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Paris. Théâtre des Champs-Élysées. 9-III-2022. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Così fan tutte, dramma giocoso en deux actes sur un livret de Lorenzo Da Ponte. Mise en scène et costumes: Laurent Pelly. Scénographie : Chantal Thomas. Lumières : Joël Adam. Avec : Vannina Santoni, soprano (Fiordiligi) ; Gaëlle Marquez, mezzo-soprano (Dorabella); Laurène Paternò, soprano (Despina); Cyrille Dubois, ténor (Ferrando) ; Florian Sempey, baryton (Guglielmo) ; Laurent Naouri, baryton-basse (Don Alfonso). Choeur Unikanti (direction Gaël Darchen). Le Concert d’Astrée, direction musicale : Emmanuelle Haïm
Au Théâtre des Champs-Élysées, Le Concert d'Astrée d'Emmanuelle Haïm et le metteur en scène Laurent Pelly présentent une nouvelle production 100% française de Così fan tutte de Mozart dans un décor qui finit par se faire oublier, au grand profit de la musique.
Pas de comptoir de café pour la conversation entre hommes qui ouvre l'opéra, mais l'espace d'un vaste et impersonnel studio d'enregistrement berlinois avec ses lignes à angles droits, où le metteur en scène Laurent Pelly et la scénographe Chantal Thomas situent l'intrigue napolitaine plus ou moins à notre époque. On parvient à comprendre que ses six personnages y sont les interprètes de leurs propres rôles, réunis pour une captation de Così fan tutte, ce que confirme la note d'intention du programme. Pas de reconstitution dix-huitièmiste donc, mais une mise en abîme dont le propos tente d'apporter une dimension onirique, chaque protagoniste glissant dans la peau de son personnage, l'incarnation réelle se substituant (en rêve) progressivement à la fiction. Mais ce décor fixe dans le premier acte, puis aux parois mobiles dans le second, animé par une valse de micros tombant des cintres dont le sens nous échappe, ne « colle » pas au bout du compte et entretient une ambigüité : l'histoire qui y prend corps, chairs et âmes, ne parvient pas à s'y intégrer, en est à la fois prisonnière et s'en désolidarise. L'esprit s'interrogeant sur cet élément incongru finit par en faire plus ou moins inconsciemment abstraction, le pouvoir de la musique aidant, le rendant plus qu'accessoire, inopérant. Celle-ci placée de facto au centre (volonté du metteur en scène), sa richesse, sa liberté et sa grâce contrastent on ne peut davantage avec la raideur et la froideur du lieu choisi, insensible à ce qui se joue.
La musique est, elle, admirablement servie par d'une part Le Concert d'Astrée dirigée avec finesse et caractère par Emmanuelle Haïm, et d'autre part un plateau vocal remarquablement équilibré et représenté, ce qui est primordial dans un ouvrage où duos, trios, jusqu'au sextuors sont légion. L'ouverture annonce une interprétation brillante et enlevée de la partition, ce qui se confirme au fil des scènes. La richesse des couleurs de l'orchestre, l'énergie insufflée tenant en haleine d'un bout à l'autre gorgent de vie la foisonnante et virtuose écriture mozartienne. On pourra regretter que parfois la rapidité des tempi choisis ne laisse davantage place à la sensualité inhérente à l'œuvre, au charme de ses moments suspendus hors de l'écoulement du temps. Mais saluons au passage la qualité du continuo, dont le pianoforte joué par Benoît Hartoin apporte sa présence sensible et imaginative dans les récitatifs, les prolongeant à l'occasion de parenthèses subtilement improvisées, respirations bienvenues.
Les trois couples de chanteurs habillés par le metteur en scène concepteur des costumes, évoluent avec aisance et naturel, leurs jeux scéniques épousant toute la palette expressive requise par le livret et la musique. À la simplicité des vêtements de tous les jours – robes fluides façon années 50 verte et bleu ciel pour les deux sœurs, mise décontractée pour les hommes, blouse grise négligemment ouverte pour la servante Despina – le travestissement oppose sa touche humoristique et symbolique, pour figurer les deux paires improbables que sont le notaire et le médecin, indistinctement vêtus de noir, et les deux Albanais, autres figures interchangeables par leurs tenues noires XVIIIᵉ, rigoureusement identiques des pieds au couvre-chef. Trouvaille heureuse du metteur en scène, leur apparition presque en ombres chinoises les présente telles deux marionnettes esquissant des postures successives, imagerie savoureuse et baroquisante d'un exotisme fantasmé.
Proies idéales animées de sincérité, d'indignation, de fureur, de désir, Fiordiligi et Dorabella sont incarnées par deux chanteuses aux personnalités complémentaires. La soprano Vannina Santoni apporte la lumière de sa voix à Fiordiligi, trouvant l'équilibre dans l'étendue de son registre, n'appuyant pas outre mesure les graves et privilégiant la ligne souple de ses vocalises dans un bel engagement expressif. On se souviendra de son touchant « Per pietà… » . La mezzo Gaëlle Arquez prête dans une interprétation sans faille le fruité de sa voix ronde, épanouie, un rien sombre, mais enjôleuse à une Dorabella plus hardie. Complémentarité aussi chez les deux complices masculins : le ténor Cyrille Dubois excelle dans le rôle de Ferrando, le timbre clair, la diction soignée, le phrasé mozartien parfait et vivant, ménageant de belles et nombreuses nuances piano qui confèrent à son personnage une certaine retenue, une fragilité. Avec panache, Florian Sempey campe non sans humour, de sa solide voix de baryton, un Guglielmo hâbleur, charmeur, sûr de lui, parfois dominateur, entier, gai et sombre à la fois. Laurène Paternò est en Despina une parfaite acolyte de Don Alfonso, drôle, délurée et joyeuse à souhait, dont le timbre coloré devient intentionnellement nasillard lorsqu'elle se travestit en médecin et en notaire. Quant à Laurent Naouri, il est épatant dans son rôle d'Alfonso : il s'y amuse, joue avec les intonations, le timbre de sa voix chantante, incarnant un personnage aguerri, spirituel et sympathique, plus qu'un noir manipulateur.
Si tel ne fut pas le cas pour la mise en scène, la captivante présence de ce sextuor vocal et les musiciens de l'orchestre ont reçu l'ovation unanime et chaleureuse du public enthousiaste. Le décor ? un ratage regrettable, mais au bout du compte assez peu dommageable pour cette production musicalement sans faille.
Crédits photographiques : Cosi fan tutte © Vincent Pontet
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