Plus de détails
Pierre Henry, l’œuvre. Catalogue illustré, opus et musiques d’application ; 1945-2017. Philharmonie éditions. 395 pages. Octobre 2021
Le format du catalogue est hors norme, à la démesure de ce créateur/démiurge, l'homme-son que fut Pierre Henry (1927-2017). L'ouvrage somptueux que les Éditions de la Philharmonie lui consacre retrace 70 années de création, d'un studio électroacoustique à l'autre, jusqu'à la « Maison de sons » que le compositeur va ouvrir au public en 1996.
Allié de Pierre Schaeffer avec qui il collabore durant neuf années au Studio d'essai (rebaptisé Club d'essai) de la rue de l'Université, Pierre Henry a, tout au long de sa vie de créateur, observé la démarche « concrète » (consistant à travailler à partir de sons enregistrés) prônée par l'auteur du Traité des objets musicaux. Ses captations sont souvent faites en studio, avec le piano préparé, la manipulation d'objets divers ou le détournement de l'usage des machines (les magnétophones à partir de 1950), telle la technique du feed-back qui alimente les jerks de la Messe pour le temps présent.
En 1958, il est licencié par l'administration de la RTF pour insoumission au règlement. Pierre Henry fait alors cavalier seul. La rencontre avec le chorégraphe Maurice Béjart au tout début de l'aventure est le sésame de sa renommée internationale. Il ne cessera désormais de travailler avec la danse. Il fonde Apsome, le premier studio privé de musique électroacoustique en Europe qu'il va lui-même financer : en répondant aux nombreuses commandes alimentaires qui lui permettent d'équiper son lieu de travail de machines toujours plus performantes et de composer. Il monte sa propre sonothèque, s'entourant de fidèles assistantes, successivement Isabelle Chandon, Eliane Radigue, puis Isabelle Warnier (sa seconde épouse) et Bernadette Mangin. Elles vont à ses côtés monter, classer, boucler, étiqueter les échantillons de bande, obtenant ce que Pierre Henry nomme son « dictionnaire de sons ». Parmi les 263 titres de boucles préférées (sur les 4700 existantes) listées au début du catalogue, citons quelques exemples savoureux : « glas de famine, jubilation ferraille, PH dans la cuvette, carillon dans l'eau bouillante… » : « Quand j'entre dans mon studio, mes titres, ces alphabets d'idées m'entourent, m'attirent et me donnent envie de composer », confie Pierre Henry.
La présentation des œuvres (219 opus et 205 musiques d'application!) suit le fil chronologique de la création, comptant huit périodes et autant de lieux/studios investis, ses « terriers » qui sont également pour le compositeur des lieux de vie. Chaque chapitre est introduit par un texte biographique et réunit, dans la période abordée, les œuvres composées et les musiques d'applications qui infiltrent tous les domaines artistiques (théâtre, cinéma, radio, publicité, etc.) et autres, lorsqu'il s'agit des commandes alimentaires. Précieuses également sont les descriptions des différents studios (matériel réinvesti et nouvelles acquisitions) accompagné de plans graphiques. En 1984, Apsome, ayant déménagé au 32 rue de Toul dans le XIIème arrondissement est rebaptisé Son/Ré, nouvelle association bénéficiant cette fois du soutien du Ministère de la Culture et de la ville de Paris. Exit les travaux alimentaires!
Une fiche détaillée, voire une page entière, est consacrée à chaque opus, précisant le découpage de l'œuvre, les sources sonores, les artistes associés, les concerts marquants et les différentes versions entendues, Pierre Henry ayant beaucoup remanié et réadapté ses pièces existantes, du ballet à la scène, et inversement. Toutes les notes de programme de concert et les communiqués de presse complétant la description des œuvres proviennent des archives de Pierre Henry confiées aux équipes de la Bibliothèque nationale de France.
A l'instar d'un Xenakis, Pierre Henry n'a cessé d'imaginer de nouveaux formats et lieux de concerts pour mettre en scène sa musique, déplaçant son propre équipement de diffusion dans chaque lieu investi. Parmi ses projets les plus fous, citons Hugosymphonie (1985), plus de cinq heures de musique, ou encore Dieu, théâtre sonore sur le monument inachevé de Victor Hugo ; plus utopique encore, Parcours-cosmogonie est une fresque thématique de 18 heures 40 puisant dans ses propres compositions – sa « petite cosmogonie ». Le projet inabouti est resserré sur 12 heures et rebaptisé Instantané/simultané. Futuristie donne lieu à un « concert au sol », à Lille en 1977 tandis que Musique pour une fête investit la Grande scène de la Fête de l'Humanité de La Courneuve en 1971. On se souvient également de la création en plein air de Tam Tam du Merveilleux (2000) sur la piazza du centre Pompidou avec 4000 auditeurs dansant sous la pluie! Son désir était de transformer le concert en cérémonie. Du gigantisme à l'intimité. En 1996, au 32 rue de Toul qu'il nomme désormais « Maison de sons », le compositeur inaugure, avec la création d'Intérieur/Extérieur, la série de concerts « Pierre Henry chez lui » qui réunit plus de 10 000 auditeurs/spectateurs jusqu'en 2010.
Portraits, documents d'archives, photos de concerts, pochettes de disques, spectacles de ballet, clichés insolites, en noir et blanc comme en couleurs (issus des archives du compositeur) irriguent, complètent et magnifient l'odyssée sonore de l'artiste dont la légende est désormais gravée dans ces pages.
Lire aussi :
Plus de détails
Pierre Henry, l’œuvre. Catalogue illustré, opus et musiques d’application ; 1945-2017. Philharmonie éditions. 395 pages. Octobre 2021
Philharmonie de Paris