luxe de Selim, wagon-bar tenu par le barman Pedrillo, wagon-restaurant, cuisine), l'évasion finale se faisant par le toit ! Le tout est esthétiquement fignolé par un cadre de scène et par un surlignage art déco de l'omniprésente vidéo touristique de Gabriel Grinda qui fait défiler, à différentes vitesses, des incontournables (La Bonne Mère, Sainte-Sophie, Khéops, Kephren, Mykerinos…) mais également tout un arsenal de paysages propices aux états d'âmes, dont une nuit étoilée au moment suspendu du climax amoureux . Au coeur de Martern aller Arten, le wagon pivote spectaculairement à 90° afin de permettre à Constance, harcelée par Selim, de se réfugier sur le balcon arrière de la rame, tandis que, très symboliquement, le train file à toute allure dans un long tunnel qui aurait ravi Hitchcook! Après cet impressionnant moment, une ellipse temporelle permet au voyage, continué sur une carte ferroviaire dessinée pendant l'entracte sur le tulle d'avant-scène, de se conclure au Caire, ce qui est une façon astucieuse de revenir au livret originel. Quant au The End final, qui fait le focus sur Selim, il finit de cerner l'ambiguïté de l'insaisissable Constance, et d'offrir un touchant écho au destin intime de Mozart dont on sait qu'il mit dans cette intrigue, dont le légèreté n'est peut-être qu'apparente, beaucoup de sa vie. Au terminus, on réalise combien nos craintes sur le quai de départ étaient infondées tant il s'en sera passé de belles dans ce train nommé Désir dont les cabines auront ouvert leur porte à plus d'une configuration amoureuse…


Les passagers ne sont pas tous de première classe. affronte tous les airs de Belmonte, gratifiant d'un appréciable sens de la demi-teinte un timbre qui désigne un fin mozartien. Les aigus de Ach Ich liebte contraignent à d'inquiétantes contorsions. En revanche elle négocie avec l'aplomb des grandes Traurigkeit et surtout Martern aller Arten, qu'une direction d'acteurs exigeante fait longuement naviguer entre résistance et attirance. La Blonde d' (délectable tango féminin sur Ich gehe, doch rate Ich dir à la cuisine autour d'Osmin) ne sera pas parvenue à dompter l'émission étrange d'aigus qui n'avaient pas été un souci pour la superbe Anne Trulove que la jeune chanteuse fut à Nice en 2019. Avec un Pedrillo qui n'en fait pas trop, est un comparse de choix. Un manque de projection nuit au grave pourtant subtilement abyssal de , Osmin revu ici en employé de la Compagnie Internationale des Wagons-lits et des Grands Express Européens aux ordres, comme une grande partie du personnel, du richissime Selim, incarné avec le chic autoritaire de ceux à qui on ne peut rien refuser par l'acteur Bernhard Bettermann.

Au plan orchestral, on ne tient pas la version des grands soirs, malgré les talents perceptibles de l'orchestre, sous les doigts d'un assez ronronnant et pour tout dire peu soucieux d'ethos mozartien. Le Chœur, très fêtard, n'est pas sollicité à plus qu'il ne donne. Dommage pour ce spectacle qui vaut vraiment le voyage, et qui, à l'heure où les coûts de l'opéra sont contestés, mériterait vraiment de ne pas être cantonné à la Côte d'Azur. L'Enlèvement au sérail version mérite lui aussi de voyager.

Crédits photographiques : © Christian Dresse

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