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Le Dernier piano : Musique et Obscurantisme

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Le Dernier piano (Broken keys), un film de Jimmy Keyrouz. Scénariste : Jimmy Keyrouz. Musique : Gabriel Yared, Robert Schumann, Frédéric Chopin et Ludwig van Beethoven . Avec : Tarek Yacoub, Karim ; Rola Baksmati, Samar ; Mounir Maasri, Abou Moussa ; Ibrahim El Kurdi, Ziad ; Julien Farhat, Abdallah ; Sara Abi Kanaan, Maya ; Badih Abou Chakra, Joseph ; Gabriel Yamine, Moonif ; Hassan Mrad, Akram ; Adel Karam, Tarek ; Fadi Abi Samra, Bassam ; Layla Kamari, Rasha ; Michel Abadachi, Ibrahim ; Saïd Serhan, Ahmed ; Rodrigue Sleiman, Riad. Durée : 110:00

 

Le film du réalisateur libanais , en sélection officielle au Festival de Cannes 2020, candidat aux Oscars 2021, sort le 13 avril 2022. Le Dernier piano est un film utile dans un début de siècle marqué par un retour de l'obscurantisme.

Le pire ennemi de l'obscurantisme est l'art. La musique est probablement la première langue vivante du monde. Pas besoin de mode d'emploi pour ce trait d'union immédiat entre les peuples et leurs cultures. Pas étonnant que les autocraties politiques et religieuses s'en méfient, la contrôlent (voir le superbe Leto de Kirill Serebrennikov, qui décrit les concerts rock eighties d'une jeunesse russe sous joug policier). Au XXIᵉ siècle, quelques esprits malades décident de la supprimer purement et simplement par des autodafés d'un nouveau genre.

« En 2014, un groupe extrémiste prend le contrôle de l'Irak et de la Syrie et dicte une interprétation stricte de la charia islamique.» Le « groupe extrémiste » n'est pas nommé mais l'on sait tout de suite de qui parle en plantant par ce carton le décor de son second long métrage (le premier était The Holy Goats, un documentaire sur le changement climatique). « Interdire la Musique, je trouvais ça fou », dit Keyrouz. Le Dernier piano (Broken Keys) reprend le scénario « tiré de fait réels » de Nocturne in Black, court-métrage de 22 minutes sélectionné pour les Oscars 2017, dans lequel le jeune réalisateur réagissait déjà aux méfaits de ce nouveau totalitarisme d'un état naissant, pour qui la vie humaine et tout ce qui en fait le sel n'a plus aucun prix, un état qui a fait de la kalachnikov un cinquième membre pour tous (femmes comprises, ainsi qu'on peut l'entr'apercevoir dans le film). La mort comme philosophie d'état.

« Ils nous font vivre comme des bêtes », se désole Karim, jeune pianiste qui rêve d'aller faire entendre son art en Europe, car contraint de fuir un pays où son instrument est condamné au silence. La seule musique autorisée dans ce champ de ruines (le film a été tourné, moyennant de rares effets spéciaux, dans de vrais décors, entre Liban et Irak) est celle des armes. Le film ne montre rien qu'on ne sache déjà : les pick-ups surgissant de la poussière, montures de noirs soldats surgissant tels les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse, la résistance des femmes, les passeurs, la multiplicité des checkpoints anxiogènes, les homosexuels jetés dans le vide… Si l'on excepte une étreignante scène autour du rêve européen, et un dernier plan rageur, la réalisation se contente de coller à son sujet sans révéler un style. Les acteurs n'ont pas une personnalité marquante, hormis un méchant au potentiel horrifique (Julien Farhat) dont la personnalité aurait mérité d'être développée. Le geste cinématographique évoquerait presque celui de Spielberg, n'était la partition de , autrement subtile que celle qu'Hollywood aurait produit sous les doigts de John Williams. Le compositeur libanais, multi-récompensé depuis sa belle intronisation godardienne (Sauve qui peut (la vie), en 1980), complète la musique diégétique du film assurée par Schumann, Chopin et Beethoven (hélas non crédités au générique !) Malgré de délicates irisations orientalisantes, elle n'est pas aussi personnalisée ni aussi émouvante que celle qu'il avait écrite pour L'Amant (César mérité, en 1993), mais déroule une belle science de l'orchestration, notamment au cours d'une parodie de certaine Neuvième Symphonie

« L'obscurantisme ne gagnera pas », veut croire un des personnages au milieu de décombres qui évoquent l'actuel état de certaines métropoles. Le Dernier Piano entre prémonitoirement en résonance avec ce moment récent, diffusé par les canaux du monde entier, au cours duquel un jeune garçon, comme dans le film de Keyrouz, s'est mis à jouer une mélodie de Philip Glass dans le hall d'un hôtel de Kharkiv sous les bombes russes, bouleversant le monde entier, ainsi que le compositeur lui-même. Le Dernier piano montre aussi comment la musique peut faire de l'ombre à l'obscurantisme : le héros fera de son instrument une arme au cœur même de cette guerre syrienne qualifiée par Les Nations Unies comme « la plus grande catastrophe humanitaire du monde ».

n'est pas Mohammad Rasoulof, dont le dernier film (Le Diable n'existe pas) militait par des moyens de cinéma autrement plus forts, ni même dAbderrahmane Sissako (Le Dernier piano prolonge le précurseur Timbuktu). On recommandera néanmoins la nécessité de ce film-témoin aux incrédules d'une époque tentée par les pires extrémismes. Et l'on gardera longtemps en mémoire le dernier plan, mis en musique par un compositeur de génie, épris de liberté autant que de fraternité : Ludwig van Beethoven.

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Le Dernier piano (Broken keys), un film de Jimmy Keyrouz. Scénariste : Jimmy Keyrouz. Musique : Gabriel Yared, Robert Schumann, Frédéric Chopin et Ludwig van Beethoven . Avec : Tarek Yacoub, Karim ; Rola Baksmati, Samar ; Mounir Maasri, Abou Moussa ; Ibrahim El Kurdi, Ziad ; Julien Farhat, Abdallah ; Sara Abi Kanaan, Maya ; Badih Abou Chakra, Joseph ; Gabriel Yamine, Moonif ; Hassan Mrad, Akram ; Adel Karam, Tarek ; Fadi Abi Samra, Bassam ; Layla Kamari, Rasha ; Michel Abadachi, Ibrahim ; Saïd Serhan, Ahmed ; Rodrigue Sleiman, Riad. Durée : 110:00

 
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