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Qu’est-ce qu’un bon violon : de la physique à la psychologie

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Qu’est-ce qu’un bon violon ? Cette question, pourtant très simple dans sa formulation, se révèle en fait d’une grande complexité. Pour trouver des éléments de réponse, nous avons interrogé des scientifiques spécialistes du sujet, allant ainsi de surprises en surprises et en remettant en cause nombre de certitudes d’artisan. Passionnant, voici les réflexions en découlant, qui concernent tant les luthiers que les musiciens, les scientifiques, mais aussi le grand public passionné et curieux. Pour accéder au dossier complet : Qu’est-ce qu’un bon violon ?

 
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En théorie, si je fabrique un violon dont la signature est identique à celle d’un violon considéré comme « bon » par la communauté des musiciens (par exemple tel exemplaire de Stradivarius joué actuellement par tel violoniste renommé) ce violon devrait lui-même être considéré comme « bon ». Et, quitte à copier un bon violon, autant copier « le meilleur ». Où le trouver ?

François Gautier, enseignant chercheur au Laboratoire d’acoustique de l’Université du Maine (CNRS UMR 6613) et à l’École Nationale Supérieure d’Ingénieur du Mans avec Frédéric Ablitzer, m’apprend qu’une scientifique, Claudia Fritz, chercheuse à l’Institut Jean-Le-Rond-d’Alembert (IJLRA), travaille sur ce sujet. Je me mets alors en rapport avec elle. Elle prépare justement une expérience à laquelle elle me propose d’assister. Son équipe a sélectionné différents violons, parmi lesquels certains considérés « à priori » comme « les meilleurs », à savoir des Stradivarius et des Guarnieri, et d’autres « à priori » moins performants, en l’occurrence des instruments modernes. Ces présupposés font l’objet d’un consensus dans la communauté musicale et ont pour effet un prestige et une valeur pécuniaire supérieure des premiers. Il s’agit d’éprouver ces à priori à l’aune de la science et de constater si celle-ci les confirme ou pas. Relativement à ma démarche, je m’attends donc à ce que les instruments anciens soient scientifiquement attestés comme « supérieurs » et, parmi eux, je prendrai le meilleur comme base de copie.

Pour mener à bien cette expérience selon les rigueurs de la recherche scientifique, on commence par définir un moyen de mesurer la qualité des instruments. Les personnes les plus légitimes à s’exprimer sur cette notion sont les violonistes. N’étant pas des machines, ils ne vont pas s’exprimer en unité de mesure conventionnelle, mais par le langage. Il convient donc de définir des critères d’appréciation de leurs sensations et un vocabulaire qui soit compatibles avec les paramètres scientifiques. En l’espèce, l’expérience sort donc du champ de la physique pure et relève de la psycho-acoustique. On pose alors aux violonistes la question suivante : quelles sont les qualités que vous attendez d’un « bon » violon ? La réponse est unanime : la richesse de timbre, la puissance, la dynamique (la qualité est stable autant dans le piano que dans le forte), la portée ou projection (le son est entendu à distance sans perdre de ses qualités).

Pour que l’expérience soit valable scientifiquement, il faut qu’elle soit réalisée, non pas au sein d’un atelier, mais, pour ainsi dire, « hors-sol », dans des conditions artificielles, à savoir « en double aveugle » : ni le musicien ni les auditeurs ne doivent connaître le pedigree des instruments testés.

On sélectionne dix violons, par nature différents, qu’on catégorise objectivement selon leur époque, leur modèle, leur origine géographique et leur prix. On numérote les violons. Puis on présente une paire de violon (n°1 et n°2) à un premier violoniste de haut niveau, qui joue alternativement sur le premier puis sur le deuxième violon le même court extrait musical d’environ une minute. On lui demande ensuite, ainsi qu’au public assistant à la séance dans les mêmes conditions, de classer ces deux violons sur une échelle, en fonction des critères précités. On recommence l’opération avec une autre paire, et ainsi de suite, de sorte à croiser les combinaisons, la même paire pouvant se présenter plusieurs fois (on peut même présenter le même violon deux fois en prétendant qu’il s’agit d’une paire). Et on recommence exactement cette même expérience avec un deuxième violoniste, puis un troisième, etc. Il me semble que, le jour où j’ai assisté à cette expérience, étaient présents cinq violonistes.

Les données sont ensuite analysées avec des outils statistiques. Les résultats tombent, ils sont multiples et surprenants : ni les violonistes ni les auditeurs ne sont arrivés à distinguer les instruments italiens et/ou anciens des autres au-dessus du hasard ; il existe peu de consensus entre les violonistes : un instrument considéré comme excellent par certains peut être jugé défavorablement par d’autres ; les violons neufs ont été préférés et considérés comme meilleurs en terme de projection par rapport à leurs homologues anciens.

La conclusion de cette expérience est la suivante : les violons modernes, sans nécessairement faire consensus, se révèlent plus performants sous certains aspects que leurs homologues anciens. Cette préférence est à nuancer, car très ténue : plus on multiplie les combinaisons, plus le résultat tend vers l’équilibre et l’égalité entre tous les violons. L’expérience montre que, à l’aveugle, tous les violons concourent in fine à une uniformité de qualité.

Me voilà alors devant un problème : les résultats de cette expérience ne me permettent pas de trouver un « bon » violon que je pourrais prendre comme modèle reproductible et présenter à la vente aux violonistes, puisque ces derniers semblent se contredire suivant les contextes dans lesquels ils jouent ces instruments. Comment résoudre cet apparent paradoxe ? C’est alors que je fais la connaissance de René Caussé, chercheur émérite à l’Ircam (Institut de recherche et de coordination acoustique/musique) qui va m’apporter de très précieuses explications.

Pour comprendre le fonctionnement du violon, il faut partir de la corde. Une corde sur laquelle on exerce une action se met en vibration et produit un son d’une fréquence donnée (qui dépend de sa longueur, sa tension et sa masse linéique), agrégée d’une série d’harmoniques. Mais le comportement de la corde varie si elle est pincée, on parle de « vibration libre », ou si elle est frottée par un archet, on parle de « vibration entretenue ». C’est ce dernier cas qui nous intéresse. Une corde frottée est le siège de vibrations de flexion, dans le plan défini par la corde et l’archet. D’autres mouvements (de torsion et longitudinaux) existent mais sont d’importance moindre. Cette vibration dépend en fait grandement du degré de mobilité des extrémités. Je comprendrai par la suite que c’est précisément ce phénomène qui semblait prépondérant à François et Frédéric quand ils mesuraient le son d’un violon à partir d’un choc sur le chevalet.

La façon dont la corde est mise en vibration par l’archet dépend de multiples paramètres : le point de contact entre la mèche et la corde, la vitesse de l’archet, la force d’appui de l’archet, les trois angles d’inclinaison de l’archet par rapport à la corde. A cela, il faut rajouter la pose des doigts de la main gauche, avec ou sans vibrato.

Il s’avère alors que tous les sons que peut produire un violon – j’entends n’importe quel violon – peuvent être produit par une corde et un archet. Cependant, une corde est trop fine pour comprimer une masse d’air suffisante pour être audible par une oreille humaine. Il faut donc amplifier ce son. Pour cela, par le truchement du chevalet, on relie la corde à la « caisse de résonance », qui vibre sous l’action du chevalet. Cette vibration est multiple, car, en réponse aux fréquences de la corde, différentes parties de la table et du reste de la caisse (fond, éclisses, manche, volume d’air intérieur) vont se mettre en vibration en fonction de leur « fréquence propre de résonance ». L’addition de leurs vibrations est alors assez grande pour être perçue commodément par l’oreille. En retour, les vibrations de la caisse exercent une action sur la corde vibrante, absorbant une partie de son énergie et changeant de fait son comportement. On nomme ce phénomène l’ « impédance ».

A ce stade, on peut comprendre que, chaque violon étant différent, les parties qui se mettent en vibration par résonance en fonction du signal donné par la corde n’étant pas les mêmes et/ou pas de même importance, l’impédance est différente et le résultat acoustique est différent.

C’est bien ce qu’on constate sur le diagramme de la première expérience faite par François et Frédéric et, en théorie, cela devrait se traduire par un son différent à l’écoute. Mais cette expérience, pour pertinente qu’elle soit, fait fi d’un paramètre primordial : le jeu du violon, c’est à dire son utilisation concrète.

… La suite du dossier prochainement sur ResMusica…

Sources

FRITZ Claudia (chargée de recherche au CNRS en acoustique musicale), Preferences among old and new violins, disponible sur son site Internet de Lutheries – Acoustique – Musique » (LAM) de l’Institut Jean le Rond d’Alembert.

LEIPP Emile, Le violon, Hermann, Paris, 1965.

SEVE Bernard, L’instrument de musique : une étude philosophique, Seuil, 2013

Crédits photographiques : © Image libre de droit

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