Avec Klaus Mäkelä et Leif Ove Andsnes, un concert ambitieux de l’Orchestre de Paris
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Paris. Philharmonie, Grande salle Pierre Boulez. 16-III-2022. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Musique funèbre maçonnique en ut mineur K. 477 ; Concerto pour piano n° 22 K 482. Thomas Larcher (né en 1963) : Symphonie n° 2 « Cénotaphe ». Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n° 10, Adagio. Leif Ove Andsnes, piano. Orchestre de Paris, direction : Klaus Mäkelä
L'heure est à la gravité dans ce concert de l'Orchestre de Paris, dans lequel le Concerto n° 22 de Mozart apparaît comme une heureuse éclaircie, sous les doigts alertes de Leif Ove Andsnes. Le programme original, à l'image de son nouveau directeur musical Klaus Mäkelä, inclut la création française de la Symphonie n° 2 de Thomas Larcher.
Le public, pas encore tout à fait installé, a-t-il entendu cet appel des hautbois, la réponse des bassons et ces silences suspendus, en ouverture de cette première partie consacrée à Mozart ? Dès ses premières mesures, la Marche funèbre maçonnique, à la fois solennelle et dépouillée, est une œuvre poignante, dont le tragique n'a rien a envier au Don Giovanni ou au Requiem. La courte pièce (6 minutes) se clôt par un accord lumineux qui appelle la prochaine œuvre au programme. Mozart a foi en l'homme. Très précis dans l'exécution, l'orchestre manque peut-être d'un brin de fragilité et de tragique, et pourrait par exemple ménager plus de liant entre les plans sonores souvent bien distincts, celui du chant porté par les bois et celui des cordes.
Le Concerto n° 22, popularisé par le film Amadeus, a été composé la même année que la Musique funèbre : 1785, année heureuse pour Mozart, durant laquelle il composa ses Noces de Figaro, et à laquelle le pianiste norvégien Leif Ove Andsnes vient de consacrer un disque très réussi. L'Andante central, véritable lamento d'opéra, est élégant et pur sous les doigts du pianiste, pas trop lent ni feutré, mais prenant une certaine distance avec le tragique. Les premier et troisième mouvements sont deux moments de joie, auxquels Klaus Mäkelä insuffle une vitalité jouissive. Dès la majestueuse introduction de l'Allegro, les attaques sont vigoureuses, quasi beethoveniennes mais sans pompe, et l'on peut entendre le délicieux dialogue du pupitre des bois. Leif Ove Andsnes nous ravit par la manière sobre et équilibrée avec laquelle il déploie sa partie virtuose, par sa façon de trouver la sonorité juste, à la fois délicate et bien projetée, et de s'inscrire dans l'orchestre d'égal à égal. Au troisième mouvement, porté par un orchestre qui avance bien, le pianiste joue avec une espièglerie jubilatoire, condensée dans la cadence, qui n'a pas été écrite par Mozart. Avant de quitter la scène, le pianiste interprète une courte pièce de Valentin Silvestrov, compositeur ukrainien qui invite au recueillement avec la simplicité d'un chant populaire.
L'Orchestre de Paris revient en grande formation après l'entracte : si presque tous les instruments de cet orchestre-monde sont représentés, les percussions se taillent la part du lion dans la Symphonie n° 2 du compositeur autrichien Thomas Larcher. Créée en 2016 par l'Orchestre Philharmonique de Vienne, la symphonie dite « Cénotaphe », en hommage aux migrants morts lors de leur traversée de la Méditerranée, est, hélas, de circonstance. Dans le concert, elle est un pendant violent et contrasté à la Musique funèbre de la première partie. La conduite de Klaus Mäkelä, très engagée et précise est une belle performance en particulier sur le plan rythmique ou dans la gestion des pupitres. Le premier mouvement Fast alterne l'expression de la fureur à grands renforts d'attaques violentes, de crescendos-accelerando, et des périodes de chants en formation chambriste, le tout organisé dans une construction très accessible à la première écoute. L'Adagio, par les longs phrasés des cordes ou certaines entrées des cuivres, anticipe la Symphonie n° 10 de Mahler, y joignant des timbres inquiétants (dans les registres graves des clarinettes basses ou des contrebassons par exemple) et mystérieux (avec la présence du célesta). Le troisième mouvement fait succéder, sans donner pour autant l'impression de patchwork, une introduction à la manière d'un choral de Bach, un nouveau délire orchestrale (évoquant des blocs sonores et rythmiques du Sacre du printemps), jusqu'à la fin tout en recueillement religieux inspiré par le tintement des cloches.
Le concert se referme sur un monument de la musique pour orchestre, chant du cygne de Mahler, la Symphonie n° 10 inachevée, dont seul l'Adagio fut composé intégralement par Mahler. Quelques aspects retiennent notre attention : l'ampleur des nuances pourrait être par moment plus grande (par exemple au moment du ppp des cordes précédant le grand tutti), l'intervention du motif narquois par les bois et les cordes pourrait être plus différenciée du reste de l'œuvre. Toutefois, le jeune chef tire de belles couleurs de son orchestre, jointe à un beau phrasé général, maîtrisant l'ensemble avec endurance.
Un résultat à la hauteur des ambitions du programme.
Crédits photographiques : Leif Ove Andsnes et Klaus Mäkelä @ Eric Garault
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Paris. Philharmonie, Grande salle Pierre Boulez. 16-III-2022. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Musique funèbre maçonnique en ut mineur K. 477 ; Concerto pour piano n° 22 K 482. Thomas Larcher (né en 1963) : Symphonie n° 2 « Cénotaphe ». Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n° 10, Adagio. Leif Ove Andsnes, piano. Orchestre de Paris, direction : Klaus Mäkelä