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À Berne, la lettre à Mélisande

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Berne. Stadttheater. 20-III-2022. Claude Debussy (1862-1918): Pelléas et Mélisande, drame lyrique en cinq actes et douze tableaux sur un livret de Maurice Maeterlinck. Mise en scène : Elmar Goerden. Costumes : Lydia Kirchleitner. Décors : Sylvia Merlo & Ulf Stengl. Lumières : Christian Aufderstroth. Dramaturgie : Rebekka Meyer. Avec Evgenia Asanova, Mélisande ; Michał Prószyński, Pelléas ; Robin Adams, Golaud ; Mattheus França, Arkel ; Claude Eichenberger, Geneviève ; Orsolya Nyakas, Yniold ; Christian Valle, Le médecin, un berger. Berner Symphonieorchester. Direction musicale : Sebastien Schwab.

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Poursuivant sa saison lyrique intéressante d'un point de vue des œuvres présentées, l'Opéra de Berne offre un Pelléas et Mélisande de malheureusement bien en deçà des attentes.


« Je ne suis pas heureuse !… » se lamente Mélisande à plusieurs reprises. Si cela pouvait vous consoler, ma chère Mélisande, le public non plus n'était pas très heureux à l'issue de cette production. On peut très bien admettre que la jalousie de votre mari Golaud () envers son demi-frère Pelléas le ronge au-delà du raisonnable mais, ce n'est pas une raison de hurler de la sorte dès la deuxième mesure jusqu'aux dernières scènes. On attend à ce que ses colères s'énoncent dans un idiome stylistique de l'opéra français, pas dans celui d'une bagarre entre des dieux et des demi-dieux germaniques. Malheureusement, en poussant à l'extrême sa voix puissante le baryton anglais donne à son personnage un aspect fruste excessif. Fallait-il vraiment se fâcher de la sorte ? Après tout, Pelléas () semblait plus intéressé par un radiateur électrique qu'il tenait dans ses bras comme un trésor que par l'envie de séduire sa belle-sœur. Écrit pour un baryton léger, sa voix de ténor est aujourd'hui trop légère pour le registre grave du rôle. Quant au grand-père, Arkel (), en fringant colosse guéri de sa cécité « debussyenne », son immense tube vocal le porte à s'exprimer dans une langue inconnue qui, étrangement, semble convenir à chaque membre de la famille puisque chacun, y compris le petit dernier Yniold (), semble à l'aise dans ce dialecte patriarcal. La preuve, presque tous le comprennent et le pratiquent. Parce que le spectateur francophone, assistant à ce qu'il pense être un opéra français, se trouve rapidement obligé de lire les surtitres en allemand pour saisir ce qui se dit en français sur scène.

Un chef de chant, préparant les chanteurs à l'expression linguistique et lyrique de la partition n'aurait pas été un luxe inutile. Au besoin, il aurait pu remplacer la dramaturge (Rebekka Meyer) dont manifestement le metteur en scène () a fait fi des conseils. Sinon pourquoi gommer le climat poétique de cette œuvre en situant l'intrigue dans l'espace d'un appartement sans âme ? Certes, le plateau tournant nous permet d'en visiter chaque pièce mais, dans cet environnement, on entre, on sort, on claque les portes à la manière du théâtre de Feydeau ? Comment justifier la visite de grottes lorsqu'on se promène dans un appartement de plain-pied ? Bien sûr, on n'hésite pas de verser de l'eau d'une cruche dans des vasques diverses et variées, remplaçant la fontaine auprès de laquelle les amoureux aiment à se découvrir. Ce doit être une licence théâtrale car les robinets des lavabos accolés aux murs des chambres et sous lesquels les protagonistes se lavent fébrilement les mains sont eux à sec ! A bien observer, les éclairages (Christian Aufderstroth), pour violents et bizarrement colorés qu'ils soient, offrent plus de climats impressionnistes à l'intrigue que le chant, la musique, le décor et les attitudes scéniques réunis.


Bien évidemment, la transposition de ce drame dans une époque contemporaine ne laisse que peu d'imagination créative ou esthétique aux costumes (Sylvia Merlo & Ulf Stengl). Mais l'habit ne fait pas le moine et qu'importe si le prince Golaud, pantalon gris-vert, bretelles pendantes, chemise ouverte sur un marcel a l'allure d'un bûcheron, ou que Pelléas en complet-veston et cravate, lunettes cerclées de noir, celle d'un petit étudiant premier de classe complètement à côté de ce qu'il est sensé être dans cette intrigue.

Membre de la troupe de l'opéra bernois, la jeune soprano russe (Mélisande) n'est pas gâtée. Ni par la direction d'acteurs inexistante, ni par le quelconque de son costume. Elle n'a même pas droit à la longue chevelure blonde pour être LA Mélisande de Debussy. S'appliquant néanmoins à chanter notre langue tant bien que mal, les mots qui sortent de sa bouche restent aussi incompréhensibles que ceux de ses autres collègues. On comprend mieux alors, qu'excédée, elle se relève brusquement de son lit de mourante pour quitter la scène en emportant la valise avec laquelle Golaud l'avait découverte et…le radiateur électrique, objet culte de Pelléas.

Dans la fosse le joue sans grandes nuances avec un volume sonore souvent couvrant les chanteurs et la baguette pourtant valeureuse du très jeune chef (29 ans) n'y est pas étrangère.

Si d'un point de vue d'ensemble, cette production reste décevante, il faut pourtant relever l'exceptionnelle et parfaite prestation de la mezzo-soprano (Geneviève). Sans excès aucun, sans artifice, elle aborde son personnage avec une classe remarquable. Dominant la diction, l'émission vocale, l'esprit de l'œuvre de Debussy, elle est l'exemple de l'artiste préparée, consciente de sa position dans cette intrigue. Elle chante ? On se régale. Elle se tait ? On admire ses regards, ses attitudes dans le droit fil de son engagement scénique.

Crédit photographique : © Janosch Abel

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