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Le Printemps des Arts de Monte-Carlo à l’heure arménienne

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Printemps des Arts de Monte-Carlo du 24 au 27-III-2022
24-III : Théâtre des Variétés. Vardapet Komitas (1869-1935) : Mélodies (arrangement de Sergey Aslamazyan ; Bastien David (né en 1990) : L’ombre d’un doute, double concerto pour violoncelles et orchestre à cordes (CM) ; Béla Bartók (1881-1945) : Divertimento pour orchestre à cordes. Marie Ythier et Éric-Maria Couturier, violoncelles ; Orchestre national d’Auvergne ; Roberto Forés Veses, direction artistique et musicale.
25-III : One Monte-Carlo : œuvres de Vardapet Komitas, Romanos Melikian, Eduard Abrahamyan, Luciano Berio, Robert Schumann, Richard Strauss. Karine Babajanyan, soprano ; Vardam Mamikonian, piano.
20h : Opéra de Monte-Carlo : œuvres de Shnorhali, Komitas, Narekatsi, Gurdjieff ; ensemble Gurjieff ; direction artistique et arrangements Levon Eskenian.
27-III : 15h : Sporting Monte-Carlo ; Aram Hovhannisyan (né en 1984) et Michel Petrossian (né en 1973) : Sept, les anges de Sinjar ; ballet ; Michel Hallet Eghayan, chorégraphie ; Compagnie Hallet Eghayan ; Ensemble Orchestral Contemporain ; direction Léo Margue

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    Riche, multiple, coloré et transdisciplinaire, le week-end arménien du Printemps des Arts concocté par , nouveau directeur du festival, ouvre de vastes horizons artistiques où se déploient, avec une vitalité et un même esprit de résistance, tradition et création.

    Musique, film, exposition, ballet et rencontres avec les artistes – avant le concert (les Before) et tard dans la soirée (les After) – sont autant de rendez-vous qui nourrissent généreusement ce focus arménien en multipliant les hommages, aux compositeurs Vardapet et Georges Gurdjieff, au plasticien Sergei Parajanov (avec la projection de son film culte, Sayat Nova, la Couleur de la Grenade), et en invitant interprètes, chorégraphe et compositeurs arméniens à qui le festival a passé commande.

    Ils ne sont pas arméniens mais jouent, et avec quelle ferveur, la musique de Vardapet , chantre religieux et gardien de l'héritage musical arménien (populaire autant que sacré) dont le nom s'inscrit en majuscules dans ce week-end célébrant l'Arménie. Sur le plateau du Théâtre des Variétés, les musiciens de l'Orchestre national d'Auvergne sous la direction de son ex-directeur artistique Roberto Forès Veses l'ont inscrit à leur programme au côté de dont le travail de terrain sur la musique populaire rejoint celui de ; au point de transcrire les mêmes musiques d'origine arménienne lors de son voyage en Turquie ! Poète, ethnomusicologue, prêtre et compositeur, Komitas va collecter et retranscrire les chants et danses des différentes régions de son pays dont il analyse tous les ressorts pour engendrer sa propre création : une activité qu'il mène jusqu'en 1915, date du génocide durant lequel il est arrêté et déporté. Les six titres entendus en début de concert sont une transcription pour cordes de ses chants réalisée par : séduction des lignes mélodiques teintées de mélancolie, vitalité rythmique et proximité des musiques du Moyen-Orient avec ces courts motifs rythmico-mélodiques aux inflexions modales qui se répètent à l'envi.

    Les contours sont ciselés et l'énergie décuplée dans le Divertimento pour cordes de Bartók, une œuvre de maturité du compositeur hongrois que l'orchestre aborde avec une fougue et une assise rythmique implacables. L'intensité poignante du mouvement lent et la puissance de ses contrastes nous tiennent en haleine tandis que le final jaillissant est joué d'un seul élan, rehaussé des interventions éloquentes du violon solo (Solenne Païdassi) : une exécution superlative qui confirme la réputation d'excellence de cette phalange aussi experte que chaleureuse.

    Entre Komitas et Bartók, s'affiche l'œuvre très attendue donnée en création mondiale de Bastien David, L'ombre d'un doute. Elle invite sur le plateau deux violoncellistes bien connus du monde de la contemporaine, Marie Ythier et , deux personnalités très différentes qui vont faire corps ce soir au côté de l'Orchestre national d'Auvergne. L'œuvre s'inscrit dans le prolongement de Riff, la pièce pour violoncelle seul de Bastien David écrite pour Marie Ythier dont le compositeur entend prolonger et démultiplier l'écriture à travers les émanations sonores des cordes de l'orchestre (l'ombre) et le rapport ambigu qu'elles entretiennent avec les solistes (le doute). Dans L'ombre d'un doute, les violoncelles s'éloignent du beau chant et de la chaleur de leur timbre – l'introduction musclée des deux solistes ne laisse aucun doute – au profit d'un son filtré, traité, dénaturé par nombre de sourdines et autres petits objets pinçant les cordes pour en modifier l'émission. Les sonorités sont le plus souvent déportées vers les aigus, musique d'insectes aux stridulations légères dont les couleurs varient selon les places de l'archet. Les solistes dessinent de grandes trajectoires balayant la tessiture de leur instrument ou percutent « furioso » les cordes avec le bois de l'archet dans des passages aux allures mécaniques plus inquiétantes dont l'orchestre semble laisser la trace dans l'espace. L'effervescence est à son comble dans une dernière séquence quasi théâtrale où notre trublion de la composition expérimente avec un humour décalé les effets d'une tension exacerbée comme celle d'un élastique étiré jusqu'à la rupture. L'engagement est total, chez les solistes comme dans l'orchestre, pour servir l'imaginaire sonore d'un compositeur qui trace son sillon dans le paysage de la création sonore.

    La veine mélodique de la musique arménienne

    Le lendemain sur le plateau du One de Monte-Carlo, ce sont deux interprètes arméniens, la soprano et le pianiste qui défendent un programme exigeant associant le répertoire arménien (Komitas mais aussi Romanos Melikian et Eduard Abrahamyan) et Robert Schumann (L'amour et la vie d'une femme) ainsi que trois lieder de jeunesse de Strauss, Allerseelen, Morgen et Zueignung, abordant la même thématique amoureuse. La voix est longue et le timbre généreux, doublés d'une technique irréprochable pour nuancer la palette de couleurs du mélos arménien qui n'est pas sans évoquer (Tsirani Tsar) la manière arabo-andalouse d'un Falla. Moins convaincante dans le cycle de Schumann où il nous manque les nervures de la langue allemande, sert avec beaucoup de sensibilité et de volupté la ligne straussienne où se déploie un soprano dramatique somptueux, fermement soutenu par un piano toujours sous contrôle. En sus, le génial Loosin yelav extrait des Folksong de Berio, mélodie arménienne écrite pour Cathy Berberian et chantée ce soir par notre interprète avec la même chaleur et lumière dans la voix.

    L'Arménie à la source

    Le Gurdjieff Ensemble, neuf musiciens jouant des instruments traditionnels d'Arménie et du Moyen-Orient, a investi le devant de la scène de l'Opéra Garnier pour nous convier à un voyage dans le temps, de la musique arménienne médiévale du XIIᵉ siècle aux compositeurs du XXᵉ siècle. Au programme ce soir, la figure tutélaire de Komitas et des arrangements « ethnographiquement authentiques » de la musique de Georges Gurjieff (1866 ou 1972-1949), un compositeur dont la pensée ésotérique influencera bon nombre d'artistes et de penseurs français parmi lesquels figure Pierre Schaeffer. En vedette au centre du demi-cercle, les deux joueurs de duduk, cette anche double au son velouté très sollicitée dans les pièces au programme. Mais c'est la zurna, hautbois puissant d'origine anatolienne, sur les coups abrupts du tambour, qui débute le concert comme elle va le refermer. C'est la seule manifestation bruyante d'une soirée où l'on se laisse davantage envoûter par la belle voix de Vladimir Papikyan aux inflexions savantes et raffinées et le son émouvant de la flûte oblique dont le timbre coloré de souffle est entendu plusieurs fois en solo. Citons encore le jeu racé du kanon (cithare arménienne), de la kamancha (vièle à quatre cordes) et du tar évoquant la mandoline. Levon Eskenian, directeur artistique et arrangeur, vient diriger les chants sacrés de Gurdjieff faisant intervenir les instruments du rituel, sonnailles et bol de l'Asie. Car les influences sont nombreuses, entre Moyen-Orient, musique grecque, persane, chants du Caucase, etc.

    La seconde partie consacrée à la musique de Komitas offre davantage de contrastes et de richesse polyphonique : musique plus lumineuse et colorée qui favorise les alliages de timbre à travers de très beaux arrangements. On y retrouve la voix fervente du joueur de santur sur l'accompagnement discret du oud dans une des plus belles mélopées de la soirée.

    La mythologie yézidie

    Second temps fort du week-end, le ballet Sept, les anges de Sinjar est donné en première mondiale sur le plateau du Sporting de Monte-Carlo. La commande du Printemps des Arts est adressée au chorégraphe arménien et, chose peu commune dans la création sonore, à deux compositeurs et qui ont écrit à quatre mains la partition. L'argument du ballet puise dans la mythologie des Yézidis, minorité ethno-religieuse du Kurdistan irakien massacrée par les troupes de Daech qui les accuse d'être des adorateurs du diable… C'est en Arménie, nous dit , qu'a été construit récemment le plus grand temple yézidi. Le Ballet s'intéresse aux sept jours de la création angélique qui culmine avec la grande figure de l'ange Malek Tawus et ses deux faces, obscure () et lumineuse () conviant le Tutti, tant chorégraphique qu'instrumental.

    Six tréteaux de bois recouverts de grands châles colorés (ils finiront sur le dos des danseurs) cernent l'espace des sept danseurs de la Compagnie lyonnaise (deux garçons et cinq filles en costumes noirs et pieds nus) tandis que l'Ensemble Orchestral Contemporain en grande forme (douze instrumentistes) dirigé par est en fond de scène, amplifié comme il se doit. Six solos, superbement dansés par les membres de la compagnie, sont dédiés à chacun des anges de la création et alternent avec cinq intermèdes (« Temps qui passe ») souvent très courts évoquant les univers culturels rattachés au monde yézidi (hébraïque, arménien, arabe, perse) : autant de séquences musicales réparties équitablement entre les deux compositeurs et d'incitations sonores renouvelant les timbres selon l'imaginaire des musiciens : tel ce long solo de flûte alto () pour l'ange Nouraïl qui se donne à voir simultanément ou cette clarinette basse associée au marimba (Michel Petrossian) pour l'Ange Chemnaïl (ils ont tous des noms hébreux). Citons encore le solo de l'ange Istrafil (cor, harpe et alto) où le corps contraint du danseur (muré dans un cercle) modifie radicalement le geste chorégraphique. L'ange Dardaïl (Michel Petrossian) convoque le violoncelle solo chantant un hymne yézidi, sorte de psalmodie responsoriale très hypnotique rejointe par les mouvements de la danseuse.

    Cette complémentarité sensible du geste et de la musique en vertu de laquelle l'œil entend et l'oreille voit participe à la réussite de ce spectacle qui nous élève, acte rituel tout à la fois sonore et chorégraphique exécuté d'un même élan par les musiciens de l'EOC et les danseurs de la Compagnie .

    Crédit photographique : © Printemps des Arts de Monaco

    Lire aussi :

    Ouverture du Printemps des Arts de Monte-Carlo sous la direction de Bruno Mantovani

     

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    24-III : Théâtre des Variétés. Vardapet Komitas (1869-1935) : Mélodies (arrangement de Sergey Aslamazyan ; Bastien David (né en 1990) : L’ombre d’un doute, double concerto pour violoncelles et orchestre à cordes (CM) ; Béla Bartók (1881-1945) : Divertimento pour orchestre à cordes. Marie Ythier et Éric-Maria Couturier, violoncelles ; Orchestre national d’Auvergne ; Roberto Forés Veses, direction artistique et musicale.
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    27-III : 15h : Sporting Monte-Carlo ; Aram Hovhannisyan (né en 1984) et Michel Petrossian (né en 1973) : Sept, les anges de Sinjar ; ballet ; Michel Hallet Eghayan, chorégraphie ; Compagnie Hallet Eghayan ; Ensemble Orchestral Contemporain ; direction Léo Margue

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