Pâle Biennale pour le quatuor à cordes en temps de Covid
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Paris. Cité de la Musique (Salle des concerts, Auditorium du Musée de la Musique)
20-I-2022. Antonín Dvořák (1841-1904) : Quatuor à cordes n°12 « Américain » ; Sextuor à cordes. Quatuor Jerusalem ; Miguel da Silva, alto ; Gary Hoffman, violoncelle.
21-I-2022. Béla Bartók (1881-1945) : Quatuor à cordes n° 3 ; Qi Li (né en 1990) : mlog Beijing ; Antonín Dvořák : Quatuor à cordes n° 11. Quatuor Arod.
21-I-2022. Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Quatuor à cordes n° 2 ; Antonín Dvořák : Quintette pour piano et cordes n° 1. Quatuor Borodine ; Dmitri Masleev, piano.
23-I-2022. Joseph Haydn (1732-1809) : Quatuor op. 20 n° 3 ; Antonín Dvořák : Les Cyprès (extraits) ; Felix Mendelssohn (1809-1847) : Quatuor à cordes n° 3. Quatuor Casals.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Quatuor à cordes n° 20 ; Antonín Dvořák : Quatuor à cordes n° 13. Quatuor Hagen.
Paris. Philharmonie. 23-I-2021. Johannes Brahms (1833-1897) : Quatuor n° 1 op. 51/1 ; Franz Schubert (1797-1828) : Quintette à deux violoncelles. Quatuor Belcea ; membres du Quatuor Ébène.
Le choix d'Antonín Dvořák comme fil conducteur ne convainc qu'à moitié, mais ce n'est pas le seul problème de cette programmation.
On ne peut pas dire que la musique de chambre de Dvořák encombre les scènes, et c'est sans doute la raison de son omniprésence lors de cette 10e biennale de quatuors à la Philharmonie de Paris, à travers une large sélection de quatuors complétée par quintettes et sextuor. Reste à savoir si elle mérite vraiment d'être plus souvent entendue. Le plus beau concert de notre sélection est sans aucun doute celui du Quatuor de Jérusalem, qui lui est entièrement consacré ; le quatuor « américain », le seul vraiment intégré au grand répertoire (et donné en ouverture de la Biennale), y est suivi du sextuor à cordes, une œuvre qui montre moins de profondeur que de charme. Le programme est beaucoup trop court – moins d'une heure de musique, nous y reviendrons -, mais on ne cesse d'admirer le travail des musiciens, y compris des deux invités du sextuor, Miguel da Silva et Gary Hoffman. L'art des Jerusalem n'est pas spectaculaire, ils ne nous surprennent pas par des accents inédits ou des choix interprétatifs audacieux, mais par une maîtrise extrême de tous les paramètres de la musique, par une fusion particulièrement aboutie des voix instrumentales, permettant des nuances de dynamique et de timbre proprement insensées. Un beau bis, l'air de Lenski transcrit par l'altiste du quatuor Ori Kam, vient heureusement compléter ce court programme avec autant d'émotion que de sensualité instrumentale.
Le Quatuor Casals a le redoutable privilège d'être le seul à jouer un quatuor de Haydn, compositeur que la Biennale, d'édition en édition, continue de traiter en quantité négligeable. Il s'en acquitte avec fougue, style et délicatesse sous la tutelle du premier violon Abel Tomàs, mais ce n'est qu'ensuite que l'ensemble montre toute l'étendue de son talent, quand sa collègue Vera Martínez Mehner prend à son tour le premier rang ; le quatuor de Mendelssohn, avec ses généreux solos, lui donne l'occasion de montrer quelle musicienne enthousiasmante elle est, mais elle est surtout une force motrice pour le collectif des Casals. La simplicité de chant populaire des Cyprès de Dvořák est mise en avant, mais pas au détriment des couleurs et de la netteté des attaques. Le contraste avec les Jerusalem, à un même niveau de qualité, montre bien pourquoi on peut enchaîner des concerts de quatuor pendant tout un festival sans aucune monotonie : la fusion, chez les Casals, est beaucoup moins poussée, au bénéfice d'un dialogue nourri où chacun a sa propre voix.
Le Quatuor Borodine fait lui aussi partie de la liste des invités permanents de la Biennale. Son concert cette fois soulève quelques interrogations. Certes, le Quatuor n° 2 de Dimitri Chostakovitch qui ouvre le programme montre bien la longue familiarité que l'ensemble, dans ses différentes compositions, entretient avec cette musique, mais on aimerait être plus surpris, plus ému, plus bousculé par elle que dans cette interprétation un peu lisse ; le son du quatuor est qui plus est perturbé par un violoncelle peu intégré, dont le son rond mais un peu banal en devient trop présent. Dans le premier quintette de Dvořák qui constitue le reste de ce court programme, un pianiste peu subtil, Dmitri Masleev, n'améliore pas les choses, dans une œuvre simplement aimable qui n'avait vraiment pas besoin de cela.
Le Quatuor Arod, qui le précède le même soir, est beaucoup plus jeune, et doit lui aussi en passer par Dvořák, plus précisément le Quatuor n° 11 : il ne convainc pas de la nécessité de cette programmation, mais il y montre du moins la qualité de son travail, à vrai dire mieux employée dans le court Quatuor n° 3 de Bartók qui ouvre le programme, avec une belle énergie et un subtil travail des timbres.
Autre vénérable quatuor présent à chaque édition de la Biennale, les Hagen livrent eux aussi un trop court programme ; Mozart y côtoie l'inévitable Dvořák, et si on y retrouve avec plaisir la richesse du son des Hagen, il faut bien dire que ce concert les montre un peu éteints : leur Mozart est un peu comme le Chostakovitch des Borodine, il se limite à une marque de fabrique parfaitement maîtrisée.
Esprit festival, es-tu là ?
Cette 10e édition d'une des manifestations les plus attachantes de la vie musicale parisienne laisse un goût d'inachevé, au-delà même du cas Dvořák. La faute au Covid, mais pas seulement. L'annulation des deux concerts du Quatuor Diotima nous prive de la présence d'une des formations les plus créatives d'aujourd'hui ; et le dernier concert voit son programme bouleversé par deux cas de Covid au sein du Quatuor Ébène, qui devait interpréter avec le Quatuor Belcea les octuors d'Enesco et Mendelssohn. Le programme de substitution ne manque pas de panache, mais le premier quatuor de Brahms interprété par les Belcea, dans ces circonstances difficiles manque franchement de finition et de contours – on ne peut leur en vouloir, surtout que l'acoustique de la grande salle de la Philharmonie assèche cruellement les timbres. Le quintette à deux violoncelles de Schubert, étrangement, s'en sort mieux : le premier violon (celui du Quatuor Ébène) manque un peu de précision dans ses solos, mais les équilibres d'ensemble sont maîtrisés sans concession à la prudence, l'énergie est là, les nuances aussi, avec de beaux moments piano suspendus dans le mouvement lent.
Est-ce le Covid qui justifie la brève durée de la plupart des concerts, moins d'une heure de musique pour Jérusalem ou Hagen ? Dans ce cas, il aurait bien mieux valu les donner sans entracte pour éviter de constituer des foyers de contamination ; et puisque des entractes étaient possibles, des programmes un peu plus généreux l'auraient été aussi. Est-ce le Covid qui justifie la baisse progressive du nombre de concerts, là où les premières éditions permettaient d'enchaîner les concerts pendant les week-ends ? Ou est-ce plutôt un signe que la direction ne s'y intéresse plus vraiment, dans une ville où la musique de chambre fait le reste du temps bien pâle figure ?
Il suffit de comparer avec le programme annoncé de la biennale prévue à Amsterdam à la fin du mois – mais annulée pour cause de Covid : construire une programmation ne consiste pas à réinviter toujours les mêmes ; on aimerait une vraie politique de création, qui évite les banalités façon guide touristique de la jeune compositrice chinoise Qi Li en voyage d'hiver à Pékin ou le sage conformisme de Benjamin Attahir (notre consœur a pu toutefois écouter une création de la jeune compositrice Clara Olivares, des œuvres de Ligeti, Goubaïdoulina, et les quatre quatuors de Manoury – à l'occasion de ses 70 ans). On aimerait une diversité de formats, et surtout retrouver un peu de l'esprit festival qui nous faisait aller avec gourmandise de concert en concert, de surprise en découverte, apportant des éclairages nouveaux sur les œuvres les plus connues et en faisant découvrir d'autres. En 2024 peut-être ?
Crédits photographiques : Quatuor de Jérusalem © Felix Broede
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Paris. Cité de la Musique (Salle des concerts, Auditorium du Musée de la Musique)
20-I-2022. Antonín Dvořák (1841-1904) : Quatuor à cordes n°12 « Américain » ; Sextuor à cordes. Quatuor Jerusalem ; Miguel da Silva, alto ; Gary Hoffman, violoncelle.
21-I-2022. Béla Bartók (1881-1945) : Quatuor à cordes n° 3 ; Qi Li (né en 1990) : mlog Beijing ; Antonín Dvořák : Quatuor à cordes n° 11. Quatuor Arod.
21-I-2022. Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Quatuor à cordes n° 2 ; Antonín Dvořák : Quintette pour piano et cordes n° 1. Quatuor Borodine ; Dmitri Masleev, piano.
23-I-2022. Joseph Haydn (1732-1809) : Quatuor op. 20 n° 3 ; Antonín Dvořák : Les Cyprès (extraits) ; Felix Mendelssohn (1809-1847) : Quatuor à cordes n° 3. Quatuor Casals.
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Quatuor à cordes n° 20 ; Antonín Dvořák : Quatuor à cordes n° 13. Quatuor Hagen.
Paris. Philharmonie. 23-I-2021. Johannes Brahms (1833-1897) : Quatuor n° 1 op. 51/1 ; Franz Schubert (1797-1828) : Quintette à deux violoncelles. Quatuor Belcea ; membres du Quatuor Ébène.