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Singulière intégrale des nocturnes de Chopin sous les doigts de Stephen Hough

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Frédéric Chopin (1810-1849) : les dix-huit nocturnes publiés opus 9, 15, 27, 32, 37, 48, 55, 62 ; Lento con gran expressione KKIVa/16 ; Nocturne en mi mineur opus posthume opus 72 n° 1 ; Nocturne en ut mineur possiblement attribué à Charlotte de Rotschild. Anonyme : Larghetto en ut dièse mineur, « nocturne oublié » ; Variante manuscrite du nocturne en mi bémol majeur opus 9 n° 2b. Stephen Hough, piano Yamaha CFX. 2 CD Hyperion. Enregistrés au Queen Elisabeth Hall du Southbank centre de Londres du 18 au 23 juillet 2020. Textes de présentation en anglais, français et allemand. Durée totale : 111:28

 
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Le pianiste britannique nous offre chez Hyperion une très personnelle intégrale des nocturnes de Chopin.

Dans son court texte placé en épigraphe de la présentation de ce double album, Stéphane Houch clarifie ses options interprétatives et les fondements de son approche esthétique. Il considère à juste titre comme l'un des meilleurs illustrateurs du bel canto, ayant assimilé et transposé au clavier l'art des grands vocalistes de son époque, en particulier au fil de la vingtaine de nocturnes qu'il nous a laissés. À l'interprète de restituer le cantabile ainsi transmué au clavier, et en parfaite corrélation avec les ambiances diverses ainsi évoquées. Hough se réfère aux longues et sinueuses mélodiques tenues en apesanteur par-delà les barres de mesures, avec cette pulsation médiate, présente et irrépressible de la main gauche, là où la main droite doit se vouloir libre, aérienne et expressive. Il rappelle aussi la pratique de l'ornementation, quasi improvisée, mais parfois notée, à titre d'exemple à l'usage des élèves favoris en marge des éditions princeps par le compositeur-pédagogue. L'opus 9 n° 2, donné dans deux versions « augmentées » ainsi semi-manuscrites se voit ici agrémentée d'ossia très ouvragées, inhabituelles mais authentiques.

Mais le pianiste repense également et avant tout les tempi. Il se réfère aux indications métronomiques originales (comme la blanche pointée à 60 dans un opus 15 n° 3, un tempo qu'il qualifie « d'embarrassant et énigmatique ») et dynamise ainsi l'articulation du discours et l'agencement des phrasés au su de la déperdition présupposée rapide, dit-il, du son des pianos d'époque. Mais on pourrait lui objecter qu'à la brièveté de touche s'oppose l'ampleur des résonances harmoniques des Erard ou Pleyel, très colorées qu'ont autrement exploitées divers pianofortistes – citons Alexei Lubimov, Cyril Huvé, Luc Devos et Tatiana Shabanova.

À vrai dire les résultats interprétatifs demeurent très variables d'une plage à l'autre, certains nocturnes supportant parfois assez mal, malgré les charmes ensorcelants d'une sonorité fondante, le traitement imposé par le pianiste : les incontestables réussites alternent avec des moments beaucoup plus banals de littéralité. Domine ainsi le sentiment d'une inquiétante étrangeté, d'un parcours elliptique (opus 15 n° 3), voire d'une indélébile noirceur, autant de reflets d'un monde intérieur intranquille (opus 27 n° 1) ou de l'éphémère fragilité des moments heureux (opus 9 n° 2, opus 27 n° 2). Le respect prégnant des moindres indications métronomiques rend haletant et preste le liminaire opus 9 n° 1 (surtout en sa section centrale) avec une accentuation volontairement palpable d'une main gauche d'emblée fiévreuse. L'opus 9 n° 3, tout aussi preste, esquisse presque un pas de valse au souple rubato, alors que l'opus 15 n° 1, orageux comme jamais, semble voir pointer sous les fleurs les canons – comme le disait Schumann – avec cette douce violence ombrageuse de la section médiane.

L'opus 27 n° 1, dramatisé à l'extrême, devient scène d'opéra miniature dégrisée sous l'amertume des illusions perdue, laissant alterner sourde révolte ou espérance vaine. Même le célèbre opus 27 n° 2, par son inhabituel et fiévreuse pulsation, livre un chant corseté rétif à tout serein alanguissement : comme il serait fade d'être heureux !

Si les deux nocturnes de l'opus 32 semblent par leur linéarité d'une altière banalité, malgré (ou à cause ?) d'une sonorité splendidement contrastée, l'opus 37 n° 2 par le naturel de ses enchainements discursifs et par son épanouissement total du chant s'avère une splendide réussite. Autre sommet, l'opus 48 n° 1 d'une sombre rectitude et d'un étagement dramatique parfait, loin de tout emportement « révolutionnaire » et malgré la démarche hésitante des premiers énoncés. le choral central et la récapitulation finale avec son resserrement du discours emportent l'adhésion par leur puissance évocatrice ; le nocturne « jumeau » opus 48 n° 2 subjugue tout autant par son allure d'impromptu très libre et pudique, restitué avec une superbe plasticité.

Les deux recueils de haute maturité laissent un même sentiment partagé. L'opus 55 n° 1 s'enlise quelque peu au fil de ses redites et l'éloquence de sa péroraison semble un rien péremptoire, alors que dans l'opus 55 n° 2 creuse tant et plus la polyphonie moirée des voix intermédiaires. L'opus 62 n° 1 parfois évasif dans ces contours s'affirme peu à peu ans. Au gré de ses reprises, il embrase le discours par l'envahissement des trilles et trémolos. Enfin l'opus 62 n° 2 se place sous le signe de l'éloquence à la fois par le large éventail de nuance dynamiques et par une très habile gestion expressive des transitions harmoniques les plus surprenantes.

En fin de récital, et à des fins d'exhaustivité, outre les traditionnels nocturnes de jeunesses publiés posthumement (le Lento con gran espressione KKIVa/16 et en mi mineur opus 72 n° 1), Hough ajoute le Nocturne en ut mineur KKIVb/8 apocryphe et un peu court d'idées, attribué parfois de nos jours à Charlotte de Rotschild et le larghetto en ut dièse mineur « nocturne oublié » d'une main anonyme KK Anh Ia/6, peut-être plus proche du style de John Field, inventeur du genre, que de Chopin.

Depuis certaine intégrale des valses pour le même éditeur, apparaît comme un des plus émérites et passionnants interprètes de . Cette version exhaustive et originale, sans concession mais murement réfléchie et minutieusement pensée, n'atteint peut-être pas constamment les mêmes sommets au vu du traitement de choc imposé à certaines plages, malgré certes l'éventail dynamique est impressionnant surtout les nuances infinitésimales de pianissimi les plus impalpables. La sonorité se veut claire, brillante, gourmande et perlée, parfaitement restituée – pour une fois – par une prise de son Hyperion digne du talent de l'artiste.

Cette version moderne et très tranchée, voire tranchante, à l'exact antipode de la vision marmoréenne d'un Claudio Arrau (Philips) ou de celles classiques parmi les classiques de glorieux aînés (Nikita Magaloff, Nelson Freire / Decca) l'emporte sur nombre d'intégrales très récentes plutôt pâlottes (Lisiecki chez DG entre autres) ou, à notre sens, trop uniment brutales (Bruno Rigutto, Aparté). Elle nous semble moins constamment heureuse et idéalement inspirée que celle de Nelson Goerner (Alpha), célébrée en nos colonnes, à notre sens l'une des principales références discographiques de la dernière décennie.

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