Dans un programme thématique habilement concocté, la basse allemande Andreas Bauer Kanabas fait valoir de sérieux atouts : beauté vocale, musicalité et flair dramatique sont réunis pour un récital de chant comme on les aime.
Longtemps connue sous le nom de Andreas Bauer, la basse profonde Andreas Bauer Kanabas, basée à l'Opéra de Francfort, est en train de se faire un nom outre-Rhin. On ne saurait que trop regretter de ne pas l'entendre plus souvent sur nos scènes françaises. Espérons en tout cas que ce CD carte de visite saura inspirer nos programmateurs. Il permet en effet d'entendre Bauer Kanabas dans les répertoires à la fois italien, allemand et slave. Plutôt que de regrouper les morceaux retenus par style ou par époque, le chanteur allemand préfère opter pour une sélection thématique liée aux états psychologiques des différents personnages qu'il choisit d'incarner. Silva, Philippe II, Marke et Aleko représentent ainsi le type de l'amant trahi par la femme qui ne l'aime plus, ou qui ne l'a jamais aimé. La noblesse du timbre, la sobriété des phrasés sont les instruments idéaux pour suggérer la souffrance de ces quatre personnages, occasionnellement animés par la soif de vengeance. C'est d'une autre forme de trahison que le Banquo de Macbeth fait l'expérience, le Zaccaria de Nabucco étant quant à lui marqué par la ferveur religieuse et l'espoir de voir sa foi récompensée. Avec Vodník de Rusalka, c'est l'amour paternel que peut exprimer Andreas Bauer Kanabas, tandis que le CD s'achève sur un large extrait du Château de Barbe-Bleue de Bartók, vaste exploration des mystères de l'amour et des tréfonds de l'âme humaine. Rarement récital de basse n'aura proposé une telle cohérence dans ses choix de répertoire.
La basse possède tous les atouts pour mener son programme à la réussite. Chantant en six langues – italien, français, allemand, russe, tchèque et hongrois –, il fait valoir une diction claire et précise. Quoique chantant en excellent français, il n'est pas à l'abri de quelques erreurs de prononciation, comme celle qui lui fait prononce le mot « Escurial » à l'italienne. Sa voix est timbrée de manière homogène, même si elle est quelque peu mise en tension dans les notes plus hautes de la tessiture. Les cabalettes des airs de Verdi ne proposent pas les meilleurs moments. La richesse du programme aura également permis, notamment dans les pages slaves et hongroise, de mettre en valeur les instrumentistes du Latvian Festival Orchestra, placés sous la baguette de Karsten Januschke. On découvrira aussi le beau mezzo dramatique de Tanja Ariane Baumgartner, collègue de Bauer Kanabas à l'Opéra de Francfort.
Que ceux qui disent que les troupes des opéras allemands engendrent la routine écoutent ce beau CD. Ils risquent d'avoir de bonnes surprises.