Diana Damrau et Jonas Kaufmann à Baden-Baden dans un excellent Liederabend
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Baden-Baden, Festspielhaus, 27 III 2022. Robert Schumann (1810-1856) et Johannes Brahms (1833-1897) : divers Lieder et duos. Diana Damrau (soprano), Jonas Kaufmann (ténor et Helmut Deutsch (piano)
Le programme très généreux (40 morceaux) et très classique de Lieder et de duos, de Brahms et de Schumann, était annoncé comme un thème et variation sur l'amour, et plus particulièrement l'amour pour Clara Wieck-Schumann, égérie commune au maître Schumann et au disciple Brahms.
L'amour est effectivement un thème permanent, dans des Lieder chantés à tour de rôle par Diana Damrau et Jonas Kaufmann. L'enchaînement est adroit, les Lieder étant positionnés en répons les uns avec les autres, soit en montant des situations d'interrogations amoureuses réciproques, ou avec des petites continuités thématiques : solitude dans la forêt suivie d'une solitude dans une barque, un rossignol qui répond à un autre, un coquillage qui suit un autre, etc. De temps en temps, un vrai duo est choisi, sinon, un Lieder chanté à deux voix parce que les strophes permettent une alternance des voix.
Ces petits montages très pertinents donnent l'occasion aux deux amis Diana et Jonas de s'adonner à des mimiques, voire des mini-sketchs. Les « répons » sont le plus souvent lyriques, parfois dramatiques (Tragödie op.64/3 de Schumann) mais aussi parfois franchement drôles : faire suivre la Sérénade op. 70/3 de Brahms (chantée par Jonas Kaufmann) par Therese op.86/1 (chantée par Diana Damrau), cela donne l'occasion à Diana de traiter Jonas de jeune blanc-bec (Du Milchjunger Knabe…) ce qui évidemment fait crouler la salle de rire. Mais le plus souvent, le ton est celui du grand romantisme, très sérieux, avec ses interactions par rapport aux éléments, à la nature, à l'autre, à l'être aimé. Cette gestuelle permanente, comme une sorte de demi-mise en scène, a l'avantage de donner un peu de théâtralité palpable aux textes, de les rendre directement accessibles, mais aussi l'inconvénient de les tirer vers le premier degré, ce qui pourrait engendrer une forme de lassitude. La sérénade inutile de Brahms (Vergebliches Ständchen op. 84/4) marque la limite de cette exercice semi-scénique en duo, car si la voix agile de Diana Damrau convient parfaitement à ce Lied, il n'en est pas de même pour le vaillant ténor, que le pianiste doit attendre, ce qui perturbe le rythme et la dynamique interne du Lied. Mais c'est bien la seule objection qu'on peut trouver à faire. Tout le reste est tellement beau, tellement bien senti !
On sait que Jonas Kaufmann est très à son aise dans le Lied, et quel est son choix d'interprétation. Sa voix puissante lui permet des nuances allant du fortissimo wagnérien aux pianissimi les plus fins, mais aussi des irisations de couleurs magnifiques, dont il use avec beaucoup de sobriété. Son Stille Tränen op. 35/10 de Schumann chanté sur un souffle long comme dans un rêve est un modèle de subtilité. Diana Damrau a, comme tous les sopranos coloratures, moins de couleurs dans sa voix, mais sa fraîcheur, son engagement de tendresse et de féminité font un juste contre-poids à la virilité débordante de son partenaire. La façon dont elle habite Von ewiger Liebe op. 43/1 de Brahms, jusqu'à la transfiguration, est simplement sublime. Et surtout, tous les deux chantent dans un allemand impeccable, d'une grande pureté, constamment et parfaitement intelligible. Pour les accompagner, Helmut Deutsch déroule un tapis sonore lui aussi très sobre et magnifiquement efficace à créer les climats, les paysages. Il est facile, à certains détails, d'observer que le travail préalable d'équipe a été intense et très fouillé. Dans le Waldeinsamkeit op. 85/6 de Brahms, par exemple, la façon dont le rossignol s'échappe du clavier de Helmut Deutsch, après des « Ferne » progressivement détimbrés et étouffés par Jonas Kaufmann confine à la magie pure.
Au-delà du sympathique jeu scénique des deux copains-stars Jonas et Diana, on peut entendre du Lied de très, très haute volée, c'est-à-dire sobre et puissamment poétique. On en reprendrait bien une tranche, sous la forme d'un CD.
Crédits photographiques : © Festspielhaus Baden-Baden
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Baden-Baden, Festspielhaus, 27 III 2022. Robert Schumann (1810-1856) et Johannes Brahms (1833-1897) : divers Lieder et duos. Diana Damrau (soprano), Jonas Kaufmann (ténor et Helmut Deutsch (piano)