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Mignon d’Ambroise Thomas à l’Opéra Royal de Liège : une totale réussite

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Liège. Opéra Royal de Wallonie. 3-IV-2022. Ambroise Thomas (1811-1896) : Mignon, opéra-comique en trois actes de et cinq tableaux, sur un livret de Jules Barbier et de Michel Carré, d’après « Les années d’apprentissage de Wilhelm Meister » de Johann Wolfgang von Goethe. Mise en scène : Vincent Boussard, assisté de Caterina Panti Liberovici. Décors : Vincent Lemaire. Costumes : Clara Peluffo Valentini. Lumières : Nicolas Gilli. Vidéo : Nicolas Hurtevent. Avec : Stéphanie d’Oustrac (Mignon) ; Jodie Devos (Philine) ; Philippe Talbot (Wilhelm Meister) ; Jean Teitgen (Lothario) ; Geoffrey Degives (Frédéric) ; Jérémy Duffau (Laëte) ; Roger Joakim (Jarno). Choeur de l’Opéra Royal de Wallonie (préparés par Denis Segond) ; Orchestre symphonique de l’Opéra Royal de Liège, avec la participation du Conservatoire Royal de Liège ; direction musicale : Frédéric Chaslin

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Après avoir dû annuler la production d'Hamlet d' la saison dernière pour cause de crise sanitaire, lOpéra Royal de Wallonie propose de réhabiliter cette fois Mignon, l'œuvre maîtresse du compositeur romantique français,

Barbier et Carré, les librettistes entre autres, du Faust de Gounod remirent un autre ouvrage goethéen sur le métier avec cette très libre adaptation des Années d'apprentissage de Wilhelm Meister : en résulta le livret de Mignon, refusé par Meyerbeer et Gounod, car trop éloigné de l'original, mas accepta de relever ce défi opératique pour l'un de ses plus grands succès publics.

Le livret fait abstraction de nombreux épisodes de ce roman « de formation » touffu. Le héros Wilhelm est ici un fils de riche bourgeois viennois plus évoqué pour son « éducation sentimentale » en friche que pour toute vocation artistique ou théâtrale : il « rachète » au sinistre Jarno (lui aussi très éloigné ici de son modèle romanesque) la pauvre Mignon, fille d'origine inconnue, arrachée à sa noble famille par une bande de gitans. La trame tient donc d'un triangle amoureux, car le cœur de Wilhelm se partage vite entre sa protégée nouvelle et Philine, l'actrice vedette d'une production itinérante du Songe d'une Nuit d'été, confidente amicale de Laërte et convoitée par l'assez pataud Frédéric. Lothario sorte de comédien hagard sur le retour, incendiaire du théâtre pour venger Mignon du triomphe de Philine au second tableau du deuxième acte, se révèlera, une fois la mémoire retrouvée durant le final, être le Marquis de Cipriani, père de Sperata jadis enlevée par les brigands et rebaptisée Mignon au hasard de ses pérégrinations. L'Opéra Royal de Liège a choisi la version initiale de l'ouvrage, opéra-comique typique, avec ses alternances de scènes parlées et chantées, et opte pour le final « tragique » de l'œuvre, où la lointaine et ultime apparition de Philine génère une telle émotion chez Mignon, que celle –ci défaille et s'éteint souffrante dans les bras de Wilhelm et de son père.

avait remarquablement mis en scène, voici presque trois ans, en bord de Meuse, I Puritani de Bellini, en jouant sur le parallélisme de la vie du compositeur et de son héros, avec une très saisissante et un rien artificielle mise en abyme théâtrale. Il reprend ce type de schéma de théâtre dans le théâtre, avec encore plus d'acuité d'à-propos et de virtuosité, vu le livret de l'œuvre qui précisément évoque par l'opéra, la scène, les loges et les coulisses. C'est une réussite virtuose à laquelle concourt les ingénieux décors de Vincent Lemaire ou les lumières splendides et très variées dans les teintes pourtant sombres de Nicolas Gilli.

Dès l'ouverture, le rideau rouge, décalé, vu de trois-quarts et surligné par les néons est levé en partie pour laisser deviner les préparatifs d'un spectacle. Ainsi, « de l'autre côté du miroir » par le truchement d'un voile transparent, les chœurs figurent le public alors que nous aussi nous sommes spectateurs mais muets ! Scène et salle seront tout au long de l'opéra ainsi reflets l'une de l'autre.


Les changements d'accoutrements (beaux costumes de Clara Peluffo Valentini) ou des perruques et coiffures des différents solistes au fil des scènes entrechoquent les époques : Stéphanie d'Oustrac, en Mignon délaissée dans le fond d'une loge, apparait en jeans et débardeur, ou sur le départ, affiche une tenue presque sportive, là où retire difficilement sa robe d'apparat romantique au fil de son grand air, pour finir en dessous modernes très coquins. Alors qu'ailleurs, c'est en s'accompagnant au clavecin (!) qu'en Philine, la soprano belge compose et vocalise ses airs.

Les deux tableaux de l'acte II ramènent aux coulisses et à l'intimité des artistes/acteurs, avec la trouvaille de cette fenêtre lumineuse libérant l'espace et s'ouvrant tantôt sur un ciel d'encre, tantôt sur la perspective d'une salle de représentation obscure ou dévastée. Les subtils chassés croisés entre les deux jeunes femmes ou le duel entre Wilhelm et Frédéric servent de moteur dynamique à une agitation scénique savamment menée et d'une radieuse effervescence.


Plus saisissant encore Lothario lance sa malédiction et l'incendie du théâtre depuis la salle, au milieu du vrai public, bougeoir à la main, et par le truchement des éclairages, son ombre géante projetée sur le rideau de scène n'en est que plus inquiétante. Enfin, à l'acte final, le vieux palais abandonné des Cipriani semble évoquer le décorum de la salle de spectacle du début de l'œuvre mais envahi par une discrète végétation. Rien n'est donc laissé au hasard au fil de ce spectacle, tant dans la gestion totalisante de l'espace scénique très élargi que dans les détails d'une conduite d'acteurs millimétrée. Ainsi, à l'heure de clôturer la représentation, après la mort de Mignon, les cinq principaux protagonistes main dans la main viennent déjà saluer le public avant le dernier accord d'orchestre…Et si tout cela n'avait été qu'un jeu de rôles aux multiples replis et sous-entendus ?

La direction à la fois fine, dynamique et précise de à la tête d'un orchestre symphonique local retrouvé – une petite harmonie aux magnifiques solistes – malgré ça et là quelques minimes décalages des cordes aiguës mais avec de fières et vrombissantes cordes graves, rend justice à la belle partition d'Ambroise Thomas, compositeur si souvent moqué (par Chabrier) ou méprisé (par Tchaïkovski). Certes la stylistique de cet opéra conçu en 1866 ramène à la tradition des débuts du romantisme français, très loin des premiers essais contemporains d'un Saint-Saëns par exemple, mais avec un réel métier et une fraîcheur mélodique de tous les instants. L'ouverture en forme de pot-pourri, menée ici tambour battant, en devient assez irrésistible. Et puis, les airs de bravoure « Connais-tu le pays ? » (Mignon), « Je suis Titania la blonde » (Philine), « Me voici dans son boudoir » ( Frédéric, rôle ici confié à un ténor léger plutôt qu'à l'habituelle contralto travesti ) sont restés des classiques du répertoire français inscrits dans l'inconscient collectif des mélomanes.

La distribution s'avère proche de l'idéal tant par la caractérisation de chaque personnage que par le réel esprit d'équipe qui anime cette troupe jeune et enthousiaste. Stéphanie d'Oustrac, mezzo-soprano au timbre aussi pulpeux qu'émouvant et à l'étonnante projection vocale incarne une parfaite Mignon, à la fois ravagée par le Destin mais voulant croire jusqu'au bout en sa bonne étoile. D'une grande ductilité, la voix s'adapte à toutes les péripéties du récit que ce soit à l'évocation du pays des citronniers en fleurs, à la colère haineuse à l'encontre de Philine, ou à l'extinction du chant en un soupir lors de son agonie brutale.


Face à elle, incarne une superbe et insolente Philine. En pleine possession de ses moyens vocaux, dans un rôle de soprano léger (plus que vraiment colorature) tout à fait dans ses cordes, elle offre autant des répliques cinglantes (quelle comédienne au fil des dialogues !) et un jubilatoire « Je suis Titania la Blonde» d'un abattage aussi élégant que canaille. en Wilhelm Meister déploie une belle palette de nuances, tant dans les aigus les plus héroïques que dans les sotto voce les plus onctueux. Il est aussi stylistiquement irréprochable que dramatiquement crédible dans l‘incarnation d'un personnage aussi indécis que souvent torturé. avec sa puissante et ductile voix de basse, au timbre d'airain, est un irréprochable Lothario, hagard au fil du premier acte, éclatant vengeur dans la scène de l'incendie, et d'une émouvante noblesse lors de la (re)découverte de son passé et de sa fille. campe un Frédéric atypique : le rôle habituel de contralto travesti lui est échu, et il tire de son timbre de ténor (très) léger de surprenants effets donnant à son personnage une illusion comique par sa « vraie-fausse » maladresse volontairement décalée. , véritable ténor de demi-caractère, compose en Laërte un personnage à la fois enjôleur et amical, véritable confident veillant au bien et à l'épanouissement de sa protégée Philine, très courtisée sur un ton parfois persifleur ou goguenard. Enfin, le Liégeois de la distribution, le baryton-basse nous offre durant le seul premier acte un Jarno autoritaire et sardonique devant une Mignon désobéissante ; mais il confère par d'habiles effets de voix à son personnage une aura irrésistible de cupidité retorse lorsque Meister lui propose le « rachat » de la jeune fille éduquée par ses soins. Il faut enfin mentionner le très probe et musical travail des chœurs, plus d'une fois centraux dans cet opéra, admirablement préparés par Denis Segond.

Il reste à espérer que cette nouvelle production de l'Opéra Royal de Wallonie, objet de seulement cinq dates localement pourra mener dans un proche avenir une belle carrière itinérante dans l'Hexagone : car la mise en scène inventive raffinée et pensée dans les moindres détails de s'avère aussi intelligente que passionnante et, quels que soient les aléas de probables changements de distribution, mérite mille fois d'être vue et fêtée par le plus grand nombre.

Crédits photographiques : et Stéphanie d'Oustrac/ Stéhanie d'Oustrac/ / © ORW-Liège – J. Berger

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