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Le Quatuor Hermès, schubertien d’âme et irrépressible d’engagement

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Franz Schubert (1797-1828) : Quatuors à cordes n° 13 « Rosamunde » en la mineur D. 804, et n° 14 « La Jeune fille et la mort » en ré mineur D. 810. Quatuor Hermès. 1 CD La Dolce Volta. Enregistré à la Cité de la Musique et de la Danse de Soissons en juillet 2020. Texte de présentation (interview) en français, anglais, allemand et japonais. Durée : 72:32

 
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Le quatuor à cordes Hermès nous livre sa vision de deux des sommets schubertiens dédiés à la formation, celui des quatuors n° 13 « Rosamunde » et n° 14 « La Jeune fille et la mort ». À l'approche davantage lyrique et irrémédiablement nostalgique du premier répond une version farouche et tendue du second.

Formés tout d'abord au Conservatoire National Supérieur de Lyon auprès du Quatuor Ravel, les Hermès ont bénéficié de l'enseignement des membres des quatuors Ysaÿe ou Artemis (pour ces derniers, en la Chapelle musicale reine Élisabeth de Belgique), ou encore des conseils avisés de mentors tels Eberhard Feltz ou Alfred Brendel. L'ensemble est assuré du soutien de diverses fondations (Singer-Polignac, Mécénat Musical de la Société générale), et notamment aidé par le prêt de violons prestigieux. Omer Bouchez joue ainsi un Joseph Gagliano de 1796 et Elise Liu un David Tecchler de 1726.

Hermès, c'est évidemment le nom du messager des dieux dans la mythologie grecque, donc le «passeur » d'idées, offrant, par le truchement d'interprètes inspirés la parfaite stimmung entre compositeurs et auditeurs : dieu des carrefours, il illustre aussi la croisée des chemins empruntés par le Wanderer schubertien, au confluent du printemps 1824, avec cette genèse concomitante de deux partitions si opposées mais complémentaires dans leurs humeurs, leurs moyens poétiques ou leurs desseins expressifs. C'est sous ce jeu des contraires et des ambivalences esthétiques que se placent ces deux interprétations très abouties, malgré quelques minimes défauts, du jeune quatuor français, capté dans l'acoustique relativement sèche mais véridique et équilibrante de la Cité de la Musique et de la Danse de Soissons.

L'approche du quatuor Rosamunde D. 804 se veut avant tout nostalgique et contenue ; l'angoisse sourd avec une lancinante insistance au fil de l'initial allegro (oh combien, ici) ma non troppo, donné avec la reprise de l'exposition – avec ces diverses formules rythmiques de l'accompagnement donc ce fantomatique gruppetto de cinq notes, obsessionnel et, ici, subtilement éclairé et varié au gré des voix et de leurs combinaisons. Omer Bouchez y déploie avec une lancinante mélancolie le thème initial et joue la carte d'une contrition presque automnale là où d'autres ensembles viennois déployaient une certaine brillance onctueuse (Wiener Konzerthaus quartett – indispensables de Diapason – Quatuor Artis chez Sony, Quatuor Alban Berg dans les deux versions parues et regroupées chez Warner). Miraculeusement les cordes graves livrent une parfaite réplique au gré d'un second thème consolateur. Une tension « en creux » émaille stratégiquement tout le développement, menant à un inéluctable climax rupteur et à une réexposition et une coda presque résignées. Rarement les deux mouvements médians ont-ils laissé à ce point l'impression d'un paradis à jamais perdu, que ce soit l'andante au fil des redites dès son célèbre thème issu de la musique de scène éponyme pour la pièce très bas-bleu de Helmina von Chézy, prenant au fil de ses redites l'aspect d'une procession quasi funèbre, ou le menuetto, sorte de nordique ballade sans issue rédemptrice, et dont le motif liminaire (issu du lied Die Götter Griechenlands – les Dieux de la Grèce -) sous l'archet du violoncelliste prend des allures d'imprécation. L'allegro moderato final joue, sous ces archets inspirés, malgré les ambiguïtés des épisodes successifs, la carte d'une relative détente optimiste après la noirceur discursive assumée des trois premiers mouvements.

À l'opposé, les Hermès nous gratifient d'une version altière flamboyante et haletante du quatuor « La Jeune fille et la mort ». Dans l'interview qui fait figure de texte de présentation, les interprètes confient avoir favorisé les longues prises d'enregistrement pour retrouver, par un art oratoire ininterrompu, l'alliage de la simplicité et du relief, dans la filiation de l'immanence inhérente au concert ou au « direct ». De fait, nous ne connaissons que peu de versions aussi fiévreusement emportées, aussi symphoniques dans leur empoigne, aussi dramatiques dans la persistance de la tension au fil d'un Allegro liminaire, significativement joué sans la reprise de l'exposition, suffocant de dramatisme et d'engagement presque physique. Léger revers à cette option, certains détails (notamment dans l'aigu de la tessiture du premier violon, et souvent dans les passages les plus « faciles  » ou détendus) pourront sembler négligés ou légèrement étranglés dans la sonorité. Il en va de même au fil de l'andante con moto basé sur l'accompagnement (plutôt que la mélodie) du célèbre lied  » Der Tod und das Mächen »: l'énoncé initial et ses trois premières métamorphoses (inquiètes interventions du premier violon, hagard solo du violoncelle, irrépressible tutti) apparaîtront comme inéluctables, là où la variation en tonalité majeure, soudainement irradiante, et surtout le crescendo de l'ultime variante avant une coda salvatrice sembleront un rien relâchées et prolixes. En revanche le scherzo, sous des coups d'archets impeccablement unifiés, apparaît irrésistible dans sa rythmique impitoyable, même dans son trio central tout sauf détendu. Et surtout le final, presto palpitant, véritable course à l'abîme, n'a-t-il jamais été aussi proche du climat de l'Erlkönig, notamment au fil d'une coda soudainement folle, précipitée et quasi suicidaire, menant à l'abrupte conclusion finale. Certes, dans cette œuvre, de nouveau les Alban Berg (par deux fois chez Warner) mais aussi les Belcea (Warner), les Melos (dans leur intégrale DG) ou les Jerusalem (HM) – sans évoquer les jalons historiques (Busch chez Warner, Amadeus surtout chez Rias-Audite, Hollywood, indispensable de nos confrères de Diapason ou Testament) restent des incontournables de la discographie de l'œuvre, mais, malgré quelques minimes scories, le renouvelle sensiblement le propos par la vaillance de son engagement et par la véracité altière d'un discours urgent et dramatisé à l'envi.

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