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Paris. Opéra Bastille. 26-III-2022. Jules Massenet (1842-1912) : Cendrillon, opéra en quatre actes sur un livret de Henri Cain, d’après le conte de Charles Perrault. Mise en scène : Mariame Clément. Décors et costumes: Julia Hansen. Lumières : Ulrik Gad. Avec : Tara Erraught, mezzo-soprano (Cendrillon) ; Anna Stephany, mezzo-soprano (le Prince charmant) ; Daniela Barcellona, mezzo-soprano (Madame de La Haltière) ; Lionel Lhote, baryton (Pandolfe); Kathleen Kim, soprano (la Fée) ; Charlotte Bonnet, soprano (Noémie) ; Marion Lebègue, mezzo-soprano (Dorothée) ; Philippe Rouillon, baryton (le Roi) ; Cyrille Lovighi, ténor (le Doyen de la Faculté) ; Olivier Ayrault, baryton (le Surintendant des Plaisirs) ; Vadim Artamonov, basse (le Premier Ministre) ; Corinne Talibart, soprano / So-Hee Lee, soprano / Stéphanie Loris, soprano / Anne-Sophie Ducret, soprano : Sophie van den Woestyne, contralto / Blandine Folio Peres, contralto (six Esprits). Chœur (cheffe de chœur : Ching-Len Wu ) et Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction : Carlo Rizzi
Presque dix ans après Hänsel et Gretel à Garnier, Mariame Clément est conviée à Bastille pour l'entrée au répertoire de la Cendrillon de Massenet. Deux vrais contes de fées.
Hänsel et Gretel avait été accueilli avec quelques pincettes. Avec Cendrillon, Mariame Clément prend la Bastille en même temps que sa revanche. N'ayant pas, en 2014, fait partie du chœur des orfraies (loin s'en fallut, Hänsel et Gretel rejoignant selon nous, avec Platée, les sommets atteints par la metteuse en scène française), et même si cette Cendrillon arbore une apparence plus classique, nous ne pouvons que nous réjouir des ovations qui ont salué la nouvelle production d'une metteuse en scène de 44 opéras en 18 ans.
Massenet, indéniable orchestrateur, mais mélodiste modeste, ne galvanise pas comme d'autres compositeurs et bon nombre de ses opéras ne connaissent toujours pas la lumière de son Werther ou de sa Manon. Tel est le destin de sa Cendrillon. La metteuse en scène, qui connaît bien son Massenet (Werther à Strasbourg en 2009 et Don Quichotte à Bregenz en 2019, DVD Unitel), fait en bonne fée la lumière sur cet opéra de 1899. Question lumière, pourquoi ne pas situer à l'époque de sa création l'action du livret d'Henri Cain : 1899, c'est encore la Révolution industrielle, c'est bientôt l'avènement de la Fée Électricité, de l'Exposition Universelle, du Grand Palais… Rêvons… En guise de guide, des silhouettes en noir et blanc s'animent pour s'envoler vers les quatre actes.
L'Acte I est le triomphe de Julia Hansen. La scénographe attitrée de la metteuse en scène a conçu pour l'imposant plateau de Bastille un décor qui ne l'est pas moins, celui d'une machine entre Jules Verne et Tim Burton, agitée de soubresauts vaporeux et d'humeurs électriques. Autant appeler un chat un chat pour dénoncer avec humour le triste destin féminin d'une époque toujours pas révolue : Madame de la Haltière, promue chef d'entreprise, règne en maîtresse-femme sur une fabrique de… filles à marier ! C'est précisément une chatte qui sert de cobaye, avant que, comme dans La Mouche de Cronenberg, soient à leur tour téléportées par cette monstrueuse machine les deux filles de la patronne : lestées de crinolines meringuées, Noémie et Dorothée deviennent de vraies « têtes à gags », poupées humaines régulièrement déséquilibrées par la chantilly rose censée leur servir d'attrape-princes. C'est de la machine aussi que surgit la fée (électricité donc, si l'on en croit l'extrémité étincelante de sa baguette). C'est enfin dans un tuyau de ce dragon industriel que Cendrillon, enfin seule, après avoir chanté le prégnant « Reste au foyer, petit grillon » se love et s'endort pour rêver…
L'Acte II, celui du palais, prend ses quartiers dans … le Grand Palais ! C'est là que Lucette (le prénom de la Cendrillon de Massenet), elle aussi « crinolisée » par la Fée Électricité, rebelle, malgré de louables (et hilarants) efforts, au guindé des injonctions sociétales, entamera le plus rafraîchissant des dialogues avec le Prince : on se débarrasse de certaines satanées pantoufles de vair, on se met à l'aise (à nu ?) en liquette blanche au cœur même d'une forêt démultipliée de crinolines adonnées aux figures imposées du bal de la cour. Très amusant. Très touchant aussi.
L'Acte III est le plus intrigant : Cendrillon, persuadée qu'elle a rêvé, se perd dans la Forêt des Fées. L'occasion est propice. La metteuse en scène embarque le spectateur dans un rêve éveillé qui fait se soulever le plateau tout entier (une des potentialités trop rarement sollicitée de l'Opéra). Apparaît alors, dans les sous-sol de la fabrique, une étrange forêt, non pas de fées, mais de fûts. Rouillés et mouvants, ces containers abritent d'énigmatiques contenus, dont le cœur (géant) du prince cité dans le livret : image bien saignante, que le premier degré de la mise en scène fait palpiter sous nos yeux, d'une scène aussi disruptive que celle du livret, très émancipée du conte de Perrault.
A l'Acte IV, la mise en scène revient vers la fin heureuse de l'opéra. Ce n'était pas un rêve mais un rite initiatique : ayant trouvé prince à son pied, le « petit grillon » recevra des mains de sa marraine le plus beau des cadeaux, une très confortable paire de baskets d'aujourd'hui brillant d'électrisants reflets augurant d'un avenir pour deux en apesanteur des conventions.
A ce jeu malicieux, la très joueuse Tara Erraught, qui avait transcendé tous les clichés attachés à Oktavian dans le superbe Rosenkavalier de Richard Jones à Glyndebourne (DVD Opus Arte) est très forte : de tordantes contorsions du métatarse en bouleversants regards, elle focalise l'attention, jusqu'à celle de la mise en scène elle-même qui s'efface parfois pour la regarder faire, pour l'écouter dessiner le plus touchant des « petits grillons » humains. Devant cette véritable incarnation de la La Bonté en triomphe (sous-titre de la Cendrillon de Rossini), l'on fond littéralement devant les r joliment roulés de la mezzo irlandaise, devant sa ligne souveraine, vocalises comprises. Le Prince n'est pas un homme mais, du vœu du compositeur, une femme : mezzo altier et naturel, silhouette de rêve, Anna Stephany, en ado enflammé, est l'autre perle de la distribution. La Fée flûtée de Kathleen Kim électrise l'applaudimètre aux saluts, confirmant l'appétence désarmante du public pour la performance. Lionel Lhote, toujours parfait, ne laisse son Pandolfe dominé que scéniquement par sa femme, une Madame de la Haltière en phase avec la vis comica dont Daniela Barcelona a fait preuve l'été dernier à Aix dans Falstaff. Les deux sœurs, au passage sauvées par la mise en scène (« Je passe mon temps à sauver les personnages à l'opéra ! », avait déclaré la metteuse en scène lorsqu'en 2017, elle avait monté La Calisto à l'Opéra du Rhin), pétillent et émeuvent dans l'interprétation de Marion Lebègue et Charlotte Bonnet. Les épisodiques comprimarii (Philippe Rouillon, Cyrille Lovighi, Olivier Ayrault, Vadim Artamonov), les Six Esprits et le chœur complètent sans accroc ce tableau de rêve brossé de main de maître par Carlo Rizzi.
Égaré dans « la forêt de fûts » d'un quotidien qui donne à réfléchir, le spectateur quitte l'Opéra Bastille, en se demandant, comme le petit grillon du foyer de Massenet, s'il n'a pas rêvé lui aussi le temps de cette Cendrillon, dont la subtile intelligence illustre parfaitement la profession de foi de Mariame Clément : « Rêver n'empêche pas de réfléchir.»
Crédits photographiques: © Monika Rittershaus
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Paris. Opéra Bastille. 26-III-2022. Jules Massenet (1842-1912) : Cendrillon, opéra en quatre actes sur un livret de Henri Cain, d’après le conte de Charles Perrault. Mise en scène : Mariame Clément. Décors et costumes: Julia Hansen. Lumières : Ulrik Gad. Avec : Tara Erraught, mezzo-soprano (Cendrillon) ; Anna Stephany, mezzo-soprano (le Prince charmant) ; Daniela Barcellona, mezzo-soprano (Madame de La Haltière) ; Lionel Lhote, baryton (Pandolfe); Kathleen Kim, soprano (la Fée) ; Charlotte Bonnet, soprano (Noémie) ; Marion Lebègue, mezzo-soprano (Dorothée) ; Philippe Rouillon, baryton (le Roi) ; Cyrille Lovighi, ténor (le Doyen de la Faculté) ; Olivier Ayrault, baryton (le Surintendant des Plaisirs) ; Vadim Artamonov, basse (le Premier Ministre) ; Corinne Talibart, soprano / So-Hee Lee, soprano / Stéphanie Loris, soprano / Anne-Sophie Ducret, soprano : Sophie van den Woestyne, contralto / Blandine Folio Peres, contralto (six Esprits). Chœur (cheffe de chœur : Ching-Len Wu ) et Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction : Carlo Rizzi