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En mai 1856, alors que Wagner est en train d'achever la composition de La Walkyrie et qu'il s'est déjà attaqué à la suite de la Tétralogie avec Siegfried, le compositeur se trouve envahi par une pause existentielle.
Il a lu Schopenhauer et l'a mis de côté. Pendant les mois précédents, dans ses lectures du soir, il avait entamé un ouvrage sur les Légendes Hindoues ainsi qu'une traduction en allemand récemment parue de l'Histoire du Bouddhisme d'Eugène Burnouf. Après Schopenhauer et la tentation de condamner le vouloir-vivre, il veut emprunter un chemin en direction de l'Orient avec cette nouvelle mentalité que célèbre la pensée de son temps.
Les Vainqueurs, esquisse en prose pour un opéra
Wagner se propose de composer une œuvre sur un épisode de la vie du Bouddha. Comme à chaque fois qu'il cherche à créer, il s'inspire des circonstances extérieures. Pour sa relation intensément poétique avec Mathilde Wesendonck, il ne voit aucune solution à leur dilemme d'amour impossible. A partir de cette expérience vécue, le compositeur conçoit donc, sur-le-champ, une esquisse en prose pour un opéra, Les Vainqueurs, au parfum d'exotisme, qui ne verra jamais le jour. Mais en juin, il change d'avis. « J'ai conduit encore mon jeune Siegfried dans la belle solitude des bois ; je l'ai laissé là, sous le tilleul, écrit-il à l'ami Franz Liszt, et je lui fais mes adieux en versant des larmes d'attendrissement. » Sur l'ébauche d'orchestre du deuxième acte de Siegfried, il note « Tristan déjà décidé. »
En fait, le drame d'amour impossible qu'il vit aux côtés de Mathilde, sa muse bien aimée, cherche une issue. Pourquoi ce choix entre Tristan et Les Vainqueurs ?
Le projet inspiré du bouddhisme met en scène une jeune fille, Savitri, follement éprise d'un jeune homme, Ananda. La mère de Savitri souhaite attirer l'être aimé par un sortilège, ce qui n'est pas sans nous rappeler des philtres divers et variés qui jonchent les textes poétiques de Wagner. Elle rencontre le Maître Bouddha, suprême conseil, sous son arbre à pain et fait la demande pour sa fille. Bouddha interroge la mère de Savitri. Désire-t-elle une union conforme aux pratiques ascétiques du jeune homme qui est un de ses disciples, ou préfère-t-elle sa passion charnelle ? Quelle question ! Car l'obstacle est de taille : conforme à sa vie en communauté, Ananda a fait vœu de chasteté. Le seul espoir, poursuit-il, se trouve dans un renoncement partagé pour que tous les deux puissent prendre place ensemble dans le cénacle de Bouddha. Tels Héloïse et Abélard, ils doivent vivre en frère et sœur jusqu'à ce que la ronce qui sort de terre réunisse leur gisant dans la tombe. Comme les amours chastes de Wagner avec Madame Wesendonck, le consentement les unit, mais les voue à l'échec.
On a vu dans cette entreprise un intérêt de Wagner simplement pour l'Orient, alors qu'il cherchait plutôt une porte de sortie de ce qui l'empêchait d'avancer. Dans son Journal de Venise (août 1858 – avril 1859), Wagner écrit pour Mathilde Wesendonck tout ce qui lui passe par la tête. Mais en octobre 1858, il est obsédé par son histoire délaissée des Vainqueurs et l'écrit à sa muse. Pour entrer dans la communauté des saints de Bouddha, il faut passer par le renoncement et le détachement aux liens de la nature, mais aussi à l'art, Oui l'art ! écrit Wagner, « l'art qui me replonge éternellement dans les douleurs de la vie, dans toutes les contradictions de l'existence. Si je ne possédais pas ce don merveilleux, cette fantaisie créatrice, je pourrais devenir saint [. . .] Alors nous serions libérés, Ananda et Savitri ! Mais il n'en est pas ainsi, car cela même refait de moi un poète, il me ramène vers l'art. »
Dans sa pensée circulaire, le compositeur ramène le raisonnement en fait vers son œuvre magistrale Tristan qui fut le vrai vainqueur de sa lutte contre lui-même, et plus tard à Parsifal, « mon Tristan du troisième acte, » son écho métaphysique. En effet, Wagner avait songé à faire venir le chevalier Parsifal, consolateur, au chevet de Tristan mourant, mais son bon sens dramatique lui évita cette lourdeur. Plus tard, Richard et Mathilde, chacun de son côté, cherche dans le souvenir de leur amour une solution à l'énigme du monde et de la souffrance. Dans Parsifal, son testament musical, Wagner abandonne à jamais la thèse de Schopenhauer qui démontre la souffrance comme inséparable du désir. Selon Wagner, la souffrance est le seul résultat du mal et non du désir. Schopenhauer, se souvient Mathilde, voulait ramener le christianisme au bouddhisme pour lequel la souffrance cesse d'exister, grâce au nirvana fait de renoncement et d'oubli. Mais Wagner ne pouvait renier sa culture occidentale et sa préférence pour le symbolisme chrétien enracinées en lui. En tant qu'artiste, il a déjà connu la pratique de l'ascèse et le dépassement de soi que préconise Bouddha, mais en tant qu'homme, il trouvait dans les préceptes du bouddhisme une incompatibilité profonde avec sa propre nature.
Quoi qu'il en soit, en 1873, dix ans avant sa mort, le Journal de Cosima rapporte encore un intérêt de Richard Wagner pour son esquisse d'opéra sur Bouddha. « R. me dit qu'à soixante-dix ans, il écrira Parsifal, écrit Cosima, et à quatre-vingt, Les Vainqueurs. Nous rions et je continue à refouler mes larmes. »
Tristan a remporté le tournoi contre le bouddhisme, et Parsifal est créé à Bayreuth le 26 juillet 1882. L'hiver suivant, Richard Wagner, installé au Palais Vendramin à Venise, meurt le 13 février 1883 au milieu des siens.
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