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Montpellier. Opéra-Comédie. 19-XII-2021. Gioachino Rossini (1792-1868): La Cenerentola opéra bouffe en deux actes sur un livret de Jacopo Ferretti d’après Perrault. Mise en scène : Alicia Geugelin. Décors : Christin Schumann. Costumes : Pia Preuss. Lumières : Sergio Pessanha. Avec : Alasdair Kent, ténor (Ramiro) ; Ilya Silchukou, baryton (Dandini) ; Carlo Lepore, basse (Don Magnifico) ; Serena Sáenz, soprano (Clorinda) ; Polly Leech, mezzo-soprano (Tisbe) ; Wallis Giunta, mezzo-soprano (Angelina) ; Dominic Barberi, baryton (Alidoro). Choeur Opéra national Montpellier Occitanie (cheffe de choeur ; Noëlle Gény) et Orchestre national Montpellier Occitanie, direction : Magnus Fryklund
Pour tourner la dernière page lyrique de la très contrastée année 2021, l'Opéra de Montpellier a confié La Cenerentola à la jeunesse d'Alicia Geugelin. Pétillant, acidulé, lesté d'un nuage d'ombre au tableau, ce premier essai de la récente lauréate du Ring Award a été chaleureusement applaudi.
La découverte d'un nouveau metteur en scène dans une maison d'opéra est une expérience au moins aussi excitante que celle de la énième production d'un maître reconnu. Y décèlera t-on, plus que la patte artisane d'un metteur en scène de théâtre, celle d'un vrai metteur en scène d'opéra (deux disciplines bien distinctes) ? Cette nouvelle Cenerentola, donnée à l'Opéra Comédie, d'une euphorisante légèreté, apporte quelques éléments de réponse.
Pas du tout intimidée par les presque trois heures d'horloge du vingtième opéra de Rossini, Alicia Geugelin décide de se passer de décor ! En ciel de scène, un immense lustre aux couleurs changeantes et aux bougies sensibles aux différents lieux de l'action, capable de se transformer en cage dorée, comme de tanguer sous l'orage, palpite au rythme des affects. Au sol, montés sur roulettes, un trio de canapés, un pouf à malices sur lequel l'héroïne aime à se prélasser. La diagonale d'un long tapis rouge déroulé. Quelques nénuphars. Un arbre. Un flamant rose… Une explosion dorée de cotillons pailletés qui en met plein la vue. Une longue pluie de plumes au ralenti sur le spectaculaire Finale de l'Acte I. Le carrosse est une simple…. poursuite ! Avec ce trois fois rien balayé par un jeu d'orgues classieux, Alicia Geugelin dessine un univers esthétique affirmé qui donne un vrai blanc-seing à la couleur. Le Prince flamboie sous une perruque rouge. Celle d'Alidoro surplombe un costume (vert !) décidé à faire fi de tous les tabous théâtraux. Le chœur, masculin dans Cenerentola (comme dans celui du Teatro Valle où, en 1817, Rossini créa son opéra en s'adaptant à l'effectif choral qui ne comptait que… des hommes) affirme sa féminité (et sa vocalité malgré la présence de masques visuellement très bien intégrés) au moyen d'élégants carrés de perruques roses pour tous. Les demi-sœurs de Cendrillon sont particulièrement servies, leur robes hilarantes leur donnant l'allure finalement assez monstrueuse de fillettes mal poussées. Toutes silhouettes découpées sur un fond noir et dédoublées par un sol en miroir : c'est constamment beau à voir.
C'est munis d'une part d'enfance inentamée que les chanteurs entrent dans le jeu scénique. Sur le plan strictement vocal, les bonheurs sont plus variés. On croit à la révélation en découvrant le galbe impressionnant du mezzo colorature, si cher à Rossini, de l'Angelina de Wallis Giunta : le mezzo impressionne effectivement mais la colorature, systématiquement conclue en force, tempère l'enthousiasme. Alasdair Kent, déjà enchanteur à Bâle comme à Toulon, joue en virtuose du charme naturel d'une voix dont la liberté d'action pourra faire sourciller les tenants de la doxa rossinienne. Carlo Lepore met tout le monde dans sa poche avec un Don Magnifico à la projection impeccable. Le contraire du Dandini d'Ilya Silchukou occupé à courir après une ligne qui se dérobe. L'Alidoro sourd de Dominic Barberi, alternant belles présences et curieuses absences, reste assez insaisissable. Bien que moquées jusqu'aux surtitres (Clorindouille et Tisbinette), Serena Sáenz et Polly Leech sont des Clorinda et Tisbe hautes en couleurs. Quant à la splendide direction de Magnus Fryklund, c'est le bonheur total de la soirée. L'Orchestre national Montpellier Occitanie est en très grande forme, tout de fluidité et d'humour distancié, chef et instrumentistes ne ployant jamais devant la mécanique irrésistible des grands ensembles.
Faut-il prendre au sérieux ce conte de fées que Rossini mit en musique en 24 jours, faisant même finir le travail par un confrère (Luca Agolini) ? Alicia Geugelin répond par l'affirmative. Non contente de se satisfaire de sa manifeste capacité à produire le service minimum pour la narration limpide du livret de Ferretti (un marivaudage avec échange de costumes maître/valet rhabille et complexifie le conte de Perrault), un brin essoufflée au fil d'un Acte II en-deçà d'un I riche de promesses, elle décide d'ombrager cette naïve « bonté en triomphe » (Cenerentola ossia la bontà in trionfo) d'une réflexion sur la longévité de l'amour au-delà de son avènement. Au Finale elle dépose sur les épaules frêles de son héroïne (vêtue jusque là de tenues – d'oies?- blanches) un lourd manteau d'apparat. Le même sous lequel Angelina semblait étouffer, installée dans une baignoire d'avant-scène, au cours d'un prologue muet où elle apparaissait vissée comme sur un tableau officiel (à l'instar du double de Didon imaginé au printemps dernier à Genève par Frank Chartier), en femme de pouvoir acariâtre. Tandis que Ramiro recule, Angelina s'avance à la rampe d'où elle contemple longuement, non sans une palpable appréhension, sous le lustre prêt à se décrocher, ce double puissant de la femme qu'elle sera devenue. Ce qu'annonçaient probablement, après les ultimes accords de l'Acte I, les coups sourds du destin frappés en coulisses par un tremblement de terre trop vite étouffé par des applaudissements trop empressés.
Crédits photographiques: © Marc Ginot
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