Musique symphonique, Parutions

Carl Stamitz, symphoniste méconnu, magnifié par la Kölner Akademie et Michael Alexander Willens

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Carl Stamitz (1745-1801) : Symphonies en ré mineur op. 15 n° 3 (KaiS.24), en sol majeur op. 2 n° 3 (KaiS.3), en mi bémol majeur op. 6 n° 2 (KaiS.5), « le Jour variable » (ou la Promenade Royale), grande symphonie pastorale en sol et en ré majeur KaiS.32. Kölner Akademie, direction : Michael Alexander Willens. 1 CD CPO. Enregistré en la Deutschlandfunk Kammermusiksaal de Cologne en décembre 2019. Durée : 65:39

 

Les Clefs d'or

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Cpo continue son exploration du répertoire symphonique classique moins couru, avec ce second volume consacré à quatre symphonies de , peu ou pas enregistrées jusqu'à présent. 

Orphelin à douze ans vit son éducation confiée à quelques-uns des collègues compositeurs et instrumentistes de son père Johann (Holzbauer, Richter, Cannabich) actifs également à la Cour de Mannheim, pôle musical réputé alors dans toute l'Europe musicale classique. Carl fut engagé à seize ans, comme violoniste au sein de la prestigieuse phalange rhénane, et commença dès cette époque juvénile à composer. Virtuose également de l'alto et de la viole d'amour, il quitta son pupitre à l'orchestre pour tenter une carrière de musicien indépendant itinérant assez aléatoire, partagée entre succès et déroute ruineuse ; on put le retrouver en France vers 1772 à Versailles puis au service du duc de Noailles, puis au gré des étapes d'une vie errante, à Bruxelles, Londres ou Amsterdam (où, en 1782 il donna la réplique au tout jeune Beethoven). Son retour tardif en pays germaniques se solda par un échec, et il mourut dans la misère à Iéna en 1801.

Les nombreux concerti (pour clarinette ou alto entre autres), les symphonies concertantes et la musique de chambre demeurent les pans de son œuvre les plus explorés aux disques. Pourtant nous sont parvenues quarante-neuf symphonies, parfois éditées de son vivant, souvent avec un succès assez probant. Des quatre œuvres réunies ici, trois ne connaissent aucune autre version concurrente disponible à l'heure actuelle dans une discographie assez mince : elles embrassent toute la carrière du compositeur et permettent de voir sa fulgurante évolution. Ainsi, la juvénile Symphonie en sol majeur opus 2 n° 3 use plus de l'opposition de schémas harmoniques coulés dans les nouveaux moules formels que de véritables thèmes bien différenciés, comme beaucoup d'œuvres à cette époque de transition : seul en émerge le très subtil menuetto cantabile.

La deuxième de l'opus 6 en mi bémol majeur éditée en 1771 montre une évolution radicale, avec sa coupe en trois mouvements, proche de l'ouverture à l'italienne. a audiblement trouvé sa voie et sa voix, à la fois par une forme plus ramassée, un profilage thématique très affirmé, une orchestration originale (doublant le pupitre d'altos), ou encore une assimilation très personnelle de la forme sonate, véritablement durchkomponiert, sans aucune redite textuelle littérale. La splendide Symphonie en ré mineur opus 15 n° 3 – l'une des deux seules en tonalité mineure nées sous cette plume – qui ouvre opportunément ce programme va encore plus loin, avec son presto liminaire à six huit, usant de contrastes dynamiques orageux, et surprenants de théâtralité opératique ; le final est délibérément placé sous l'esthétique Sturm und Drang ; fleur entre deux abîmes, le suave andante central renvoie plutôt à l'esthétique galante alors en vogue.

Pour conclure, la symphonie descriptive « le Jour variable » (ou « la Promenade Royale » selon les sources et catalogues), probablement destinée au public français, comme le suggère l'élégant trait de flûte ouvrant le premier temps, propose dès 1772 une évocation des diverses heures à travers des tableaux de Dame Nature (la pastorale inaugurale, la tempête, la nuit obscure, et la chasse finale). Dix ans avant la symphonie « le portrait musical de la Nature » de Justin Heinrich Knecht (enregistré par Frieder Bernius chez Carus), elle préfigure l'éveil des sentiments humains et musicaux qui présideront, par exemple, à la genèse de la Symphonie pastorale de Beethoven. Les deux manuscrits originaux en ont disparu, pour l'un à la fin de la dernière guerre, comme butin soviétique, quelque part entre Berlin et Moscou, l'autre en 2004 dans l'incendie de la bibliothèque Anna Amalia de Weimar. Heureusement, une copie sur microfilm a permis de reconstituer cette partition inédite très développée et ambitieuse (vingt-cinq minutes), plus peinture de panoramas musicaux que véritable poème symphonique avant la lettre.

Il y a une douzaine d'années, CPO proposait déjà un premier volume de quatre symphonies dirigées par Werner Ehrhardt à la tête de son ensemble L'arte des Mondo. Les deux programmes ont en commun la surprenante Symphonie en ré mineur opus 15 n° 3, mais pour le présent enregistrement le chef et musicologue Michael Alexader Willens est reparti, pour en établir le matériau, des manuscrits conservés à la bibliothèque des Thurn et Taxis de Ratisbonne, source importante pour cette époque, dont nous évoquions la richesse, lors de la récente parution d'un volume de symphonies de Theodor Von Schacht chez le même éditeur. En résultent quelques variantes de textes et surtout une articulation et une dramatisation bien plus convaincantes, grâce à cette direction colorée, tendue, mais aussi très nuancée malgré sa trempe sanguine et dramatique.

La joue sur instruments d'époque ou copies d'époque, de manière historiquement informée, avec une véhémence, une alacrité, un sens de l'articulation et du détail d'une épatante précision, et donne un appréciable relief à la plus convenue Symphonie en sol majeur opus 2 n° 3 et surtout à la bien plus originale Symphonie en mi bémol majeur. Mais c'est incontestablement la Symphonie le Jour variable qui constitue le « clou » de ce disque, par son côté descriptif inattendu et ses totales ruptures discursives. De nombreux détails d'orchestration très pittoresques sont à raison soulignés : le piccolo, utilisé ici plus de trente ans avant le final de la Cinquième symphonie de Beethoven, les glorieuses interventions des cors naturels au gré de la chasse finale, la petite harmonie très pimentée, les timbales très dures évocatrices de la tempête et du tonnerre au fil du deuxième mouvement… Tout au plus peut-on regretter des pupitres de cordes un peu minces d'effectifs et corsetés, alors que sans doute Stamitz avait en tête l'orchestre de Mannheim et son « armée de généraux », pléthorique, aux irrépressibles et légendaires effets dynamiques, tels ces fameux crescendi.

Mais ce volume idéalement conçu et très documenté (avec des textes hélas disponibles uniquement en allemand et anglais) constitue sans doute le disque idéal pour découvrir le talent singulier et la personnalité attachante de Carl Stamitz et s'avère mille fois préférable aux enregistrements aseptisés (Mathais Bamert chez Chandos) voire timorés (l'Amadeus Ensemble, jouant sans chef, chez Auris subtilis) par ailleurs disponibles, mais concernant d'autres symphonies. En bref, voici une publication utile et précieuse pour mieux appréhender les chemins de traverse de cette passionnante et inépuisable époque classique.

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